Philemon Moubeke est doctorant en histoire du droit et des institutions à l’Université de Yaoundé II au Cameroun. Ses recherches s’articulent autour d’une théorie du droit propre à l’Afrique et qui pourrait répondre à ses enjeux contemporains. Pour ce faire, il revisite dans ses travaux les modes d’organisation des sociétés africaines depuis l’Egypte ancienne. Il tente, ainsi, de puiser dans le répertoire culturel ancien de l’Afrique pour élaborer une théorie d’organisation sociale autre que celle adoptée, à la suite de la colonisation.
C’est dans le cadre de notre série « Racines d’Afrique », soutenue par la Fondation Gerda Henkel, qu’il a bien voulu se prêter au jeu de question-réponse avec nos abonnés sur les réseaux sociaux.
Séverin (Cameroun) : Quelles relations établissez-vous entre nos institutions et les institutions importées?
Je dirais que de manière globale il y’a un dessaisissement des institutions africaines par l’État importé. Ceci est vrai aussi bien pour l’État colonial que pour l’État indépendant. La colonisation ayant vocation à nous civiliser (c’est à dire à nous sauver de nous-mêmes). Les institutions de l’État, arrière monde de l’ordre colonial, sont ainsi pensées sous le prisme de la minoration et l’assujettissement. Il s’agit donc de dynamiques exclusives des rationalités locales. La reconnaissance des institutions africaines est à minima.
Sita (Guinée) : Je voudrais savoir le type de régime politique qui était appliqué en Afrique ainsi que les modes d’organisation. Aussi, pouvez-vous nous en dire plus sur la charte du Mandé, communément appelée Kouroukan Fouga ?
La question du pouvoir politique avait déjà été résolue en Afrique noire depuis la protohistoire (la haute antiquité), avant même l’Égypte, en Éthiopie (dans le bassin de l’Homo). Ceci, à travers deux modalités : la succession dynastique et la gérontocratie rotative. Ces deux modalités fondent la stabilité des sociétés de lignage, des clans et des tribus. Le regroupement de ces entités donnera naissance aux empires. Sauf que l’arrivée des Arabes au nord de l’Afrique en 639 de notre ère va entraîner des modifications substantielles du point de vue de la hiérarchisation et de l’absolutisme du pouvoir dans les sociétés islamisées.
Quant à la constitution de l’Empire mandingue, elle postule au fond le principe de non outrage. Et l’on situe ses origines dans le code égyptien des vertus cardinales. Ce code se retrouve dans la plupart des sociétés traditionnelles africaines. Par exemple chez les Bafia du centre Cameroun, on l’appel nkpa’a. Pour ce qui est de la forme, c’est un code oral. Il a été rédigé juste pour prouver à l’Occident que l’Afrique dynastique a une Constitution (comme si on prouvait que nous sommes aussi des hommes). Et la question fondamentale que pose la forme de cette charte est celle de l’épistémologie (théorie de la connaissance) de lecture des sociétés africaines.
Djibril (Guinée) Qu’en est-il de l’écriture en Afrique et de la religion avant l’arrivée des religions dites révélées?
L’écriture est née en Afrique à travers les caractères éthiopiens que les égyptiens vont appeler nedou netjer (paroles de dieu) : c’est cette écriture que les Grecs appelleront hiéroglyphes (graphiques sacrés). Ce sera la base du proto alphabet égyptien, d’où on tire l’alphabet phénicien, l’alphabet grec et mêmes l’hébreu. Le papier vient aussi de là, du terme papyrus. Alors déduisez vous-même. Quant à la religion, quelque soit la tradition religieuse ou la spiritualité que vous prenez, l’étude des origines vous renvoie en Éthiopie avec le culte d’Amon. Atum, Amon, Ré Râ sont les dénominations que nos ancêtres donnaient au dieu unique depuis la protohistoire, dans la vallée de l’Homo. Les Juifs découvrent ce dieu avec l’arrivée de Ben Tera (Abraham ou Ibrahim) à Canaan (fils de cham). Et ils vont l’appeler Yahwe. Les Européens découvrent ce message avec l’invasion d’Alexandre le Grand. Les Arabes le découvrent après le concile de Chalcédoine, un débat qui a déchiré l’église d’Orient entre les nestoriens et les neophysites, sur la divinité du christ biblique.
Prince (RDC) : Pouvez-vous nous parler des rites autour de la mort des chefs traditionnels en Afrique ? Actuellement quand un chef traditionnel meurt, on ne l’enterre pas immédiatement mais plutôt après quelques jours.
De manière générale, la mort ne faisait pas peur à nos ancêtres, du fait de l’interconnexion des mondes. Mais aussi en raison du principe d’une vie dictée par la recherche de l’intégrité: le principe de non outrage. Seule la mort d’un jeune homme était vécue comme un drame. Pour ce qui est du cas spécifique du chef traditionnel, sa mort avait une portée singulière, non seulement du fait de ses fonctions, mais aussi parce qu’il personnifiait le lien avec l’au-delà, le monde des ancêtres. Les modalités d’enterrement dépendaient d’un groupe social à un autre. Il existait aussi la procédure de destitution du chef (processus inversion sociale) qui se soldait généralement par la mort.
Ghys (Cameroun) : Ma question est celle de savoir s’il est possible d’ériger la coutume en droit dans un contexte marqué par la forte prédominance du droit écrit ?
Partant de la définition du droit comme norme de régulation sociale, la coutume obéit à la même logique. À chaque société ses mécanismes de régulation. La différence fondamentale est que le droit se fonde sur les théories anthropocentriques et la coutume se fonde sur la Cosmogénèse. On a donc affaire à une confrontation entre les registres autonomes et hétéronomes de régulation, entre le rationnel et le transrationnel. Nous méprisons la coutume parce que la colonisation nous a apprit le désamour de nous-mêmes. D’où la comparaison de la coutume au droit légiféré et l’abandon de notre paradigme pour accéder à la civilisation. Rappelons qu’il s’agit là de deux prémisses herméneutiques.