Dans le cadre de l’ISDS (Mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États), les entreprises et les riches ont réclamé des milliards d’euros aux gouvernements ; pour toutes les raisons, qu’il s’agisse de l’introduction d’avertissements sanitaires sur les paquets de cigarettes ou de l’interdiction du forage pétrolier polluant. Citoyens, militants et mouvements sociaux s’unissent en 2019 pour mettre fin à ce système de justice parallèle pour les grandes entreprises.

Vous pouvez signer notre pétition

 

Attendez une minute. Je ne comprends vraiment pas ce qu’est l’ISDS

Laissez-moi vous expliquer. L’ISDS, abréviation de « Investor-State dispute settlement » en anglais, donne aux sociétés transnationales un énorme pouvoir. C’est un système qui leur permet de réclamer des sommes illimitées à des pays où elles ont des investissements, par exemple une usine, un champ pétrolier ou même une partie d’une entreprise. L’ISDS permet à une société de faire une réclamation contre un pays si il adopte de nouvelles lois, des décisions judiciaires ou d’autres décisions qui limitent (même potentiellement) les bénéfices de la multinationale. A titre d’exemple, le géant suédois de l’énergie Vattenfall poursuit l’Allemagne pour plus de 4,3 milliards d’euros plus les intérêts, car la décision du pays de mettre fin à l’utilisation de l’énergie nucléaire après la catastrophe de Fukushima, signifie la fermeture des anciennes centrales nucléaires de l’entreprise ; la société minière canadienne Gabriel Resources poursuit la Roumanie pour 4 milliards de dollars après que les tribunaux roumains ont conclu que la mine d’or toxique proposée par la société était illégale ; et la compagnie pétrolière britannique Rockhopper poursuit l’Italie jusqu’à 350 millions de dollars en dommages-intérêts après que le Parlement italien a interdit de nouvelles opérations pétrolières et gazières près de la côte italienne.

C’est scandaleux ! Un parlement devrait pouvoir prendre de telles décisions sans être poursuivi en justice

Exactement. Et les entreprises n’ont même pas besoin de gagner un procès pour obtenir ce qu’elles veulent. Parfois, une poursuite coûteuse, ou même la menace d’une poursuite, peut suffire à effrayer les décideurs de prendre des mesures pour reporter, affaiblir ou éliminer les règlements sur lesquels ils travaillent. C’est ce qui s’est produit lorsque le géant du tabac Philip Morris a poursuivi l’Australie en justice pour une loi sur la santé qui exigeait un emballage de cigarettes moins voyant. Rien que le fait de lancer l’affaire, Phillip Morris ça a eu un effet dissuasif sur d’autres pays qui, autrement, auraient pu adopter des lois semblables ; par exemple en Nouvelle-Zélande, où des projets d’emballage simples ont été reportés de plus de quatre ans jusqu’à la fin de l’affaire. Récemment, les Amis de la Terre en France ont révélé comment une compagnie pétrolière canadienne a utilisé la menace d’un procès investisseur-État pour affaiblir une loi française qui était censée mettre fin à des projets avec des combustibles fossiles ayant des effets sur le climat.

Mais ne devons-nous pas garder les combustibles polluants sur le sol si nous voulons stopper le réchauffement climatique ?

Vous avez raison. Mais l’ISDS donne aux grandes entreprises d’énormes pouvoirs pour empêcher les décideurs de procéder comme il se doit dans toutes sortes de règles, qu’il s’agisse d’arrêter l’exploration pétrolière, d’interdire les sacs en plastique ou de renverser une privatisation ratée. C’est pourquoi nous devons nous débarrasser de l’ISDS.

Mais comment ?

Premièrement, les pays doivent se retirer des accords ISDS existants. À l’échelle mondiale, plus de 2600 accords sont en vigueur, dont la plupart sont des accords bilatéraux négociés dans les années 1990. À l’époque, les pays ont signé l’accord dans l’espoir que ces traités attireraient les investissements, en restant largement inconscients des risques. Toutefois, depuis 2000, les contestations faites par les investisseurs contre les décisions légitimes d’intérêt public se sont multipliées à un rythme rapide. Craignant de se retrouver avec d’énormes factures à payer aux dépens des contribuables, l’Afrique du Sud, l’Indonésie, l’Inde et de nombreux autres pays ont annulé certains de leurs traités bilatéraux d’investissement. Récemment, les États membres de l’Union européenne ont annoncé qu’ils annuleraient tous leurs quelque 200 traités bilatéraux avec d’autres pays de l’UE. Sous l’ancien gouvernement de centre-gauche, l’Italie s’est également écartée du Traité sur la Charte de l’Energie, qui est fondamentalement une question importante pour l’ISDS dans le secteur de l’énergie (pour en savoir plus, voir ici p.30). Il y a également des propositions sur la manière dont l’ISPC pourrait être arrêtée au niveau mondial, selon une approche un peu systématique.

C’est donc facile de se retirer de ces accords ?

Oui et non. Les traités ISDS peuvent être annulés par consentement mutuel à tout moment. Mais légalement, la plupart doivent être en vigueur pendant plusieurs années avant de pouvoir être abolis par une seule des parties. Et lorsqu’un pays annonce ses plans d’annulation, il peut être soumis à de fortes pressions pour maintenir ses accords avec l’ISPS. Lorsque l’Afrique du Sud a annoncé la fin de certains traités avec les États membres de l’Union européenne, par exemple, la Commission européenne et les lobbyistes des entreprises ont menacé de réduire leurs investissements.

Très insolent !

En effet. Mais les tactiques de peur semblent être pires que la réalité. Dans la pratique, l’abandon de l’ISDS n’a pas diminué les flux d’investissement des pays. Cela aussi devient de plus en plus courant. Selon les données de l’ONU, au moins une centaine d’accords d’investissement ont pris fin depuis 2012. Plus d’un millier d’entre eux ont atteint un stade où ils peuvent maintenant être abandonnés unilatéralement. Les décideurs politiques sont donc aujourd’hui confrontés à un océan historique d’opportunités. Nous avons atteint un point de basculement où plus de traités ISDS s’achèvent que ceux qui ont été conclus récemment.

Attendez. Y a-t-il des gouvernements qui signent encore de nouveaux accords ISDS ?

Malheureusement, oui. L’UE vient de faire savoir que l’ISDS traite avec Singapour et le Vietnam (bien que sous un nom différent, l’ICS ou Système des Tribunaux d’investissement, afin d’éviter toute controverse). L’accord de Singapour sera voté par le Parlement européen en février 2019. Un autre accord, le CETA (Accord économique et commercial global) entre l’UE et le Canada a déjà été approuvé par le Parlement européen, mais doit encore être ratifié par les parlements de plus d’une douzaine d’États membres de l’UE avant l’entrée en vigueur de leurs privilèges d’investissement au titre de l’ISDS. D’autres accords d’investissement sont conclus avec le Japon, le Mexique, la Chine et de nombreux autres pays.

Ça a l’air fou

Je sais. Et ce n’est même pas la dernière. L’UE fait également pression en faveur d’un tribunal mondial pour les multinationales, une sorte de ISDS pour le monde entier !

Maintenant, je ne sais pas si je suis fatigué ou déprimé…

Je comprends, mais regardez : Plus le public en apprend sur l’ISDS, plus l’opposition se renforce. Ce projet de tribunal de commerce international en est encore à ses débuts et pourrait encore dérailler. Il en va de même pour tout nouvel accord qui inclut les privilèges corporatifs extrêmes de l’ISDS.

Comment ?

Avec le pouvoir des gens. Nous devons exercer une pression publique massive sur les gouvernements et les parlements. On l’a déjà fait auparavant, et ça a marché. Dans les années 1990, l’opposition publique a renversé l’Accord multilatéral sur les investissements, un accord mondial de l’ISDS. Plus récemment, l’accord commercial sur le TTIP* qui aurait donné des pouvoirs sans précédents aux multinationales, a également été rejeté. On peut le refaire.

*TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) = Traité de libre-échange transatlantique

 Mais alors qui est ce « nous » ?

Une large alliance de plus de 150 groupes de la société civile, syndicats, mouvements sociaux et individus de toute l’Europe et du monde entier. Et avec un peu de chance, vous aussi. Nous sommes en train de travailler ensemble pour empêcher nos gouvernements de signer de nouveaux accords ISDS, pour rompre avec les accords existants et pour introduire de nouvelles règles afin de responsabiliser les multinationales, par exemple en appuyant un traité exécutoire des Nations Unies pour faire cesser les violations des droits humains commis par ces dernières.

Et ça peut marcher ?

L’opposition à l’ISDS vient de nombreux secteurs différents de la société. En Europe, un nombre record de 3,5 millions de personnes ont signé une pétition contre les privilèges des investisseurs dans le CETA et le TTIP. Plus de 2100 collectivités locales et régionales ont tiré la sonnette d’alarme. Les syndicats, les consommateurs, les groupes de défense de l’environnement et de la santé publique rejettent l’ISDS, tout comme de nombreux experts juridiques, économistes de renom et experts des Nations Unies. Dans des pays comme l’Allemagne, la France et les Pays-Bas, les études des médias de communication ont révélé le pouvoir des affaires à un grand nombre de personnes. La Cour de justice européenne a même jugé que l’ISDS était incompatible avec le droit de l’Union européenne.

D’accord. Alors, qu’est-ce que je peux faire ?

Vous pouvez signer notre pétition.

Elle exige que l’UE et ses États membres se retirent des accords ISDS existants et n’en concluent pas de nouveaux. Elle leur demande également d’introduire de nouvelles règles afin de responsabiliser les entreprises. Si cela se produit dans l’UE, cela pourrait porter atteinte à l’ISDS dans le monde entier, et constituer une forte impulsion pour créer un système mondial rigide à même de punir les multinationales pour leurs crimes.

Vous pouvez également contacter les militants locaux et leurs représentants élus pour les sensibiliser à ce problème. Il y aura des manifestations de rue. Et de nombreux moments pour générer de la pression. Consultez le site Web de la campagne, sur Facebook et Twitter pour les contacts et les mises à jour.

Nous avons une année entière pour changer l’équilibre du pouvoir pour les gens et la planète. Ce serait merveilleux de vous avoir parmi nous.

Lisez les publications les plus importantes de l’ISDS de l’Observatoire des entreprises d’Europe.

 

Traduit de l’espagnol par Ginette Baudelet