« Les patrons s’en lavaient les mains. Ils nous disaient : « Faites ce que vous devez faire », et après ils ne nous ont rien épargné. Combien de fois ils m’ont dit : « Ils restent paralysés, vous auriez dû en tuer mille, dix mille de plus ! », et de préciser qu’un des objectifs de son gouvernement était « de tendre vers une économie de marché, libérale ».
Jorge Rafael Videla, une des têtes du régime le plus sanguinaire qui a gouverné l’Argentine entre 1976 et 1893, a reconnu ce que jamais il n’avait admis devant les tribunaux. « Pour pouvoir gagner la guerre contre la subversion, supposons que sept ou huit mille personnes devaient mourir » a déclaré le dictateur à Ceferino Reato, auteur du livre Disposition finale, publié prochainement.
« Chaque disparition peut être comprise d’une certaine manière comme le maquillage, la dissimulation d’une mort. Il n’y avait pas d’autres solutions ; (dans la junte militaire) nous étions d’accord sur le fait que c’était le prix à payer pour gagner la guerre contre la subversion et nous nécessitions que ce ne soit pas évident pour que la société ne s’en rende pas compte. Nous devions éliminer un nombre important de personnes qui ne pouvaient pas être menées devant la justice ni être fusillées », signala le génocidaire.
En février et mars passés, l’oppresseur avait provoqué le rejet de toute la classe politique quand il a accordé une entrevue à la revue espagnole Cambio 16, où entre autres, il a affirmé que « durant l’année 1978 le Processus avait accompli pleinement ses objectifs ».
« Notre but était de discipliner une société anarchiste. Par rapport au péronisme, sortir d’une vision populiste, démagogique ; en relation avec l’économie, atteindre une économie de marché, libérale. Nous voulions aussi discipliner le syndicalisme et le capitalisme de prébendes » a-t-il affirmé. Videla a justifié l’usage de la torture et a expliqué le destin du corps de l’un des leaders guérilleros les plus importants des années de plomb, Mario Santucho, le grand chef de l’Armée révolutionnaire du peuple (ERP). « C’était une personne qui générait des expectatives ; l’apparition de ce corps allait donner lieu à des hommages, des célébrations. C’était une figure qu’il fallait éclipser », ajouta le dictateur au sujet de l’un des protagonistes de la fugue de la maison d’arrêt de haute sécurité de Trelew en 1972, tué par onze tirs à Villa Martelli quatre ans plus tard.
« La phrase « Solution finale » n’a jamais été utilisée. « Disposition finale » a été une phrase plus utilisée ; ce sont deux mots très militaires et signifient mettre hors-service une chose inutilisable. Quand par exemple, on parle d’un vêtement qui ne s’utilise plus ou qui ne sert plus parce qu’il est usé, il passe à la Disposition finale », confessa le tortionnaire et lieutenant général de l’Armée. Selon les faits, avant le coup d’état du 24 mars 1976, l’Argentine a été divisée en cinq « zones », chacune étant à charge d’un chef militaire, lesquels ont élaboré des listes – composées de ’’leaders sociaux » et « subversifs » – des personnes qui devaient être détenues immédiatement après le renversement de María Estela Martínez de Perón. En plus des agents de l’intelligence, ce furent des chefs d’entreprises, des syndicalistes, des professeurs, des dirigeants étudiants et politiques qui fournirent les noms qui plus tard iront grossir les registres des morts et des disparus, bien que Videla ait nié l’existence de « listes ayant la destinée finale des disparus ».
L’ancien dictateur a aussi admis des erreurs dans une phrase flirtant avec le cynisme. « Les disparitions ont eu lieu après les décrets du président intérimaire Ítalo Luder (presque six mois avant le coup d’état), qui nous ont donnés la permission de tuer. D’un point de vue strictement militaire, nous n’avions pas besoin du coup d’état ; cela a été une erreur » affirma-t-il.
Le génocidaire, qui purge une condamnation de réclusion à perpétuité, s’est permis aussi d’analyser les deux grands groupes armés guérilleros de l’époque. « Par sa préparation militaire et idéologique, l’Armée révolutionnaire du peuple (ERP) était plus notre ennemi que les Montoneros, qui était quelque chose de lointain, de différent. Les Montoneros gardaient des similitudes avec le nationalisme, le catholicisme, et le péronisme qui est à l’origine du mouvement », jugea-t-il.
L’avocat Rodolfo Yanzón doute que les paroles de l’ancien dictateur puissent empirer sa situation judiciaire. « Les déclarations de Videla ne changent rien au panorama. Il est déjà condamné à la peine majeure qu’il peut recevoir, et dans des termes judiciaires ils n’apportent rien. L’unique chose qu’il faut demander à Videla et les siens est qu’ils offrent l’information qu’ils détiennent. Tout le reste est absolument sans intérêt, c’est la parole du bourreau » analysa-t-il.
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[source (en espagnol)](http://tiempo.infonews.com)
[source en français](http://www.dial-infos.org/alterinfos/spip.php?article5516)
traduction réalisée par **Guillaume Jacquemart**