Au contre sommet G7EZ, à Hendaye et Irun, Pressenza a interviewé Geneviève Legay. Les images de sa chute, lors d’une charge de la police au cours d’une manifestation à Nice, alors qu’elle tenait un drapeau arc-en-ciel PAIX, ont été largement diffusées. Elle revient ici sur les suites de cette journée du 23 mars.
Bonjour, je suis Geneviève Legay, j’ai été matraquée par la police, violence policière, le 23 mars 2019 à Nice.
Là où j’étais, j’étais descendue pour défendre la liberté de manifester, qui est un droit constitutionnel. La place où j’étais était soi-disant interdite, il y avait beaucoup de policiers, mais quand je suis arrivée, ils ne m’ont rien dit. Ils m’ont matraquée à 11h45, je me suis réveillée aux urgences [de l’hôpital] Pasteur à 18h30, donc presque sept heures après. J’étais dans un état d’inconscience, et là j’avais un traumatisme crânien très grave, que j’ai toujours : cinq fractures, une fracture du coccyx, une fracture du rocher.
Aujourd’hui je n’ai toujours pas d’odorat, zéro odorat. Le goût, c’est que le salé, que le sucré. L’œil droit… Je suis tombée dans un premier temps par un coup de matraque, je suis tombée sur moi-même et après je suis tombée sur la droite et j’étais dans une flaque de sang, parce que j’ai perdu du sang par le nez, par les oreilles et par la bouche. Mon oreille droite a perdu 35% d’audition, et l’œil, jusqu’à fin juin je n’ai pas vu de cet œil et il est revenu tout doucement, donc voilà. Je suis toujours avec mes béquilles parce que je suis toujours en état d’ébriété, sans boire d’alcool. Deux fois par semaine, j’ai deux kinés, un qui vient à la maison et un que je vais voir, un kiné vestibulaire.
Je n’ai rien vu de ce qui s’est passé. Bien sûr, ce que j’ai vu c’est qu’il y avait quand même beaucoup de policiers sur la place, mais il n’y avait pas vraiment de violence jusqu’au moment où ils m’ont frappée. Je n’ai pas vu ce qui s’est passé puisque je ne me réveille de mon état d’inconscience qu’à 18h30.
Au niveau juridique, c’est devenu un véritable feuilleton, j’avais demandé à mes deux avocats, un à Paris et une à Nice, que je m’occupais de ma santé, de me réparer un peu, puis qu’on s’occupait du juridique. Sauf qu’on a été rattrapés, parce que la ville de Nice est une ville un peu particulière : quand mes avocats ont demandé le dossier, ils n’ont pas pu l’avoir, les vidéos, soi-disant, n’avaient pas marché, donc très vite mes deux avocats ont demandé que mon dossier soit dépaysé ; ça, c’était à peu près début avril, le 5 avril.
Et puis, ça a traîné, ça a traîné, donc il a fallu que j’écrive à la Cour de cassation pour demander que mon dossier soit dépaysé, et la Cour de cassation s’est réunie le 10 juillet, et enfin, a délibéré que mon dossier serait dépaysé à Lyon.
Alors, entre temps, ce que l’on a appris par Mediapart, – on le savait nous – mais Mediapart a trouvé le rapport du capitaine de gendarmerie qui a refusé d’obéir aux ordres du Commissaire Souchi, c’était celui qui commandait…, c’est lui qui a donné l’ordre de charge policière, donc ce commissaire Souchi a demandé au capitaine de gendarmerie qui était sur place à Nice d’exécuter ses ordres et ce capitaine de gendarmerie a refusé et il fait un rapport le 25 mars où il dit pourquoi il a refusé.
Il dit qu’il refuse parce que tout était calme, que la demande de ce commissaire était disproportionnée, il ne se passait absolument rien et je confirme, il ne se passait absolument rien. C’est pour ça que quand je suis sortie de mon état d’inconscience, je n’ai pas compris ce que je faisais là.
Et ce capitaine de gendarmerie dit qu’ils ont des instructions, que quand les manifestants sont calmes, ils ne doivent pas les approcher, les boucliers doivent être à terre, les matraques doivent être dans les fourreaux, et surtout interdiction de nasser. Eh bien, c’est tout le contraire qui s’est passé à Nice.
A Nice, ils avaient les boucliers en l’air – ça je le vois sur les vidéos après – ils avaient les matraques à la main et ils avaient nassé. Voyez, c’est grave ! Mais ce qui est encore plus grave, c’est qu’il a écrit ce rapport le 25 mars et que c’est Mediapart qui le sort le 24 juin et comment dire… ils l’ont caché, ça veut dire que pendant trois mois ils l’ont caché à mes avocats et à la justice. C’est très grave.
Ensuite vous avez le procureur qui dit le 11 juillet : « J’ai menti… »
D’abord dans un premier temps le procureur intervient le 23 mars en disant : « Aucun policier n’a touché madame Legay » le 25 mars, il redit : « Aucun policier n’a touché madame Legay. » Le 25 mars, Emmanuel Macron dit : « Madame Legay n’a pas été touchée par un policier, cette dame n’avait rien à faire là, elle devrait être dans la sagesse et tout ça… ». Le 29 mars, le même procureur revient à la télévision en disant : « Finalement, les caméras marchaient à peu près, on a pu étudier pixels par pixels et on a vu quand même qu’un policier avait touché madame Legay. »
Ce même procureur, le 11 juillet, dit: « Oui, j’ai menti au début parce que j’ai voulu protéger Emmanuel Macron. » Un procureur n’a pas à protéger le président de la république, voyez ! Il y a une convergence entre la justice et l’état qui n’a pas lieu d’être. Nous, on demande qu’il y ait vraiment une séparation entre les deux. En plus, on apprend que ce procureur était le 23 mars dans la salle des vidéos et qu’il a tout vu en direct !
Bon, maintenant, on apprend encore – parce que c’est un feuilleton mon histoire – on apprend qu’il est muté et alors, il est muté là où mon dossier est muté, enfin dépaysé ; et puis soi-disant il a été dégradé : il n’est pas plus dégradé que ça puisque à Nice, il était procureur […], et là-bas il va être avocat général, c’est le même titre, c’est pareil, donc il n’est pas dégradé, comme on nous le fait croire.
Alors voyez ! C’est un véritable feuilleton juridique.
En plus, quelque chose de très important que j’oublie : qu’est-ce qu’il cherche exactement Castaner ? Le ministre… moi je dis le ministre de la terreur, pas le ministre de l’Intérieur. Le ministre de la terreur, quand on sait que madame Redouane est morte, quand on sait que Steve est mort, qu’il y a des gens qui ont perdu un œil, il y a des gens qui ont perdu une main, il y a des gens qui ont perdu un pied, il y a des gens comme moi qui ont des séquelles maintenant au cerveau, on se dit ils n’arrêtent pas.
Non seulement ils n’arrêtent pas, ils ont remis des médailles aux commissaires les plus virulents, ceux qui sont dans des bavures […] policières, donc au commissaire Souchi, à sa compagne… Ce que j’ai oublié de dire tout à l’heure, c’est que le procureur de Nice avait nommé la compagne du Commissaire Souchi pour enquêter sur mon affaire, alors qu’elle était sur la place. Cela, c’est collusion d’intérêt.
Et puis il y a eu aussi quelque chose de très grave : c’est les policiers qui sont venus m’interroger le lendemain de quand ils m’ont attaquée. Le lendemain, le 24 au matin, 7h32 du matin. Deux hommes, deux policiers, sont venus dans ma chambre à 7h32 du matin, me dire : « C’est bien le journaliste qui vous a fait tomber ? » Alors, moi j’ai dit : « Non, un journaliste, je le vois à 2 m 50 de moi le journaliste, pourquoi le journaliste m’aurait fait tomber ? » Alors, bon, ils s’en vont.
Puis, il arrive encore deux autres policiers, je ne sais pas combien de temps après, il n’y avait pas de pendule dans ma chambre, qui me disent : « Madame c’est bien un journaliste qui vous a fait tomber. » Je dis « Non ! Je l’ai déjà dit aux deux autres d’avant. » Puis, un grand moment après, deux autres femmes policières arrivent et me demandent : « Madame, c’est bien un journaliste qui vous a fait tomber ? » J’ai dit : « Mais qu’est-ce que c’est ? J’ai dit : Non. Ça fait à six policiers à qui je dis non. » Alors, la question qui se pose, c’est : pourquoi ils viennent à 7h32 du matin un dimanche matin pour poser une question comme ça, alors que mon état de santé, mon pronostic vital est engagé.
Mon pronostic vital est engagé pour 48 heures, donc on ne comprend pas pourquoi le premier cadre de santé les laisse rentrer, puis il y a changement de cadre, le deuxième cadre de santé les laisse rentrer. Et puis, il faut savoir que devant la porte, il y a quand même un vigile qui a été mis là par l’administration de l’hôpital, parce que je suis une terroriste. Oui ! Alors, quand j’écris au directeur, il me dit que c’était pour me protéger des journalistes, voilà !
Alors ce qu’il faut savoir, pour la petite histoire, que je finisse l’histoire des policiers et du journaliste qui m’aurait fait tomber, il faut savoir que quand mon avocate arrive à voir le dossier sur le bout d’un bureau du juge, où elle n’a pas le droit de faire des photocopies, mais qu’elle relève ce qui est écrit, il est écrit que les policiers ne m’ont pas du tout demandé ça, ils m’ont demandé quelque chose de banal, de tout à fait banal, alors comme j’ai dit à mon avocate de Nice, je lui ai dit : il faut creuser ça, parce que : pourquoi venir me poser une question complètement banale, à 7h32 un dimanche matin, alors qu’il n’y avait que treize heures que j’étais sortie de mon état d’inconscience ? Et pourquoi il y en a six qui viennent me poser une question banale ? Cela s’appelle la subornation et c’est passible de prison, de trois ans de prison et de 45 000 euros d’amendes, voilà !
Voyez que ce feuilleton juridique… Est-ce qu’ils ont envoyé ces policiers pour faire croire que c’était un journaliste qui m’avait fait tomber, je ne sais plus quoi dire. Quand les médias viennent, un moment donné, j’ai dit : Écoutez, je ne sais plus quoi vous dire.
« Le procureur a menti, Madame Legay, qu’est-ce que ça vous fait ? » Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? Maintenant, je n’ai plus de mots, ça dépasse l’entendement cette histoire, on se demande tous les jours comment ça va rebondir.
Merci à Geneviève Legay pour cette interview.
Lien :
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/affaire-legay-mutation-proposee-a-lyon-pour-le-procureur-de-nice-20190805 sur Jean-Michel Prêtre, procureur de Nice