« *Le 3ème pays le plus pauvre de la planète est sous le joug de la banque mondiale. En demandant au gouvernement burundais de privatiser la filière café, la banque mondiale fragilise les revenus de plus de 750 000 familles, soit près de 55% de la population. La filière café qui représente 80% de recette du pays a longtemps été gérée par l’Etat. Mais, suite aux exigences de la banque mondiale, la fin de l’Etat providence est arrivée. La filière va être purement et simplement vendue aux particuliers. Cette démission de l‘Etat ne se fera pas sans conséquences sur les revenus des planteurs en particulier et sur l’économie du pays en général. »*
Lancée dans les années 90 avant d’être stoppée par la guerre civile, la privatisation de la filière café est relancée au Burundi. Ce pays était jusqu’ici l’un des rare sur le continent africain à avoir gardé son cap de production depuis la crise économique des années 80. La filière s’est toujours bien portée avec l’appui de l’Etat burundais. Ce secteur générant d’importantes recettes fiscales, cela y allait de son intérêt. Pendant des décennies, l’Etat est resté le principal financier de la filière avec la mise sur pied d’un important tissu industriel constitué de près de 145 usines de lavage du café. Cependant, les acteurs mêmes du secteur, les caféiculteurs, ne voyaient toujours pas d’un bon œil cette « ingérence de l’Etat dans leurs affaires ». Les caféiculteurs estimaient qu’ils engrangeraient beaucoup plus de bénéfices s’ils avaient la charge totale de gérer la filière, tout en gardant l’Etat comme principal financier.
Après la relance du processus de privatisation en 1997, les caféiculteurs on vu leurs intérêts menacés et se sont organisés pour récupérer et gérer la filière. Réunis au sein de La Confédération Nationale des Associations des Caféiculteurs du Burundi (CNAC) en 2000, ils ont démontré au gouvernement leur capacité à gérer le secteur. Malheureusement cet exploit de gestion n’a pas satisfait la banque mondiale qui persiste et signe que la filière doit être privatisée. Sous pression, le gouvernement burundais s’est engagé sur la voie de démantèlement des chaînes de production de café qu’il soutenait jusqu’ici dans le pays. Ne pouvant pas combattre l’Etat et la banque mondiale à armes égales, les planteurs ont décidé de sauvegarder leurs droits dans cette privatisation. C’est ainsi que, sans être totalement opposés au processus, ils s’insurgent néanmoins contre sa stratégie. Ils estiment que certaines des stations de dépulpage concernées par la privatisation leur appartiennent parce que pendant des années, une taxe de 60F burundais était prélevée sur le kilogramme du café pour le remboursement des frais de leur mise en place.
Quelques-unes de ces stations ont déjà été vendues à WEBCOR, une multinationale suisse présente au Burundi. La CNAC estime qu’elles ont été vendues pour rien. Par exemple une station a été achetée par WEBCOR à 75.000 dollars alors que l’Union européenne venait d’y injecté 130 000 dollars pour son renouvellement et l’entretien des pistes qui la desservent.
Le spectre camerounais plane ainsi sur le Burundi : en 1992, soucieux d’harmoniser l’activité économique suivant les principes des bailleurs de fonds, l’Etat camerounais avait entièrement libéralisé les filières cacao café. Depuis, les planteurs ont payé le lourd tribut de ce retrait : les plantations ont été abandonnées et ont vieilli, les intrants agricoles ne sont plus à la portée des planteurs, les coopératives agricoles de collecte de café sont fermées. Plus de 20 ans après, le café camerounais n’a toujours pas connu sa relance, plusieurs fois annoncée par les autorités en charge du secteur.
Au Burundi, le gouvernement est bien obligé de se plier aux injonctions de la banque mondiale en dépit des protestations des caféiculteurs. Vivement que les bailleurs de fonds examinent leurs doléances. En position de faiblesse, ils ne demandent pas d’arrêter la privatisation mais que quelques points essentiels de leurs droits soient pris en compte : notamment que l’Etat reconnaisse qu’ils sont devenus propriétaires de quelques stations à la suite du prélèvement de la taxe de remboursement des frais d’installation ; que les conditions de soumission aux appels d’offre portant sur l’acquisition de stations leur soient ouvertes ; que les multinationales étrangères ne soient pas prioritaires dans l’achat des stations.
François Tekam