Alors que s’ouvre lundi 19 juin le salon du Bourget, l’Observatoire des armements révèle les conclusions d’un rapport d’experts qui pointe une gestion défaillante de la maintenance aéronautique militaire (MCO), source de clientélisme. À mille lieux du rapport publié par le Sénat qui, pour justifier une hausse du budget de la défense, se borne à un diagnostic sommaire au lieu d’exercer son rôle de contrôle.
« Avant de réclamer à corps et à cris une augmentation du budget des armées, les sénateurs feraient bien de plus s’interroger sur l’utilisation des dépenses militaires actuelles », souligne Tony Fortin chercheur à l’Observatoire des armements.
Les sénateurs s’attendaient à des économies en matière de maintenance du matériel militaire, mais au moment des « comptes » ils se sont retrouvés fort dépourvus. Si, comme ils l’indiquent dans leur rapport rendu public le 13 juin (1), l’accroissement des coûts de la MCO est provoqué par la multiplication des références et les « sauts technologiques » en matière d’évolution de matériel, d’autres facteurs sont en cause. Un rapport interne à l’industrie d’armement que l’Observatoire a pu consulter, pointe de multiples défaillances dans la gestion de l’État. Ses auteurs préconisent la mise en place d’un contrôle des prix pratiqués par les prestataires, en particulier lorsqu’ils sont en situation de monopole, soulignant en creux qu’il est absent aujourd’hui… « C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’augmenter les effectifs des bureaux d’enquête de coûts de la DGA » énoncent les experts. Une proposition que les sénateurs se gardent bien de reprendre telle quelle. Et pour cause, le diagnostic sur ce point précis s’y réduit… à deux lignes.
Le Rafale et l’hélicoptère NH90 entachés de vices de forme
D’autre part, les auteurs du rapport interne mettent en cause, par exemple, « la corrosion prématurée » rencontrée par certains équipements neufs, destinés à la marine, comme les Rafale ou le NH90, et ce en raison de problèmes de conception. La correction de ces vices de forme entrainerait « une augmentation des coûts avec une consommation des rechanges plus rapide que prévue, qui plus est avec des prix d’achats de plus en plus élevés ». Les experts vont jusqu’à citer l’armée qui évoque ouvertement « la perte de compétence » des industriels.
Une gestion « à courte vue »
Enfin, le ministère des Armées, selon la nouvelle dénomination, manquerait « d’une vision à long terme », sans laquelle de graves erreurs sont amenées à se répéter indéfiniment. L’Armée de l’air s’est rendue tardivement compte qu’elle ne possédait aucun système en mesure de traiter les énormes volumes de données délivrées par le Rafale. Celles-ci ne permettent rien de moins que de s’assurer que l’avion est en mesure d’effectuer une nouvelle mission. Ce manquement a conduit à la signature d’un nouveau contrat avec… Dassault Aviation, qui ne débouchera sur un prototype fonctionnel qu’en 2018, soit 15 ans après la mise en service de l’avion de combat. Il en est de même pour l’Airbus A400M « avec lequel rien n’est prévu pour l’analyse automatisée des données ». Les sénateurs n’ignorent pas les difficultés autour du NH90 et de l’A400M, mais les imputent exclusivement… à « l’immaturité des flottes » (sic).
Les contribuables, vaches à lait des industriels ?
La « consanguinité » entre l’État et les grandes entreprises d’armement, évoquée notamment par l’économiste Claude Serfati, est-elle en cause ? Pour les sénateurs, les insuffisances se résument aux moyens mis à disposition — ils demandent une rallonge de 300 M€ rien que sur le volet MCO — ; les orientations de fond sont, elles, passées sous silence. Les conclusions du rapport interne, qui mettent en exergue la dépendance de l’État aux industriels de l’armement, sont pourtant sévères… De même, quand ses auteurs évoquent « des engagements militaires extrêmement contraignants qui ne cessent de s’enchaîner », c’est bien une fuite en avant de nature politique qu’ils montrent du doigt… De toute évidence, le petit cénacle dans lequel est confiné le débat autour des enjeux de défense ne garantit pas la transparence et une gestion optimale des deniers publics. Si la moralisation de la vie publique est une priorité du gouvernement, il sera essentiel d’ouvrir le débat parlementaire autour de la future loi de programmation militaire à des expertises indépendantes.
1) Rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur « 2 % du PIB pour la défense », par MM. Jean-Pierre RAFFARIN et Daniel REINER, rendu public le 13 juin 2017.
Contact : Tony Fortin, chercheur à l’Observatoire des armements : +33 (0)6 09 50 87 23