MADRID – Les « indignés » ont repris possession pour trois jours de la place Puerta del Sol à Madrid, point de départ symbolique du mouvement, y ont convergé samedi cinq itinéraires de marcheurs en provenance de toute l’Espagne. Chaque groupe s’est installé à un endroit précis de Madrid pour se reposer et échanger avec les personnes de l’extérieur venues les accueillir.
Ils ont été rejoints par d’autres « indignés » venus de province en autocar ou en voiture et par des habitants des différents quartiers de la capitale, toujours mobilisés par les assemblées de quartier.
« Les assemblées de quartier restent très actives, » expliquait Lola Marina, une habitante de Batan, un quartier de l’ouest de Madrid. « Nous nous réunissons tous les samedis, nous menons différentes actions, par exemple distribuer des livres aux enfants, empêcher les expulsions de propriétaires surendettés », ajoutait cette femme de 55 ans, mère au foyer, commerçante au chômage et grand-mère qui, comme de nombreux citoyens espagnols, soutient le mouvement.
Tout au long de l’après-midi a eu lieu une marche, de la gare d’Atocha pour rejoindre la place de Puerta del Sol, au travers des avenues du centre de Madrid. Aux cris de « allons au Congrès », ils se sont brièvement arrêtés à l’entrée de la rue menant au Parlement, barrée par plusieurs rangées de fourgons de police, pour manifester une nouvelle fois leur colère contre les actions des hommes politiques.
Dans la soirée, plus de 80.000 manifestants ont envahi une nouvelle fois la Puerta del Sol, sous des banderoles portant les mots: « Wake up – Vous n’avez pas honte de jeter les gens à la rue ? » ou encore « Au début ils t’ignorent, ensuite ils se moquent de toi, ils te mettent des bâtons dans les roues et finalement c’est toi qui gagnes» ou « cette crise, nous ne la payerons pas ! »
Depuis un mois, de petits groupes équipés de matériel de camping ont parcouru des centaines de kilomètres depuis Barcelone, Malaga, Valence, Bilbao, la Galice ou l’Estrémadure, organisant des assemblées populaires dans chaque village. Direction Madrid, où les « indignés » se sont donné rendez-vous samedi et dimanche pour dénoncer les abus du capitalisme,la corruption, pour accuser les hommes politiques de ne pas représenter les citoyens et les banquiers de piller leur fortune.
Armés de marteaux, de planches et de ficelles, les manifestants ont dressé quelques stands sur la Puerta del Sol, dont un avec une sculpture improvisée représentant les capitalistes nous pressant le cerveau, un autre représentant le danger de la privatisation de l’eau à Madrid, ville qui a retrouvé pour trois jours des airs hippies et festifs très colorés.
Sur le stand cuisine Rafael Rodriguez Ballesteros, 56 ans, restaurateur au chômage lançait fièrement :
« Nous préparons la place pour accueillir les marches venues de province. Nous installons une nouvelle fois la grande cuisine »
Rafael est un de ceux qui pendant un mois a préparé des milliers de repas pour les occupants de la place. Pour le coin cuisine, simplement construit avec des pallets joints par des fils barbelés et protégé par des bâches reliées par des tuyaux en carton et du papier adhésif. Construction écologique et originale avec des matériaux de recyclage. Les volontaires s’offrent pour servir ou pour cuisiner pour tous ceux qui n’ont pas encore pu se nourrir.
Au même moment, les « marches indignées » atteignaient les portes de Madrid, rejointes par les habitants des quartiers de la capitale.
Tous les marcheurs rassemblés sur la place, en signe d’approbation maintenant devenu habituel, lèvent les mains lorsque tout le monde est d’accord. Chaque ville a pu exprimer son vécu durant le parcours et ses revendications pour un avenir meilleur.
Au milieu d’un grand écran, les indignés d’Europe se sont manifestés par des messages de soutien venant de Londres, de Grèce, de France, d’Italie, de Belgique, d’Islande …
Entre les tours de parole, des entractes musicaux nous transportent vers les années 60, les années de révolution qui ont initié le mouvement hippy, avec une nouvelle chanson des indignés créée par Walter Gonzalez et interprétée sur la route par Silvia Tomas.
Aussi un chanteur de flamenco, sur la route venue du Sud, reproduisait des airs de Manuel Pinto mais avec des paroles sur la honte ressentie face aux banquiers escrocs.
Le campement du samedi s’est préparé sur la Castellana ou des centaines de sacs de couchage et de tentes étaient installés sur la pelouse du parc.
Voici quelques slogans lancés par les indignés de différentes provenances :
VIGO : « Avec vous jusqu’à Bruxelles, avec vous jusqu’à la fin du monde »
BURGOS : « Pour ressentir votre affection, vos regards et sentir que nous ne sommes plus seuls »
BILBAO : « C’est encore pénible avec les brigades anti–émeutes :, nous étions 400 personnes et on ne nous permettait pas de camper légalement »
GRENADE : « J’ai pleuré, j’ai ri et j’ai eu du plaisir : c’est pourquoi je pense que cela vaut la peine d’être avec vous ! »
JEREZ DE LA FRONTERA : « Je propose de construire une nouvelle humanité, de transformer ce système établi sur des bases mafieuses par un changement en nous grâce à l’amour »
CANTABRIA : « Nous voulons dénoncer les manœuvres lamentables des USA qui veulent intoxiquer nos terres en injectant du gaz. »
« C’est un long chemin avec de nombreux pas et surtout un enseignement :
Madrid n’est qu’une étape sur le chemin, cette marche continue avec le consensus et vive les assemblées »
LA RIOJA : « Oui nous pouvons, tous ensemble, l’Europe, le monde, c’est un rêve qui deviendra une réalité ».
INTERVENTION D’UN PROFESSEUR :
« Ces journées que je passe avec vous m’ont enseigné plus de leçons que toutes celles que j’ai apprises avec mes élèves durant toute mon existence. Je vous crois, nous sommes le 15M, je vous aime !!! »
CANARIES : « Même si nous sommes loin comptez sur nous ! »
MALLORQUE : « La Méditerranée au lieu de nous séparer nous unit, les connaissances nous donnent du pouvoir et nous rendent plus libres ! »
IBIZA : « Peu importe d’où tu viens, ce qui compte c’est vers où tu te diriges ! »
TERUEL : « Nous sommes une des 50 provinces qui résistent à l’exode des populations et je suis heureux aujourd’hui que notre voix s’entende. A Teruel, notre population continue d’augmenter, contrairement aux autres villes. »
Dans la foule les messages se passent de bouche à oreille d’une file a une autre : « Quelqu’ un a perdu son audiophone, faites passer le message à l’estrade ! »
Un message de soutien de Barcelone à Madrid qui surprend quand on sait que l’Histoire ne les a jamais vues unies : « Madrid, toi aussi résiste ! »
MURCIE :
« 70 évacuations de logement ont été suspendues grâce aux marches des indignés. Et même si la garde civile oblige les gens à partir et à lever le camp, ne pensez pas que ceci se termine là. Car maintenant nous allons passer à l’action : nous allons occuper ces immeubles vides, ceux qui ont même des piscines et que les banques ont réquisitionnés ! Cela commence maintenant de Murcie à Madrid, nous vous demandons de vous unir, de nous soutenir mutuellement pour arriver en octobre et continuer, car ceci est bel et bien une révolution. »
UN COURAGEUX POLICIER INDIGNE A VISAGE DECOUVERT NOUS OFFRE UN TEMOIGNAGE EMOUVANT.
A minuit sonne le coup de grâce : une minute de bruit continu rugit dans la masse et est suivi par le cri du silence qui clôture la soirée.