Toutes les critiques, du moins de ceux qui ne sont pas du même bord que le pouvoir en place s’accordent à dire qu’en instituant le Tribunal Criminel spécial les autorités camerounaises ont ouvertement violé les Accords et Traités Internationaux ratifiés par le pays.
Cette violation se résume en points principaux :
-Premièrement, l’article 4 de cette loi indique que le Tribunal Criminel Spécial «statue en premier et dernier ressort», privant ainsi les justiciables d’un droit juridique essentiel internationalement reconnu : celui du «double degré de juridiction», le Tribunal Criminel Spécial rendant à la fois un jugement d’instance et un jugement d’appel.
Cependant le Cameroun a adhéré depuis 1984 au Pacte international relatif aux Droits Civils et Politiques qui a été adopté et ouvert à la signature, à la ratification et à l’adhésion par l’Assemblée Générale de l’ONU dans sa résolution 2200 A (XXI) du 16 décembre 1966.
Or tout justiciable qui n’est pas satisfait par une décision de justice rendue en premier ressort a le droit de saisir là une juridiction supérieure pour réexaminer son affaire. Les personnes traduites devant le Tribunal Criminel Spécial n’auront pas ce privilège. Le seul recours possible est un pourvoi en cassation.
– Deuxièmement, le même texte, en son article 18, initie une justice à double vitesse à savoir une justice pour les pauvres et une pour les riches. En effet, ce tribunal est compétent lorsque le préjudice est d’un montant minimum de 50.000.000 FCFA, pour traiter les infractions de détournements de deniers publics et les infractions connexes prévues par le Code pénal et les Conventions internationales ratifiées par le Cameroun. Les auteurs de ces crimes ont la possibilité de rembourser les sommes mises en cause en échange de l’abandon des charges comme le stipule l’article 18 de la loi « En cas de restitution du corps du délit, le Procureur général près le Tribunal peut, sur autorisation écrite du ministre chargé de la Justice, arrêter les poursuites engagées avant la saisine de la juridiction de jugement. » Cependant, si la restitution intervient après la saisie de la juridiction de jugement, les poursuites peuvent être arrêtées avant toute décision au fond et la juridiction saisie prononce les déchéances de l’article 30 du Code pénal avec mention au casier judiciaire.
A en croire des sources bien introduites du Ministère de la Justice, ce tribunal sera opérationnel au cours du deuxième semestre de l’année en cours, la construction des locaux est prévue pour fin juin. C’est un tournant dans la lutte contre la corruption entreprise par le président Biya. Parmi les dossiers d’ores et déjà, le présumé scandale financier lié à l’achat avorté d’un avion présidentiel attribué à l’ex-Premier ministre Ephraïm Inoni et l’ex-ministre d’Etat en charge de l’Administration territoriale et de la Décentralisation Hamidou Yaya Marafa, le fils du milliardaire camerounais Yves Michel Fotso etc. Tous déjà écroués depuis plusieurs années pour certains et quelques jours pour les autres, et jugés par le tribunal ordinaire. Ce dossier concerne d’autres hauts responsables dont l’ex- secrétaire général de la présidence Jean-Marie Atangana Mebara, en cours de jugement devant d’autres juridictions.
La justice camerounaise, reconnue pour être lente, connaitra toutefois une célérité, du moins en ce qui concerne les affaires pendantes devant ce tribunal car les officiers de police judiciaire auront 90 jours pour boucler les enquêtes préliminaires, tandis que le juge d’instruction aura 180 jours pour boucler l’information judiciaire. Quant au jugement proprement dit, ce tribunal aura six mois pour rendre sa décision.