Depuis l’hiver 2016, et trois fois par semaine, les “Mahassine” se retrouvent entre Porte de la Chapelle et Jaurès, à Paris, autour d’une voiture remplie de thermos de thé, café, de biscuits, chocolat, sacs de pain, gobelets en plastique. La distribution de sourires et de chaleur aux migrants de Paris commence vers 20h30. “Mahassine”, de hassana (حسن), en arabe, c’est ce qui est bon, beau, vertueux. C’est aussi un prénom, que la dizaine de membres de cette association se renvoient joyeusement : au Soudan, c’est le nom qu’on donne aux femmes qui vendent du thé dans la rue.
Note des auteur(e)s : Les prénoms ont été modifiés.
Tous les membres de Mahassine se nomment donc Mahassine !
À peine arrivés à Porte de la Chapelle avec nos thermos et table habituels, nous sommes happés par une petite fille de 8 ans, au français impeccable. Mais qui est-ce ? Que fait-elle dehors, le soir, si tard, sur ce rond-point rempli d’hommes ?
On vient tout juste d’arriver, elle nous offre avec grand enthousiasme de nous aider pour la distribution. « J’ai trop envie de “travailler” ! ». Mais, jeune fille, où sont tes parents ?! Elle nous conduit vers sa mère, affairée autour de la poussette du petit d’1 an. À côté, deux autres enfants, sa grande sœur et son petit frère. Le père est un peu plus loin, près de la tente où sont entreposées leurs valises, leurs affaires. La famille de 6 personnes vient du Kosovo, elle a été refusée récemment à la CNDA. Expulsés du CADA qui les accueillait jusqu’à maintenant, ils ont jusqu’à fin décembre pour quitter la France, si un OQTF ne tombe pas avant. Mais comment Mahassine peut-elle aider ?
Cela fait plusieurs semaines qu’ils posent leur tente d’emplacement en emplacement, parmi les rats et les odeurs nauséabondes. L’aînée, lorsqu’ils étaient installés, a sauté une classe et est passée en CM2. Actuellement elle devrait, tout comme son frère et sa sœur, être à l’école. Toutes leurs affaires scolaires sont restées chez des amis à 1h30 de Paris, les enfants ne peuvent pas étudier dans ces conditions déplorables.
La distribution commence. Le jeune garçon, 6 ans, a lui aussi insisté pour nous aider. « C’est la première fois que je “travaille” ! » Il a l’air aux anges. Il est le préposé officiel aux cuillères et touillettes : dans chaque bol de soupe, il ajoute sa touche personnelle, fort utile ! La jeune fille distribue du pain dans chaque paire de main. Les gars sont éberlués de voir des soutiens aussi petits s’occuper d’eux… et Mahassine un peu stupéfaite de cette situation !
Parmi les événements marquants de cette soirée, une démonstration de danse par un Afghan, suivi d’un cours de boxe à mains nues avec ce même énergumène.
Mahassine se demande si elle n’offrirait pas, pour cette nuit, un moment de répit à cette famille en or mais épuisée… Une collecte se prépare, la mère hésite car son mari attend sous la tente et garde les nombreuses affaires. Malheureusement, les hôtels sont tous complets ou fermés, il est déjà minuit passé… Mahassine a fait tout son possible mais à moins d’un miracle, il n’y a pas de place pour accueillir ces six personnes. Quelle tristesse… Mahassine comprend qu’il lui faut absolument un réseau d’hôtels pas chers, un réseau de bénévoles prêts à accueillir des personnes ponctuellement, un réseau de squats ouverts à ces appels à l’aide même tard dans la nuit…
Du pain sur la planche.