Deux pays, le Bahreïn et le Bélarus, passent de la catégorie “pays sous surveillance” à celle des “Ennemis d’Internet”. Le Venezuela et la Libye quittent la liste des pays “sous surveillance”, l’Inde et le Kazakhstan y font leur entrée.
“Les changements apportés à cette liste reflètent les récentes évolutions de la liberté d’information en ligne”, a commenté Reporters sans frontières. “Les net-citoyens ont été, en 2011, au cœur des changements politiques qui ont affecté le monde arabe. Ils ont tenté, aux côtés de journalistes, de tenir la censure en échec mais en ont, en contrepartie, payé le prix fort.
“2011 restera comme une année d’une violence sans précédent contre les net-citoyens. Cinq d’entre eux ont été tués alors qu’ils étaient engagés dans une mission d’information. Près de 200 arrestations de blogueurs et net-citoyens ont été répertoriées en 2011, soit une hausse de 30 % par rapport à l’année précédente. Un bilan sans précédent qui risque fort de s’alourdir compte tenu de la violence aveugle déployée par les autorités syriennes, notamment. Plus de 120 net-citoyens sont emprisonnés à ce jour”, a déploré l’organisation
“À l’occasion de la Journée mondiale contre la cybercensure, Reporters sans frontières tient à rendre hommage à ces simples citoyens qui risquent parfois leurs vies ou leur liberté pour nous tenir informés et faire en sorte que la répression ne se produise pas à huis-clos”.
L’organisation a ajouté : “À mesure que la censure et le filtrage accentuent la partition du Web et la ségrégation digitale, la solidarité entre défenseurs d’un Internet libre et accessible à tous est plus que jamais vitale pour bâtir ou préserver des passerelles entre les net-citoyens et faire en sorte que l’information continue à circuler.”
**Entre surveillance et filtrage, la brèche ténue des net-citoyens**
Le précédent rapport, publié en mars 2011, soulignait la consécration des réseaux sociaux et du rôle du Web comme outil de mobilisation et de transmission d’informations dans le contexte des mouvements de soulèvements populaires dans le monde arabe. Les mois suivants ont été marqués par une surenchère de la violence menée par les régimes répressifs contre ce qu’ils ont perçu comme des tentatives de déstabilisation.
Parallèlement, des pays dits démocratiques continuent à céder aux tentations sécuritaires ou à prendre des mesures disproportionnées pour protéger le droit d’auteur. La pression s’accroît sur les intermédiaires techniques, encouragés dans certains pays à jouer un rôle de police du Net. Des sociétés de surveillance deviennent les nouveaux mercenaires d’une véritable course à l’armement en ligne. Les hacktivistes apportent leur expertise technique aux net-citoyens pris dans les tenailles des appareils répressifs. Les diplomates entrent également en jeu. La liberté d’information en ligne représente plus que jamais un enjeu majeur de politique extérieure et intérieure.
**Deux nouveaux Ennemis d’Internet : le Bahreïn et le Bélarus**
Le Bahreïn et le Bélarus rejoignent l’Arabie Saoudite, la Birmanie, la Chine, la Corée du Nord, Cuba, l’Iran, l’Ouzbékistan, la Syrie, le Turkménistan et le Viêt-nam, dans la liste des ’“Ennemis d’Internet”. Ces pays conjuguent souvent problème d’accès, filtrage sévère, traque des cyberdissidents et propagande en ligne.
Le Bahreïn offre l’exemple d’une répression réussie grâce au black-out de l’information rendu possible par un impressionnant arsenal de mesures répressives : mise à l’écart des médias étrangers ; harcèlement des défenseurs des droits de l’homme ; arrestations de blogueurs et net-citoyens (dont l’un est mort en détention) ; poursuites judiciaires et campagne de diffamation contre des militants de la liberté d’expression ; perturbations des communications, notamment pendant les grandes manifestations.
Au Bélarus, à mesure que le pays s’enferre dans l’isolement politique et le marasme économique, le régime du président Loukachenko tente de placer le Web en coupe réglée. Internet a subi de plein fouet la violente réaction des autorités à la “révolution par les médias sociaux”. La liste noire des sites inaccessibles s’est allongée, le web a été partiellement bloqué au cours des “protestations silencieuses”. Des internautes et blogueurs ont été arrêtés, d’autres invités par la police à des “conversations préventives” afin de les inciter à renoncer à manifester ou à couvrir les manifestations, des sites ont été victimes de cyberattaques. Enfin, la loi n°317-3, entrée en vigueur le 6 janvier 2012 au Bélarus, a entériné la surveillance du Net et renforcé le dispositif de contrôle du Web au Bélarus, en y ajoutant un arsenal répressif.
**L’Inde et le Kazakhstan font leur entrée dans la liste des pays “sous surveillance”**
Depuis les attentats de Bombay en 2008, les autorités indiennes ont renforcé leur surveillance du Web et la pression sur les intermédiaires techniques, tout en rejetant publiquement les accusations de censure. La politique de sécurité nationale de la plus grande démocratie du monde fragilise la liberté d’expression en ligne et la protection des données personnelles des internautes.
Le Kazakhstan, qui se veut un modèle régional après avoir assumé la présidence tournante de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) en 2010, semble mettre de côté ses belles promesses pour s’engager résolument sur le chemin de la cybercensure. En 2011, un mouvement social inédit a contribué à crisper les autorités encore davantage et les a poussées à renforcer le contrôle de l’information. Le régime a procédé à des blocages de sites d’information, des coupures des communications aux alentours de la région de Janaozen au moment de troubles, et a imposé de nouvelles régulations liberticides pour le Net.
**Le Venezuela et la Libye quittent la liste des pays sous surveillance**
En Libye, les défis restent nombreux mais la disparition du colonel Kadhafi et la chute de son régime ont mis fin à une ère de censure. Avant sa chute, l’ex-prédateur de la liberté de la presse avait tenté de mettre en place un blackout de l’information, en coupant l’accès au Net.
Au Venezuela, l’accès au Web reste libre. L’autocensure est certes difficile à évaluer, mais l’adoption, en 2011, de législations potentiellement liberticides pour le Net n’a pour le moment pas été suivie d’effet particulièrement néfaste. Reporters sans frontières reste cependant vigilante, alors que les relations entre le pouvoir et les médias critiques sont tendues.
**La Thaïlande et la Birmanie aux portes des Ennemis d’Internet**
Si la Thaïlande continue cette politique de surenchère du filtrage et de condamnations de net-citoyens au nom du crime de lèse-majesté, elle pourrait rejoindre le clan des pays les plus liberticides envers le Web.
A l’inverse, la Birmanie pourrait prochainement quitter la liste des “Ennemis d’Internet” si elle prenait les mesures nécessaires. Le pays est engagé dans une période d’ouverture encourageante, marquée par la libération de journalistes et de blogueurs et la levée du blocage de sites d’informations. Il doit désormais concrétiser les réformes, abandonner complètement la censure, libérer les journalistes et blogueurs toujours détenus, démanteler l’appareil de surveillance du Net, et abroger l’Electronic Act.
**Autres sujets d’inquiétude**
D’autres pays ont emprisonné des net-citoyens ou assuré une forme de censure du Net, notamment le Pakistan qui a très récemment lancé un appel d’offres pour le déploiement d’un système national de filtrage du Net comparable à une grande muraille électronique. Même s’ils ne figurent pas sur ces listes, Reporters sans frontières reste également vigilante quant à la situation de la liberté d’information en ligne, notamment dans des pays comme l’Azerbaïdjan, le Maroc et le Tadjikistan.