Votants à Merida lors des élections municipales le 8 décembre
Par Ryan Mallett-Outtrim
Un bon écrivain dit beaucoup en peu de mots. Le dernier article de The Economist sur les élections municipales de décembre 2013 au Venezuela dit beaucoup sur la valeur des faits pour la feuille de chou préférée de l’idéologue néo-libéral. Malgré une forte concurrence, The Economist remporte aisément la palme pour la quantité de mensonges déversés dès le deuxième paragraphe de son “analyse”.
The Economist déclare que “la perte la plus douloureuse pour le Parti Socialiste Unifié du Venezuela (PSUV) fut Barinas, berceau de la famille Chávez”. Ce serait une perte douloureuse… si c’était vrai. En réalité Hugo Chavez est né à Sabaneta, capitale de la municipalité Alberto Arvelo Torrealba. Si The Economist avait vraiment examiné les résultats de l’élection, il aurait remarqué qu’Anibal Chavez (frère de l’ex-président) a remporté facilement la mairie avec 62.87% des suffrages. Pour être juste, Chavez vécut dans la capitale de l’État de Barinas lorsqu’il fréquentait l’école secondaire mais c’est Sabaneta qui est reconnue au plan national comme la demeure de l’ex-président, et non Barinas.
“Nous avons un pays divisé, aucun n’a obtenu 50%…”
Cette ignorance de The Economist à propos de celui qui fut président du Venezuela pendant 14 ans, n’est qu’un avant-goût. Suit une régurgitation acritique de la complainte du leader de la droite Henrique Capriles pour qui le Venezuela est “coupé en deux moitiés” et “la moitié du président est celle qui dispose de tous les leviers du pouvoir réel”.
Le premier point est exact… à l’instar de la plupart des démocraties représentatives. Lors des élections municipales, le PSUV et ses alliés ont remporté 49% du vote populaire alors que la coalition de droite, la MUD, a réuni 43% des suffrages. L’écart entre les deux camps tourne donc autour de 6%. L’an dernier, Barack Obama s’est maintenu à la Maison Blanche avec 51,1% des votes tandis que Mitt Romney faisait 47,2%. Ces quelques points de différence signifient que les États-Unis sont divisés ? Bien sûr ! C’est ainsi que fonctionne la démocratie représentative.
Si The Economist veut comprendre pourquoi il arrive aux électeurs de se diviser, nous l’invitons à lire l’appui résigné à Obama de The Economist pour se faire une idée des raisons qui poussent des électeurs différents à voter pour des candidats différents.
Le problème commence lorsque l’auteur de l’article affirme que “tous les niveaux de pouvoir réel” appartiennent à Maduro.
Pas exactement…
Non seulement une part importante des médias, la plus grande fédération patronale et la majorité du secteur privé national ne sont nullement les amis du gouvernement bolivarien mais ils mènent contre lui, de concert avec les États-Unis et la droite locale, une guerre économique. Sans doute The Economist considère-t-il que les grandes entreprises ne constituent pas un “niveau de pouvoir”. Ce ne serait pas la première fois que le magazine publie un article s’apitoyant sur ces victimes que sont les élites du secteur privé.
“Je crois que le message d’un possible changement n’a pas été compris par la population … si j’avais réussi cela, alors nous aurions aujourd’hui un pays repeint en bleu.”
Dans le paragraphe suivant, on nous informe que “les médias télévisés – maintenant sous contrôle de l’État ou intimidés pour qu’ils obéissent – ont ignoré Mr Capriles”. Si The Economist se soucie tant de Capriles, pourquoi n’est-il pas alarmé par les apparitions répétées à la télévision vénézuélienne d’un imposteur affirmant être Capriles ? L’imposteur s’est récemment glissé dans les studios de Venevision pour y répondre à une fausse et longue interview, un faux Capriles qui semble si réel qu’on vous pardonnera de croire que c’est lui ! Venevision n’est pas le seul grand média à s’être laissé duper par le sosie du leader de la droite : Globovision a retransmis un discours du même imposteur le soir de l’élection, en croyant évidemment qu’il s’agissait de Capriles! Et le revoici sur TeleSUR ! L’habile imposteur a même trompé CNN en espagnol en faisant croire qu’il était le vrai Capriles. Tout se passe comme si tout le monde ouvrait l’antenne à l’imposteur alors que le véritable Capriles est ignoré, de toute évidence. Heureusement, The Economist est capable, lui, de percer les apparences et sait bien que le vrai Capriles a été absent des programmes de radio et télévision. (1)
“Le gouvernement est un tricheur qui joue salement, il ne respecte pas les lois…”
The Economist déclare ensuite que les “[c]andidats et les leaders de la droite ont été menacés de prison”. Il est vrai que dans l’offensive en cours contre la corruption, des membres de l’opposition ont été arrêtés… mais The Economist a décidé d’occulter que cette offensive a permis d’arrêter des alliés de Maduro, également pour faits de corruption. Si pour le magazine ceci n’est pas la preuve que certaines arrestations n’ont pas de motivation politique, elle nous autorise à rester sceptique quand la droite affirme que ses membres imputés sont tous honnêtes (2).
Le même scepticisme serait de rigueur quand The Economist prétend que “la totalité de l’appareil gouvernemental a été déployée pour aider le PSUV”. Vraiment ? Par le passé, le Carter Centre a exprimé sa préoccupation au sujet du mauvais usage des ressources de l’État lors des élections, et, de nouveau, des rapports sur le mauvais usage de biens gouvernementaux ont surgi le 8 décembre. Pourtant le degré de ce “mauvais usage” n’est pas clair (les observateurs internationaux n’ont pas noté de fraude). L’idéal serait que The Economist cite quelque témoignage lorsqu’il affime que “la totalité de l’appareil” a été déployé (les refroidisseurs d’eau dans les bureaux du gouvernement ont-ils également enrôlés ?). Sans preuves à l’appui, il semble que The Economist exagère juste un petit peu. Pire encore est le péché par omission. Capriles aura fait campagne dans 117 municipalités de 21 états à l’approche des élections. Au cours de 2013 ses escapades internationales (par exemple à Santiago, pour se réunir avec Jovino Novoa, ex-secrétaire de gouvernement de Pinochet) ont commencé à agacer certains des habitants de l’État de Miranda pour qui il est censé travailler en tant que gouverneur élu. Mais le magazine ne semble pas très concerné par l’hypothèse que Capriles délaisse ses obligations de gouverneur. L’idée que les deux camps puissent avoir des comptes à rendre ne semble pas explorée très souvent par ce magazine.
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Au paragraphe suivant, The Economist nous resort le refrain usé de la destruction de l’économie du Venezuela à cause des “politiques populistes de Chavez qui ont plongé le pays dans le chaos”, l’entraînant vers une “spirale d’inflation”. De nouveau cela n’a tout simplement pas de sens. Même si l’inflation a connu une hausse cette année (causée notamment par la guerre spéculative du secteur privé), en général l’inflation a été plus basse sous Chavez que sous les présidences précédentes. Selon le FMI, pourtant peu suspect de “chavisme”, l’inflation tournait autour de 90 % sous la social-démocratie de Carlos Andrés Pérez et autour de 25 % pendant la révolution bolivarienne. Et plutôt que de me croire simplement sur parole, prenez votre calculette et comparez l’indice de l’inflation vénézuélienne avant et après l’élection de Chavez. Étonnant, non ? Le FMI dit qu’elle a baissé mais The Economist dit qu’elle a augmenté.
The Economist termine son article en demandant si les Vénézuéliens « accepteront docilement une forte baisse de leur niveau de vie »… sauf que la question est purement hypothétique. Selon la CEPAL (ONU), rien qu’e 2012, la pauvreté est tombée (de 21, 9 % en 2011 à 19% en 2012). Les salaires continuent à augmenter, la croissance se maintient et le chômage poursuit sa chute (6,6 % en novembre 2013). Le gouvernement dispose de réserves monétaires suffisantes pour amplifier les politiques sociales (Voir « l’apocalypse tant espérée n’aura pas lieu« ) (4)
“Le Centre National Électoral et la Cour Suprême sont des tricheurs, tout est contre nous … »
Parmi les préoccupations de The Economist pour de fictives dégradations du niveau de vie ou débâcles générales de l’économie, une autre perle s’est glissée dans “l’analyse” : “Quand Mr Capriles a remis en cause les résultats de l’élection d’avril, le Centre National Électoral et la Cour Suprême ont refusé d’examiner ses preuves”.
…Sauf qu’ils l’ont fait.
Lorsqu’elle a annoncé la décision de la Cour Suprême de rejeter la demande d’annulation du scrutin par la droite, la Magistrate Gladys Gutierrez a déclaré que Capriles n’avait pas présenté de “preuves suffisantes” à l’appui de ses dénonciations d’une victoire frauduleuse de Maduro, ajoutant que le dossier de l’opposition était tellement léger qu’il “dépréciait le débat démocratique”.
Le malheur pour The Economist, c’est que lorsqu’on détecte l’origine de ses opinions, on comprend aisément pourquoi les faits ne comptent pas à ses yeux. L’analyse du magazine ressemble en réalité à la copie de l’écolier qui a oublié d’étudier la veille au soir et remet un plagiat de son voisin de pupitre, fautes y comprises. Les réponses fournies par The Economist sont extraordinairement semblables à celles de Capriles. Sa récente interview à l’Universal égrène les points qui résument exactement la position de The Economist. Avec tant d’exactitude que ces phrases de Capriles m’ont été très utiles pour ordonner mes notes et rédiger les intertitres de cet article. Voici quelques échantillons de ses propos :
“Nous avons un pays divisé, aucun n’a obtenu 50%…”
“Je crois que le message d’un possible changement n’a pas été compris par la population … si j’avais réussi cela, alors nous aurions aujourd’hui un pays repeint en bleu (couleur de la droite, NdT).”
“Le gouvernement est un tricheur qui joue salement, il ne respecte pas les lois…”
“Le Centre National Électoral et la Cour Suprême sont des tricheurs, tout est contre nous … »
Source : Venezuelanalysis.com
Traduction de l’anglais : Thierry Deronne
Notes :
(1) En plus des médias privés qui font 80 % d’audience au Venezuela, les opposants peuvent compter sur les chaînes publiques qui, en vertu des règles du Centre National Électoral, donnent la parole à tous les candidats. Pour l’anecdote, le président Maduro a décidé de recevoir le 18 décembre 2013 au palais présidentiel l’ensemble des maires de droite élus aux dernières municipales. La réunion a été retransmise en direct par la télévision publique, et les téléspectateurs ont écouté les maires exprimer leurs désaccords en toute liberté. Ce genre de réunion ne s’était jamais produite sous les régimes “démocratiques” d’avant Chavez.
(2) A ce jour, la droite n’a dénoncé ni expulsé un seul de ses membres pour faits de corruption, se contentant de dénoncer via ses médias une “persécution politique”, tactique qu’elle utilise également en Equateur ou en Bolivie. Le Parti Socialiste Unifié du Venezuela, lui, a commencé à mettre de l’ordre dans ses rangs, comme en témoigne entre autres l’arrestation pour corruption en bande organisée de Edgardo Parra, maire PSUV de Valencia, une des principales villes du Venezuela. Par ailleurs, les enquêtes que mène le gouvernement bolivarien ministère par ministère pour détecter les réseaux mafieux a entraîné la mise en examen de centaines de fonctionnaires dans les quatre derniers mois.
(4) Sur le mythe d’une économie mal en point au Venezuela, lire « L’apocalypse tant espérée n’aura pas lieu », http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/11/10/venezuela-lapocalypse-tant-esperee-naura-pas-lieu/
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URL de cet article : http://venezuelainfos.wordpress.com/2013/12/30/the-economist-economise-la-verite-sur-le-venezuela/