L’équipe de Pressenza Francophone s’est rendue à la manifestation parisienne organisée ce jeudi 12 Décembre 2019 contre la réforme du régime des retraites. Dans le cortège, nous avons engagé une discussion profonde avec Claire Mirabeau*. Une citoyenne engagée qui nous a fait part de sa vision de la France d’aujourd’hui. Voici un résumé de cet entretien :
La notion d’État Providence (État Social) est-elle dépassée ?
Les cotisations sociales que chaque citoyen paie doivent servir à la collectivité, mais elles servent surtout à être des acteurs. C’est à dire, vous cotisez pour un système social et vous êtes aussi acteur politique. Si les employeurs, ce sont les seuls à payer vos charges, vous n’aurez plus le droit de décider, ou à vous opposer à des mesures qui vous semblent injustes. Alors pour résumer, les cotisations renforcent la solidarité, mais aussi mes droits en tant que citoyen.
Plus les grandes entreprises auront des moyens, plus ils pourront décider de nos conditions de travail. On a compris en France que les gouvernements n’étaient plus que des pions d’un système extrêmement capitaliste mondial, et qu’ils sont là pour placer leurs intérêts. Ils ne sont plus déjà dans l’aventure collective. On est dans une énorme entreprise. On met en opposition des personnes qui sont dans la même précarité. Il faut surtout se battre pour éviter que le capital prenne le dessus sur tout. On ne va pas dans le bon sens, aujourd’hui, l’eau se privatise, l’énergie se privatise, l’air se privatise, c’est dingue. Les ressources naturelles ne doivent pas appartenir à des entreprises privées. Je pense néanmoins qu’il y a une prise de conscience.
Il faudrait rabâcher. Raconter à nos enfants l’histoire de leur pays, notre histoire collective, pour prendre conscience et défendre nos droits. Ne mourrons pas sans avoir essayé. Je crois qu’il faut continuer à voter, à aller dans les urnes. Même si l’on vote pour une utopie, il faut essayer.
S’informer aujourd’hui c’est quelque chose de très difficile
S’informer aujourd’hui c’est quelque chose de très difficile. Pour prendre le temps de lire, de comprendre, de cogiter, c’est dur. Il y a 12000 informations par jour, et des fausses, et des vraies, faire le tri, choisir. Nous sommes envahis par des informations que nous n’avons pas le temps d’analyser et de digérer. Si on n’analyse pas, on est foutu. Et pour analyser il faut accepter que ça prenne du temps. Il ne faudrait pas regarder l’information de tous les jours, mois je suis piégée aussi, je la regarde, mais on ne devrait pas la regarder au jour le jour. C’est l’importance des hebdomadaires et des mensuels. C’est pour dire, voilà ça est arrivé, et il y a eu untel et untel qui ont pris le temps d’y réfléchir, il y a un débat, et on ouvre une discussion. Dans les médias aujourd’hui, il n’y a plus de débat. Il y a des hurlements, mais il n’y a pas de débats.
Il nous faudrait aussi des philosophes, des intellectuels, et des économistes indépendants qui prennent de la distance par rapport à l’actualité et qui nous ouvrent des perspectives. C’est compliqué quand le monde intellectuel décroche. Parfois, il est plus intéressant d’être devant les médias que de réfléchir.
La consommation, c’est déjà un acte politique !
Il faut une réelle prise de confiance individuelle et collective. Par exemple, lorsque je fume cette cigarette, je sais que je dois être consciente que je suis en train de nourrir un grand groupe américain. C’est un acte politique. Je pense que les jeunes sont plus conscients de cela. Comment mieux manger, comment vivre sans consommer à outrance. Ce qui sert à rien. A quoi ça sert d’avoir douze pairs de chaussures, quand on sait qu’une seule peut être utilisée. C’est le truc de base, et qui rejoint le problème écologique, c’est à dire qu’on ne peut plus être dans un monde qui surconsomme, et qui ne peut plus gérer ses déchets. L’écologie et la politique auraient dû être depuis longtemps liées intimement. Et tous les pays sont concernés, car on ne peut pas exploiter les plus pauvres pour mieux vivre de notre côté.
Pour moi, l’idée de jeter n’était pas acceptable dans mon éducation, mais à un moment donné on s’est retrouvé dans un système qui proposait des produits qui perdaient de leur efficacité ou devenaient inutilisables en seulement 2 ans. Et le réseau de réparateurs n’existe plus, donc c’est clairement un système qui pousse à la surconsommation. Cette prise de conscience je l’ai. Je vous explique, je suis costumière. Je suis obligée d’acheter des vêtements. Mais quand j’achète ce vêtement, je ne peux tout simplement pas essayer de valoriser le travail bien fait par des gens, parce qu’il faut aller vite, donc il faut acheter, acheter, acheter. Je dis à mes enfants, lorsque vous achetez un t shirt à 2 euros, vous ne pouvez pas sentir la sueur des gens, à ce prix là c’est impossible. Derrière des prix, il y a de l’esclavage et des morts dans de pays pauvres. Certains pays sont chers, parce qu’il y a souvent de la main d’œuvre qui prend le temps de bien faire les choses (on ne tient pas compte des revenus liés au marketing et à l’image de marque). Mais comment faire passer cet idée auprès des gens dans la précarité ? Quand on n’a pas d’argent, on favorise les produits pas chers.
Cette conscience, je ne suis pas la seule à l’avoir. Nous sommes nombreux dans cette situation. Par contre, rester cohérent au quotidien entre ses convictions et ses actes c’est compliqué. Ça demande une réflexion au quotidien. Il faudrait pour cela que le discours change, que des intellectuelles, des philosophes, des économistes et des industries aillent dans ce sens-là. Produire responsablement, avec des salaires justes, avec plus de qualité et moins de déchets c’est possible. C’est juste une question de volonté.
L’accord social entre les citoyens et l’État est casé. Et la confiance avec !
Ce que j’ai compris, c’est que le gouvernement souhaite progressivement passer la retraite vers le domaine privé. C’est-à-dire vers des organismes qui ne garantissent pas notre situation future. Ce qu’ils souhaitent, c’est de faire la même chose qu’ils ont fait pour les mutuelles ou pour les hôpitaux, c’est de faire que chacun paie pour son avenir. Pourquoi pas, mais on supprime la solidarité, et lorsqu’on ira demander des droits, on nous répondra : “Vous n’avez qu’à travailler plus !”
L’accord social avec l’État est casé. Et la confiance avec. On perd petit à petit cette idée collective, qui n’était pas une idée communiste révolutionnaire, mais la volonté d’être tous sur la même base, avec la possibilité de s’exprimer. Si l’on est dans un monde où tout est privatisé, on n’aura plus le droit de s’exprimer. Dans une société privé, si on n’est pas d’accord, on nous dit : “Vous dégagez !”. Par ailleurs, il n’y a plus de syndicat digne de ce nom. Maintenant pour se défendre, il faut prendre un avocat. Avant on pouvait aller voir un syndicat pour demander des conseils. On s’approche de plus en plus d’un modèle comme celui des États-Unis, avec des avocats partout, où il faut payer, payer et payer. Nous sommes considérés par le gouvernement comme des consommateurs, mais ils oublient que l’on est également des acteurs. La consommation est nécessaire pour manger ou pour se vêtir, mais nous sommes avant tout des acteurs de nos vie. Au moins on essaie.
On oublie la spiritualité, car on est pris par l’urgence et la précipitation
La spiritualité, c’est pour moi le sens même de la vie. Cette notion n’a rien à voir avec la religion parce que je ne crois en rien. Sauf qu’on est des petites fourmis dans une terre et on a sans doute quelque chose à y faire, et le mieux, c’est de faire quelque chose d’utile : Servir sa famille, son prochain, transmettre aux autres ce qu’on apprend, pour moi c’est ça le sens de la vie. Si c’est pour dire, on a des enfants, on a une maison, on attend la retraite, on meurt, ça n’a pas de sens. La spiritualité est très importante et on l’oublie. On est pris par l’urgence, par la précipitation et on oublie de regarder le soleil qui se lève, de prendre conscience qu’ensemble c’est toujours mieux !
Le travail bien fait pourrait être à la fois un acte spirituel et un incroyable projet collectif
Le travail bien fait pourrait être un acte spirituel, mais on nous demande toujours de travailler de plus en plus vite. La notion de bien faire est passée à un deuxième plan.
Par ailleurs, je suis toujours intéressée par le groupe parce que j’aime cette idée de travailler pour un projet collectif. Par l’entraide et le partage on arrive toujours à faire quelque chose de mieux. Le travail devient une réalisation, pas simplement un produit. C’est le résultat de l’artisanat, pas d’une production de masse. Malheureusement, cette idée est en train de disparaître, car cela demande du temps, donc des coûts plus élevés. Le marché choisi donc la rapidité et la course aux coûts bas, donc on importe rapidement des produits finis et pas chers des pays pauvres.
*L’identité de la personne interviewée a été modifiée