Par Paul Quilès, de son blog.

Depuis plus de soixante-dix ans, les tenants de la dissuasion nucléaire expliquent avec force que la destruction complète des villes japonaises d’Hiroshima et de Nagasaki a eu les effets escomptés, puisque le choc et l’effroi furent si terribles que le pouvoir japonais décida de capituler sans condition. Au regard de la réalité de l’Histoire, comme le permettent aujourd’hui le recul du temps et l’ouverture des archives, il apparaît que cette sorte d’évidence populaire « la bombe atomique a mis un terme à la seconde guerre mondiale » est tout simplement fausse…

Le fait que l’utilisation de l’arme atomique ne soit pas l’élément déclencheur de la capitulation japonaise démontre que le pouvoir conféré à ces armes, né sur les cendres d’Hiroshima et de Nagasaki, a toujours été disproportionné. Cela devrait faire réfléchir les dirigeants politiques et militaires attachés au concept de dissuasion nucléaire. Ce concept, machiavélique et suicidaire, n’est rien d’autre qu’une « vengeance posthume », si bien décrite par Ronald Reagan en 1985, alors qu’il était encore président des Etats Unis (interview dans Time):

« Vous apprenez que des missiles soviétiques ont été lancés, vous savez que, désormais, plus rien ne peut les arrêter et qu’ils vont détruire une partie de votre pays, beaucoup plus grande que ce que vous pouvez imaginer. Et vous êtes assis là, sachant que tout ce que vous pouvez faire est d’appuyer sur le bouton pour que des Soviétiques meurent aussi, alors que nous serons déjà tous morts. »

Voici un extrait du premier chapitre du livre « L’illusion nucléaire », que j’ai écrit avec Jean-Marie Collin et Michel Drain et qui décrit cette mystification.

***************

Les faits

6 août 1945. Un bombardier américain de type B-29 arrive au-dessus de la ville japonaise d’Hiroshima qui accueille le quartier général de l’armée en charge de défendre le sud du pays et un vaste entrepôt militaire. À 8h15 précisément, ce bombardier, nommé Enola Gay, largue une bombe atomique, qui porte le nom de Little Boy (petit garçon), au-dessus du centre de la ville à une altitude de 600 mètres. La bombe, d’une puissance estimée de 15 kilotonnes 1, va tout détruire dans un rayon de 6 kilomètres, tuant sur le coup près de 80 000 personnes, dont une écrasante majorité de civils. À la suite de l’annonce de la réussite de la mission de bombardement, le président Truman publie un communiqué de presse pour annoncer au monde entier l’utilisation de la bombe atomique et menacer le Japon « d’une vague de destructions » s’il ne se rend pas.

9 août. Nagasaki est un port naval important qui compte de grandes installations industrielles. A 10h58 du matin, le scénario vécu 3 jours plus tôt à Hiroshima va se répéter. Un bombardier B-29 largue une bombe d’une puissance de 20 kilotonnes, nommée Fat man (gros bonhomme), explosant à moins de 500 mètres d’altitude et provoquant en quelques secondes, la mort brutale de 74 000 personnes et la destruction de la ville sur 3,8 Km2. Au cours de cette journée, les dirigeants japonais se réunissent pour discuter de la reddition.

10 août. L’Empereur Hiro-Hito annonce la capitulation du Japon sans condition. Après avoir réglé un certain nombre de modalités, c’est sur le pont du cuirassé américainMissouri, en baie de Tokyo, que la capitulation est signée le 2 septembre 1945. La guerre mondiale est terminée.

Au lendemain de l’utilisation des bombes nucléaires, puis de la reddition du Japon, les journaux du monde entier donnèrent à cette nouvelle arme la faculté d’avoir apporté la paix : « La paix dans le Pacifique : grâce à notre Bombe ! » titra par exemple le journal américain Seattle Post-Intelligencer. Il faut dire qu’au vu des évènements rapportés par les autorités des Etats-Unis, il eut été difficile de dire autre chose. Pour l’écrasante majorité des commentateurs de l’époque, « l’arme de la victoire » a évité une guerre encore longue et coûteuse en hommes.

Au premier abord, comment penser autrement ? Des dizaines de raids aériens stratégiques menés sur l’Allemagne et le Japon n’avaient pas fait capituler le Japon. Il restait dans toutes les mémoires les gigantesques opérations de bombardement aérien sur la ville allemande de Dresde ou encore le souvenir des 327 bombardiers B-29 écrasant Tokyo sous les bombes, le 13 avril 1945. Et pourtant, l’Allemagne nazie et l’empire japonais n’avaient pas capitulé pour autant. En revanche, deux villes détruites par deux bombes nucléaires extrêmement puissantes avaient instantanément amené les dirigeants japonais à le faire. Bien plus que la capacité de destruction, ce serait l’effet psychologique consécutif à l’utilisation de ces armes d’un genre nouveau qui aurait mis à terre l’Empire nippon.

C’est sur la base de cette analyse que les relations internationales se sont construites au lendemain de 1945 et que l’on retrouve encore dans le discours des dirigeants des pays qui possèdent la bombe. Ainsi, il est primordial au regard de l’Histoire, maintenant que les archives s’ouvrent véritablement, de savoir si les bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki ont entrainé la décision du Japon de capituler. Dans le cas contraire, c’est la question de la pertinence de la dissuasion qui sera posée.

Le déroulement réel des évènements

En cette année 1945, le Japon se voit infliger de nombreuses défaites. Dans la nuit du 9 au 10 mars, Tokyo va connaître, selon l’historien militaire et ancien pilote américain Kenneth P. Werrel, « l’un des raids aériens les plus meurtriers de tous les temps, surpassant Dresde, Hambourg et Nagasaki, d’une échelle comparable à Hiroshima, et certainement l’un des plus destructeurs ». Un tiers de la ville, soit 40 km2 et au moins 120 000 personnes périssent. Quelques mois plus tard, entre le 17 juillet et le 5 août 1945, de nombreuses villes sont bombardées par les forces américaines. Chaque jour, le haut commandement recevra des informations sur la destruction de villes : Kuwana, Oita, Hiratsuka, Numazu (réduite en cendres à 90%) le 17 juillet. Le 20, c’est la ville de Fukui qui est détruite à 80 % et deux autres qui subissent des attaques. Puis, en moins de 10 jours, 7 nouvelles villes (dont Ichinomiya, détruite à 75 %) sont atteintes et encore 8 autres (dont Toyama, détruite à 99,5%) jusqu’au 5 août. Le lendemain, 6 août, une seule ville, Hiroshima, est détruite.

Au cours de l’été 1945, le Japon a vu 68 de ses villes être dévastées, dont deux par des bombes atomiques. « Si la destruction d’une ville avait pu provoquer cette décision, pourquoi cela n’a-t-il pas été le cas pour n’importe laquelle des soixante-six autres ? » s’interroge ainsi Ward Wilson, expert américain, qui dénonce le mythe selon lequel la bombe atomique aurait mis fin à la seconde guerre mondiale2

Les militaires japonais, « habitués » aux destructions massives de leurs villes, ne considèrent pas que le bombardement d’Hiroshima entraîne l’ouverture d’une période de crise, exigeant une réponse immédiate. Ainsi, c’est seulement le 8 août que le ministre des Affaires étrangères, Togo Shigenori, rencontre le Premier ministre Suzuki Kantaro et demande que le Conseil suprême soit convoqué pour débattre du bombardement d’Hiroshima. Mais, les membres n’étant pas disponibles, ce conseil est tout simplement annulé. Ces dirigeants n’ont donc pas considéré le bombardement d’Hiroshima comme un choc susceptible de déclencher une crise. Cette analyse est confortée par l’attitude du lieutenant général Kawabe, qui, tout en écrivant dans son journal avoir éprouvé un « sérieux coup » face à la destruction d’Hiroshima, déclare qu’il faut « être tenace et poursuivre le combat ». Ce haut gradé japonais n’avait donc pas l’intention d’abandonner la lutte, au contraire !

Conformément aux engagements pris par Staline auprès de Roosevelt à la conférence de Yalta (février 1945), l’Union soviétique entre en guerre contre le Japon exactement trois mois après la capitulation allemande. C’est ainsi que le 9 août à minuit, l’invasion prévue de longue date à la fois sur les territoires chinois (comme la Mandchourie) et sur Sakhaline débute. Ce fait déclenche alors rapidement une crise à Tokyo. Le Conseil suprême se réunit le 9 août pour discuter de la capitulation inconditionnelle. Il faut dire que, tout d’un coup, le Japon se trouve pris en étau entre les Américains et les Soviétiques.

C’est alors, en fin de matinée du 9 août, que la seconde bombe atomique est larguée sur Nagasaki. Le Conseil suprême ne sera informé de cette nouvelle destruction d’une ville qu’en début d’après-midi…..mais cela fait plusieurs heures qu’il est réuni et qu’il a décidé la capitulation !

Clairement, Hiroshima n’est pas l’élément décisif au plan stratégique qui aurait mis fin à la seconde guerre mondiale, comme cela est pourtant répété depuis 70 ans. C’est bien l’entrée en guerre de l’Union soviétique qui a radicalement changé la vision japonaise et poussée à l’abandon. Le mythe est mort.

(….)

_____________________________________________________________________

[1] Soit un équivalent de 16 000 tonnes d’explosif conventionnel trinitrotoluène, dit TNT.

[2] Ward Wilson, « armes nucléaires et si elles ne servaient à rien, 5 mythes à déconstruire »collection Les Livres du GRIP, mars 2014.

 

Source : http://paul.quiles.over-blog.com/2018/08/le-mensonge-a-propos-d-hiroshima.html