Le regard des Grecs face au changement

Les électeurs courent jusqu’à la dernière dernière minute pour arriver à temps pour voter… Des familles entières se présentent aux urnes. Les bureaux de vote sont généralement situés dans des écoles. Tous les âges et classes sociales sont représentés:
y défilent des grand-mères accompagnées de leurs enfants, certaines avec des difficultés pour monter les escaliers comme c’est le cas près du Kaningos Square. Ou encore des personnes invalides se pressant avec leurs béquilles pour venir voter. Pour les Grecs, voter, c’est primordial.

« Ce soir, notre espoir est dans le vote pour que les choses changent. » exprime l’un d’eux.

Ce dimanche 17 juin 2012, journée d’élections législatives considérée par une majorité des Grecs comme un référendum sur le maintien du pays dans la zone euro.

Cette peur générée depuis l’Europe que la Grèce se retrouve hors de la zone Euro, a fait basculer le résultat de ces élections : 40% des électeurs ont déclaré avoir changé d’avis depuis les dernières élections du mois de mai 2012…

Pour le politologue John Loulis, « il s’agit d’un vote de peur d’une sortie de l’euro, pas d’un soutien réel aux réformes ». « Le gouvernement sera fragile, sans grande base populaire, le pays risque de n’avoir qu’un court répit », a-t-il dit à l’AFP.

Mais malgré cette peur, les rues d’Athènes sont restées calmes durant le vote, à l’exception de deux incidents : le premier concerne une grenade qui n’a pas explosé, qui aurait été lancée par deux inconnus, devant le bâtiment abritant la chaîne de télévision grecque Skaï…

Le 2ème, un bureau de vote qui aurait été incendié par un possible groupe d’anarchistes à Exarchia aux environs de 19h20 qui se seraient défendus des deux policiers présents et incendié la boîte du scrutin. La police craignait la possibilité que l’incident ne retarde les résultats des élections, la tension a monté dans le secteur. Un phénomène étrange s’est produit: beaucoup d’Athéniens auraient déserté la capitale pour aller voter dans leurs localités d’origine, en province. On interroge quelques votants à la sortie du bureau de vote sur la situation grecque et leur vision du futur:

PRESSENZA_Pourquoi vous semble-t-il important de voter? Comment envisagez-vous le futur de la Grèce?

Catherina P._Le problème est énorme, il n’y a pas d’espoir pour nous. Nous nous sentons désespérés économiquement et socialement. La dette est énorme et les mesures du gouvernement en thème de fiscalité ne sont pas efficaces. L’écart entre classes sociales est énorme. Il y a de plus en plus de pauvres et les riches en profitent de plus en plus. Une augmentation de la violence et de l’insécurité urbaine. C’est un problème commun à toute l’Europe, je pense qu’il est important que la Grèce reste dans la zone euro, pour que l’on puisse financer nos projets. Le changement doit être externe mais aussi interne, il y a beaucoup de suicides… Le futur ? Peut-être est-il déjà dessiné.

Alex, jeune papa, devant le bureau de vote._ Il est important de rester dans la zone euro, mais ce n’est pas uniquement un problème financier, c’est aussi social. Il faut être prudent, nous sommes habituellement des voisins tranquilles et en ce moment nous ne le sommes plus. Nous vivons dans la peur à cause des vols, qui ont augmenté dernièrement, nous avons besoin d’un gouvernement qui nous protège de ces vols.

Un père et sa fille_ La politique actuelle du pays n’est pas claire. Nous gardons l’espoir que si la Grèce reste dans la zone euro, tout ira mieux pour nous. Pour la jeunesse, je souhaite du travail et un futur. Nous pensons et nous espérons que cela se produira et que la situation sera meilleure pour nous.

Un peu plus loin nous rencontrons Hellen, résidente en Grèce, d’origine albanaise venant en aide aux sans-logis et étrangers en difficultés.

PRESSENZA _ Pensez-vous que le gouvernement vous aide ?

Hellen_Nous vivons un moment pas facile car nous sommes juste à l’aube d’un changement, il y a quelque chose qui doit changer, en bien ou en pire. Je ne connais pas encore les résultats du vote, mais nous projetons que les gens se connectent les uns aux autres et qu’il y ait un programme d’unité.

Pour moi l’unité, c’est qu’au lieu que chacun fasse dans son coin, on fasse ensemble: arriver à se mettre d’accord pour une solution non pas individuelle mais collective, pour le bien de tous… Et c’est pourquoi nous avons besoin d’un gouvernement qui unit les différences. Pour moi qui suis chrétienne, ce dont les gens ont besoin, c’est de dieu dans leur quotidien car c’est l’unique qui peut leur montrer le bon chemin à suivre pour le futur.

Beaucoup de gens pensent de manière «obscure» mais beaucoup pensent positivement aussi. Je pense que c’est parce qu’ils ont perdu l’espoir.
Il y a beaucoup de cas de suicides, beaucoup de gens qui ont faim, dorment dans les rues, ou qui ne peuvent payer leur facture d’électricité. Donc la situation n’est pas très drôle… Mais j’espère que dieu nous aidera à garder l’espoir.

PRESSENZA_ Comment envisagez-vous le futur?

Pour le futur, je demanderais aux politiciens de prier et demander de l’aide à dieu pour être guidés et aider le peuple grec de manière adéquate. Le changement de la société grecque est total, d’abord interne ensuite externe et aussi dans la manière de penser. Sans ce changement, il n’y a aucun espoir d’améliorer la situation. Avec l’amour du prochain, aider le plus faible, créer de l’entraide entre nous. Je crois en dieu et c’est la force de dieu qui me fait croire qu’il y a un espoir pour demain. Que dieu vous protège, vous aussi. Je vais prier pour vous…

Après avoir dialogué avec un chauffeur de taxi athénien, nous recevons les mêmes impressions, une vague de xénophobie est en train de se générer vis à vis des étrangers :

« Les politiques ne pensent pas au bien du peuple, les étrangers se retrouvent sans travail sans papiers, sans logement, sans nourriture et aucune politique ne leur vient en aide ; ils ne proposent pas de solutions efficaces. »

« Quand les gens ont faim, ils doivent survivre … c’est normal qu’ils finissent par voler s’ils n’ont pas d’autres alternatives…Et ils sont trop nombreux à être dans cette situation de précarité, les aides alimentaires ne sont pas suffisantes pour tous… Les étrangers sont responsables de l’insécurité en Grèce, des vols… » nous dit-il.

La crise en Grèce est une crise mondiale d’un système financier qui s’écroule. La crise affecte la vie des Grecs qui se retrouvent la plupart sans emploi, selon l’ ASE il y a 1,12 million de grecs au chômage dans un pays de onze millions d’habitants et sans aides sociales, mais le paradoxe de cette crise c’est que le peuple grec ne perd pas sa joie…

Il cherche des alternatives à la crise comme s’organiser et former des points de rencontres ouverts à tous pour échanger sur la problématique et comment faire face à des gouvernement qui ne les représentent plus.

Des groupes d’activistes se forment, squattent des maisons, pour commencer à reconstruire une réalité plus en accord avec ce qu’ils ressentent. C’est ainsi que l’on voit se développer la
créativité dans les marchés où les fruits sont décorés par des fleurs: un besoin énorme d’embellir cette réalité qui les oppriment. On voit les façades des maisons complètement repeintes avec des motifs très élaborés de graffitis représentant une belle végétation amazonienne pleine de couleurs, pleine de vie.

On peut en trouver un bel exemple dans la rue qui monte vers le quartier d’Axarchia. Après le square d’Exarhion, quartier réputé pour ces révolutionnaires ou activistes qu’ils appellent anarchistes… La police surveille spécialement un de ces bars-squat où la musique est antifasciste, hymnes de longues dates et que les jeunes de 20 à 30 ans écoutent dans un bar très élégant qu’ils ont squatté où se réunissent tous ceux qui ont la même philosophie anti-système. Nous sommes montés jusqu’à leur quartier général :

Il est tenu depuis 2 mois par des jeunes qui n’ont pas de travail, ils se tournent pour servir et encaisser sur le comptoir de manière spontanée. Les fonds obtenus sont versés pour libérer les prisonniers politiques et d’autres causes sociales… L’ambiance est très agréable. Tout le monde est le bienvenu avec pour unique norme le respect des uns envers les autres. Ils ne souhaitent pas être photographiés. Au mur, un tableau avec les dates des prochaines rencontres écrites à la craie…

De temps en temps, l’un d’eux sort dans la rue pour crier sa rage scandant des slogans anti-électoraux et les autres le suivent tous en chœur en chantant.

L’un d’eux commente « des fois, il y a des gens qui viennent foutre le bordel. Ce sont des gens d’extrême droite, des infiltrés camouflés, on les reconnait tout de suite à leur comportement. Juste après, il y a une descente de police, ils veulent nous arrêter :
on nous accuse d’être des terroristes… Or, nous ne faisons que nous défendre du système qui est contre le droit de libre expression, vous n’avez qu’à descendre dans la rue, vous verrez tout un car de policiers, prêts à nous déloger. Quand la police arrive, nous descendons les persiennes métalliques et fermons totalement le local pour nous protéger car sinon ils nous retiennent au commissariat…»

PRESS_ Pourquoi les policiers sont-ils contre vous?

ACTVISTE_ Ils obéissent aux ordres sans se questionner, je crois qu’ils ont peur de perdre leur sécurité économique…et ils ne connaissent pas leur droit…

PRESS_ Ignorance?

ACTIVISTES_ Peut être!

On quitte le lieu avec l’hymne et le sourire des jeunes qui fredonnent un air d’espoir d’une jeunesse pleine de vie….

Lorsqu’on arrive à Athènes, on s’attend à trouver un véritable chaos : images lancées par certains médias sans doute avec des intentions bien définies….Et on est surpris par la chaleur humaine de ses habitants qui vivent dans des conditions plutôt difficiles mais qui malgré cela conservent l’essentiel de la vie:

Le respect des autres, des personnes âgées, l’amour pour les touristes. Les Grecs vous indiquent le chemin, n’hésitent pas à vous accompagner jusqu’à l’arrêt le plus proche, à vous céder leur place dans le bus ou encore à vous indiquer aimablement la station où vous pouvez descendre…

La soirée se termine avec la victoire du parti conservateur et pro-austérité. Nouvelle Démocratie (ND) vainqueur, avec 29,66 % des voix. Son principal rival, le parti de gauche radicale et anti-rigueur Syriza, est arrivé un peu derrière avec 28,69 % des voix.

Un score inégalé en Europe, avec environ 40% des suffrages.
ND soutient l’ancrage à la zone euro et entend former un gouvernement de coalition au plus vite. Le leader de Nouvelle Démocratie, Antonis Samaras, a appelé à la formation d’un gouvernement « d’union nationale », une coalition pro-austérité à la suite de ce scrutin.

Selon le New York Times : « Le succès électoral du parti dominant Nouvelle Démocratie a permis d’éviter, au moins pour le moment, la sombre perspective que les investisseurs, nerveux, envisageaient ces dernières semaines :

Une soudaine et difficile sortie de la Grèce de la zone euro. Aujourd’hui, la Grèce a un vainqueur, mais elle n’a pas forcément en face un vaincu. »

Mais alors le vrai chaos, où est-il?

Et s’il n’était pas à l’intérieur de la Grèce ?