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La discrimination envers les femmes n’a pas toujours été la norme. Comme beaucoup d’autres différences de genre, elle est socialement et culturellement construite. Pour en comprendre l’origine, il nous faut remonter le temps. L’outil agricole a marqué une rupture
Mardi, le monde a célébré la Journée internationale des droits des femmes. Pour rappel, bien que ces dernières soient massivement entrées sur le marché du travail, elles restent largement exclues de certains secteurs économiques, tels que la recherche ou le développement scientifique. Dans le monde de l’entreprise, les conseils d’administration et les équipes dirigeantes restent à majorité masculine. Même les pays du Nord de l’Europe, cités régulièrement en exemple tant ils ont fait des progrès remarquables dans l’équilibre hommes/femmes dans la sphère publique et politique, ne peuvent s’enorgueillir des mêmes réalisations dans le secteur privé, disent Avivah Wittenberg-Cox et Alison Maitland dans leur livre Womenomics. Celui-ci échoue en effet plus que tout autre à capitaliser sur les talents féminins.
Pourtant, la discrimination envers les femmes n’a pas toujours été la norme. Comme beaucoup d’autres différences de genre, elle est en grande partie socialement et culturellement construite. Stéphane Garelli, auteur du livre « Etes-vous un tigre, un chat ou un dinosaure », rappelle que de nombreuses sociétés se sont développées sur la base du matriarcat. « De la préhistoire à la Mésopotamie en passant par les idoles des Cyclades, les peuples adoraient les déesses toutes-puissantes, symboles de la terre nourricière ou de la fertilité. » Le point tournant est survenu au Ve millénaire avant notre ère, lorsque la charrue est apparue en agriculture. L’historien Fernand Braudel explique que la force masculine qu’implique le maniement d’un tel objet a remplacé les femmes dans les champs puis dans la société.
Entreprises motivées par leurs propres intérêts
Plus de 7000 ans après son invention, les femmes sont-elles toujours victimes de la charrue ? De l’avis de certains économistes, les structures sociales profondes d’un pays prennent leurs racines dans sa tradition agricole, et ce même après la disparition de cette dernière. Cette théorie se vérifie dans des pays tels que le Rwanda, le Botswana, ou encore le Burundi, où l’agriculture est marquée par l’utilisation de la houe et où les femmes sont plus impliquées dans le monde du travail. « Au Burundi, 91% des femmes travaillent en dehors du foyer », note Stéphane Garelli. A l’inverse, en Inde ou en Egypte où l’agriculture a été marquée par la charrue, les femmes restent à la maison.
Identifier la source historique à l’origine de la discrimination des femmes est cependant de peu de secours pour en atténuer les conséquences. Dans ce domaine, les chiffres sont les meilleurs alliés du «deuxième sexe». Avivah Wittenberg-Cox et Alison Maitland relèvent à cet égard et non sans une certaine ironie que les entreprises qui commencent à prendre des mesures sérieuses en matière de mixité sont davantage motivées par leurs propres intérêts que par la parité.
De nombreuses études établissent une corrélation significative entre la présence de femmes à des postes de direction et les performances économiques des entreprises. La dernière en date, publiée le 8 février par le Peterson Institute for International Economics, se penche sur la féminisation des organes décisionnels de près de 22 000 entreprises dans 91 pays, en cherchant à répondre à cette question: «La mixité est-elle profitable?». La réponse, sans ambages, est positive: plus les femmes sont représentées dans les instances dirigeantes, plus les résultats des entreprises sont élevés. Les auteurs de l’étude apportent cependant une nuance: ce ne sont pas les femmes qui apportent un avantage à l’entreprise. Statistiquement, les rares entreprises dirigées par des femmes ne réussissent pas mieux que celles dirigées par des hommes. L’avantage tient à la mixité. Ce qui «souligne l’importance de créer un pipeline de femmes managers, et pas simplement d’avoir des femmes isolées au sommet».
Se lancer dans l’entreprenariat
D’autres travaux conduits par le Conference Board of Canada et par la Cranfield School of Management aux Etats-Unis viennent eux-aussi confirmer les arguments économiques en faveur de l’équilibre des sexes dans les plus hautes sphères de l’entreprise. Selon cette étude canadienne, compter dans ses rangs plus d’une femme à un poste d’administrateur semble être associé à une meilleure gouvernance, davantage d’activité et une plus grande indépendance du conseil d’administration. Enfin, l’étude conduite en 2007 par Catalyst, un cabinet de conseil américain, démontre que les entreprises comptant une forte proportion de femmes au sein de leurs organes décisionnels réalisent 42% de bénéfices en plus et leurs capitaux investis affichent un rendement supérieur de 66% par rapport à leurs homologues moins «féminisés».
Malgré ces chiffres éloquents, les femmes continuent à se heurter au plafond de verre. Lassées, nombreuses sont celles qui se lancent dans l’entreprenariat. A cet égard, il est intéressant de noter qu’aux Etats-Unis, entre 1997 et 2007, «les entreprises non cotées détenues par des femmes ont crû à un rythme trois fois plus élevé que celui de l’ensemble des entreprises américaines non cotées», écrit Margaret Heffernan, auteure d’un livre révélateur sur l’entrepreneuriat féminin, How She Does It. «Chaque jour, 420 femmes créent leur propre entreprise, deux fois plus que les hommes…Et ces entreprises génèrent des revenus, des bénéfices et des emplois plus rapidement que toutes les autres. Les entreprises de femmes emploient désormais davantage de personnes que les 500 plus grandes entreprises américaines réunies. Les femmes possèdent 46% des entreprises à capitaux privés aux Etats-Unis.»
Une popularité croissante parmi les femmes
La popularité croissante de l’entrepreneuriat parmi les femmes soulève plusieurs interrogations. Si leur réussite est aussi éclatante lorsqu’elles travaillent pour elles-mêmes, pourquoi n’en va-t-il pas de même lorsqu’elles travaillent pour un employeur? Interrogées, de nombreuses femmes répondent qu’une part non négligeable de la croissance de leurs entreprises est alimentée par des idées que leurs anciens patrons n’avaient pas jugés bon de retenir.
Comment faire évoluer les mentalités? De l’avis d’Avivah Wittenberg-Cox et Alison Maitland, la mixité ne doit pas être positionnée au sein de programmes de diversité. «Aussi longtemps que les femmes seront considérées comme une minorité parmi d’autres, les choses n’évolueront pas, expliquent-elles. L’importance économique croissante des femmes exige d’adopter le raisonnement inverse et de montrer à ceux qui détiennent le pouvoir ce que cette domination coûte aux entreprises.»