Présentation du livre « La Révolution sécuritaire (1976-2012) », de Nicolas Bourgoin aux éditions du Champ social.

Le démographe marxiste, Nicolas Bourgoin, lance un pavé dans la vitrine du parti socialiste ; ces derniers auraient participé à la création d’un état policier à visée totalitaire.

L’auteur, dans une thèse de 210 pages, explique la genèse et le déploiement d’un appareil autoritaire, résistant à l’alternance.

La démarche est passionnante car l’universitaire ne se contente pas de compter les lois liberticides votées par l’assemblée nationale et le sénat (61 entre 2001 et 2012) ; mais décrit de l’intérieur – nonobstant les changements politiques – les respirations « économiques » du monstre.

L’auteur note « une coïncidence chronologique entre les inflexions sécuritaires et les chutes de l’activité économique.»

Dans le chapitre V « Politiques sécuritaires et capitalisme », deux graphiques sont éloquents : l’un montre les courbes du chômage et celui du nombre de détentions qui se chevauchent ; l’autre suggère que lorsque le produit intérieur brut plonge le taux de remplissage des geôles augmente.

« L’étau carcéral est un appui pour la surexploitation capitaliste : la prison est le fouet qui pousse le prolétariat à travailler plus dur. Mais il remplit également une fonction de contrôle social : le recours accru à l’emprisonnement est aussi commandé par la nécessité de contrôler les populations flottantes ou en voie de marginalisation, échappant à la discipline du travail et joue ainsi un rôle de variable d’ajustement du marché de l’emploi.»

COMMENT UN ÉTAT TOTALITAIRE S’EST MIS EN PLACE

C’est au printemps 1976 avant l’adoption du premier plan d’austérité de Raymond Barre, « lourd de conséquences pour l’ensemble des salariés et au moment où le nombre de chômeurs atteint la barre symbolique du million» qu’apparaît une banale étude dirigée par Alain Peyrefitte, intitulée « Réponses à la violence » dont la méthodologie nourrira tous les projets sécuritaires.

Lors de ces travaux, sont rangés, dans un même sac, grèves, occupations d’usine, crimes et délits de droit commun ; sont exclus du champ d’analyse, les violences policières, les accidents de travail, la peine capitale, le chômage et les expéditions coloniales.

Après mai 68 et les « exactions » de la Gauche prolétarienne est taxé de violent tout ce qui met en péril la propriété privée et l’intégrité du bourgeois.

L’ex-ministre de l’information du général De Gaulle reprend entre les lignes du projet Sécurité et Liberté la célèbre formule du journaliste Roger Gicquel « La France a peur… » qui marque l’histoire du journal télévisé de 20 heures (1).

Le 18 février 1976, le présentateur vedette arrache, en effet, au travers la narration du meurtre d’un enfant l’adhésion de millions de téléspectateurs.

On assiste là en direct à la naissance d’un phénomène : « le sentiment d’insécurité » qui servira de véhicule à tous les programmes de la Réaction.

Nicolas Bourgoin n’évoque certes pas le mythique Journal ni le climat théâtral de l’époque ; mais souligne qu’à chaque fois qu’une loi scélérate est proposée à la représentation nationale un fait divers particulièrement saignant est mis en exergue.

Outre les unes de « France soir », les périodes de récession à partir du choc pétrolier de 1973 sont riches en créations monstrueuses : les maisons centrales et les quartiers de haute naissent en mai 1975 ; les peines de sûreté, en 1978, ainsi que le plan Vigie pirate, issu de l’expérience coloniale en Algérie qui quadrille militairement le territoire…

Le volet pénitentiaire de la loi Sécurité et Liberté, voté en décembre 1980, réduit considérablement les libérations conditionnelles et les permissions de sortie ; et annonce le durcissement de la justice et le recours systématique à l’emprisonnement.

UN BREF ÉTÉ PROGRESSISTE

Tandis que les Etats-Unis de Ronald Reagan et le Royaume-Unis sous Margareth Tatcher ont une longueur d’avance en matière de révolution sécuritaire, la France, au début des années 80, connaît un bref interlude progressiste.

La peine de mort est abolie (octobre 1981) ; des prisonniers sont amnistiés et les QHS, supprimés. Exit également la Cour de sûreté de l’Etat, les tribunaux permanents des forces armées et on dépénalise l’homosexualité…

Pierre Mauroy condamnant le projet Sécurité et Liberté déclare : « La droite dit : la première liberté, c’est la sécurité. Nous disons le contraire : la première sécurité : c’est la liberté ! »

Mais l’embellie est de courte durée ; les émeutes de Vénissieux et de Vaux-en-Velin, en 1981, rappellent au gouvernement sa mission première : la défense de l’ordre bourgeois.

Les commissions banlieue qui préconisent, un temps, une amélioration de l’espace urbain et un traitement local des délinquances laissent vite la place à l’ilotage (1988) et aux mesures répressives.

Les mineurs font l’objet d’un soin particulier : on abaisse l’âge pénal ; on ouvre des lycées militaires de redressement et des maisons de correction.

Les républicains du PS, Joxe, Chevènement, s’entourent de gens douteux comme Alain Bauer qui prépare le consensus avec la droite dans ce domaine.

La sécurité est déclarée « valeur républicaine » « ni de droite ni de gauche » lors du colloque de Villepinte en 1997.

Cette politique à droite toute fera le lit du Front national.

LA LEPENISATION NATURELLE DES LOIS

François Mitterrand, ancien avocat et ancien ministre de la Justice, pendant la période coloniale, disait (en privé) que « la justice est un acte de vengeance endimanché ».

Nicolas Bourgoin, précise : « le droit pénal est une idéologie qui légitime la violence étatique tout en masquant son caractère de classe ».

Tout l’effort de l’auteur, dans le livre, vise à démontrer que l’appareil juridique est un instrument de classe.

Le sociologue marxiste n’hésite pas à dire : « Il n’y a pas d’outil statistique pour mesurer la délinquance réelle. »

Et pour cause : la grande délinquance financière, l’évasion fiscale, les faillites frauduleuses, l’abus de biens sociaux, les délocalisations et les licenciements massifs qui détruisent au quotidien l’infrastructure du pays ne figurent jamais dans les statistiques.

Pour lui, les choses n’ont guère changé en substance depuis le code napoléonien et les caricatures d’Honoré Daumier.

La population carcérale et ceux que la presse désigne comme « dangereux » figurent l’ennemi de classe que les lois et les magistrats s’acharnent à domestiquer ou à enfermer.

Si aucun élu ne représente, en France, les douze millions de français qui vivent au-dessous du seuil de pauvreté, les prisons sont quant à elles très représentatives.

Sur 67 674 détenus, aujourd’hui, on aurait peine à trouver un Cahuzac ou un Sarkozy, la plupart des prisonniers étant d’origine prolétarienne, paysanne ou petite bourgeoise.

« Au cours de la période actuelle, les chômeurs sont 4 fois plus nombreux en prison qu’en liberté, les ouvriers, deux fois plus. » souligne le sociologue.

NOTRE ROYAUME EST MAINTENANT UNE PRISON

La Révolution sécuritaire a brisé un axiome de la justice en pays démocratique : en droit, l’intention n’est pas condamnable.

Le développement de la police scientifique et de la surveillance tout azimut des moyens de communications a considérablement augmenté les pouvoirs de l’appareil d’Etat lequel peut entrer dans la sphère de l’intentionnalité…

Comme l’affaire de Tarnac l’a prouvé : les policiers et le parquet ensemble peuvent, dans un temps record, fabriquer des coupables idéals.

Ce qui est recherché ce n’est plus la qualité d’un jugement ou d’une enquête mais la vitesse d’exécution afin de satisfaire une population avide de résultat.

La politique du chiffre est responsable d’une justice à flux tendu, aiguillonnée par une police et une gendarmerie dont les effectifs par habitant sont les plus importants d’Europe : 1 flic en uniforme pour 243 personnes, en 2005, sans compter les mouchards…

L’invention de l’insécurité a certes créé des emplois (informateurs, matons, policiers, journalistes, experts, avocats, etc.) et un marché, pour les bétonneurs, mais a fait dériver l’ensemble de la société vers une utopie totalitaire.

Se sont engouffrés, dans cet espace subjectif, extensible à l’infini puisque imaginaire, les instituts de sondage, les marchands de peur, et les politiciens en mal d’électeurs.

C’est ce phénomène qui est, au fond, à l’origine du virage sécuritaire de la gauche plus encline à constituer une clientèle plutôt qu’élaborer un véritable programme révolutionnaire satisfaisant les masses populaires.

« La fétichisation de ce thème qui en fait un investissement politique rentable est l’acte inaugural de la Révolution sécuritaire » assène Nicolas Bourgoin.

(1)  http://www.ina.fr/video/CAA87014358