Par Juan Cole, de ‘Informed Comment’
La France, la Belgique, l’Italie et d’autres pays européens sont en train de mettre en place des investissements libellés en euro et des canaux commerciaux soutenus par ces états qui permettent d’éviter la devise et les banques américaines. L’Italie à elle seule prévoit d’investir 5 milliards de dollars en Iran.
Malgré les graves problèmes économiques auxquels l’Iran est confronté, et malgré les véritables problèmes de répartition inégale des revenus, l’économie iranienne affiche des points positifs que la presse occidentale admet rarement. Dans l’année qui a suivi la levée des sanctions internationales lors de la signature de l’accord sur le nucléaire, du printemps 2016 au printemps 2017, l’économie a bondi de 16%. Elle s’installe maintenant dans une croissance régulière d’environ 4 % par an et tente de faire croître son économie non pétrolière. Le récent durcissement du prix du pétrole sera également utile. Tout progrès économique réalisé par l’Iran se heurte à une forte opposition américaine et à la volonté persistante de Washington de maintenir l’Iran pauvre et affaibli. Les manifestations de janvier 2018 ont mis en lumière les défis auxquels Téhéran est confronté pour satisfaire la population en dehors des grandes villes en ce qui concerne le chômage et le partage des bénéfices.
Pour ne citer qu’un exemple du problème auquel l’administration Trump se heurte pour isoler l’Iran sur le plan économique, le commerce iranien avec le Danemark a augmenté de 11 % en 2017, mais le plus important, c’est que les exportations iraniennes vers le Danemark ont augmenté de près de 38 %, ce qui donne à l’Iran une balance des paiements très favorable. Le Danemark n’est pas vraiment le Venezuela. C’est un petit pays conservateur d’Europe du nord qui fait partie de l’OTAN. Mais comme une grande partie de l’Europe, il a adhéré à l’accord sur le nucléaire de 2015, qui a levé les sanctions économiques internationales contre Téhéran. Les républicains du Congrès américain n’ont jamais accepté cet accord et ont tenté de le mettre à mal en maintenant les sanctions américaines contre l’Iran et, comme une mafia, ont menacé ceux qui font du commerce avec l’Iran. Mais le monde est de plus en plus insensible à ces menaces. Le Danemark et l’Iran ont commercé pour 320 millions de dollars l’année dernière et ce montant n’est rien comparé aux projets du reste de l’Europe.
La France, la Belgique, l’Italie et d’autres pays européens sont en train de mettre en place des investissements libellés en euro et des canaux commerciaux soutenus par ces états qui permettent d’éviter la devise et les banques américaines. Le département du Trésor a utilisé le statut du dollar de devise de réserve mondiale pour sanctionner les entreprises européennes qui font des affaires avec l’Iran en dollars et utilisent les banques et les bourses américaines. Mais si tous les instruments américains sont évités, le bureau de contrôle des avoirs étrangers du département du Trésor (dont beaucoup d’activités portent atteinte à la liberté d’expression et d’association et sont probablement anticonstitutionnelles) n’a que peu de recours devant les tribunaux internationaux et n’a plus de pouvoir. L’Italie à elle seule prévoit d’investir 5 milliards de dollars en Iran.
Cette poussée économique concertée de l’Europe vers l’Iran a scandalisé et irrité le conseiller à la sécurité nationale, H. R. McMaster, ainsi que les gouvernements israélien, saoudien et des Émirats arabes unis, qui espèrent convaincre le monde de rétablir des sanctions économiques contre l’Iran malgré la JCPOA, ou accord nucléaire. L’argument selon lequel les sociétés iraniennes appartiennent à l’armée iranienne ou aux organisations paramilitaires iraniennes est contrecarré par une pression iranienne concertée pour que les forces armées se désengagent de leurs principales entreprises afin de rassurer les investisseurs internationaux.
Dans la région, l’Iran a un excédent commercial extrêmement bénéficiaire avec l’Irak, lui fournissant pour plus de 6 milliards de dollars en marchandises par an, mais n’achetant en retour que pour quelques millions. Les échanges commerciaux iraniens avec la Thaïlande et l’Indonésie ont également bondi, et la Chine, l’Inde et la Turquie continuent d’ignorer ce qui ressemble de plus en plus au djihad de Washington contre l’Iran.
En fait, malgré la réduction de moitié du commerce entre l’Iran et l’Inde au cours des quatre dernières années en raison des sanctions, l’Inde a maintenant des projets d’expansion massive du commerce avec l’Iran et d’utilisation du port iranien de Chabahar pour contourner le Pakistan et accéder aux marchés d’Asie centrale et de Russie.
La pression américaine sur l’Iran n’est pas négligeable et ralentit sa progression économique. Mais si l’on fait le bilan des victoires et des défaites, il ne fait guère de doute que l’Iran est progressivement en train de gagner. Ce progrès de Téhéran est dû à l’accord nucléaire, qui a rassuré la plupart des pays du monde. Téhéran devrait continuer dans cette voie.
Traduit de l’anglais par Jean-Marc Dunet