Par Ray Acheson
Des applaudissements ont fusé en début de journée lorsque la Présidente de la conférence de négociation d’un traité d’abolition des armes nucléaires, l’ambassadrice Elayne Whyte du Costa Rica, a ouvert les débats. D’autres applaudissements ont retenti à la fin de cette journée lorsqu’elle a clôturé la séance. Il est clair que les diplomates autant que les militants se passionnent pour ce traité.
Ils ont raison. Comme l’ambassadrice Patricia O’Brien d’Irlande l’a déclaré, il s’agit d’une « charnière dans nos relations internationales, une occasion de de revoir le passé et d’honorer les témoignages qui nous en viennent, pour décider du genre de temps présent dans lequel nous voulons vivre et de l’héritage que nous laisserons aux générations futures ». Elle a souligné que « Nous ne sommes pas en train d’écrire un nouveau traité complémentaire, mais saisissons l’occasion d’écrire une nouvelle histoire et, ce faisant, de créer un futur nouveau, plus stable, plus sûr et plus égal pour tous. »
C’est l’essentiel du traité d’abolition. Il est négocié sur les bases du courage et de l’espoir et non sur celles de la peur et l’inégalité. C’est l’acte d’Etats et de sociétés civiles se rassemblant pour tenir tête au pouvoir et à la violence, disant « ça suffit, nous allons créer un monde différent, que cela vous plaise ou non ».
La première journée de négociations n’aurait pu mieux se passer. De nombreuses délégations ont exprimé d’éloquentes explications relatives à leur croyance en ce traité et les espoirs qui s’y fondent. Plusieurs ont souligné en détail (souvent pour la première fois) ce qu’elles considèrent comme leur champ d’application préféré pour le traité, en termes d’interdictions, éclairant mieux que jamais les possibilités de cet instrument. Une grande majorité de pays veut clairement un traité d’abolition complet et puissant, couvrant une vaste gamme d’activités liées aux armes nucléaires, ménageant de la place pour de futures négociations sur le désarmement nucléaire et les mesures de vérification associées.
Cet espace adresse un signal aux Etats possédant l’arme nucléaire, de notre foi en ce traité. Il signifie que nous croyons qu’il sera efficace dans sa transformation normative, légale, politique, économique et sociale de l’ordre nucléaire mondial et aidera à les forcer à éliminer leurs armements génocidaires.
La plupart d’entre nous – qu’ils soient diplomates, militants, scientifiques – avons dû vivre dans l’espace créé pour nous par les Etats dotés de l’arme nucléaire, qui ont décidé qu’ils ont le pouvoir et l’autorité de déterminer quand et où ils élimineront leurs armes nucléaires. Jusqu’ici leurs obligations et engagements se réduisent à néant et à présent, l’un des Etats possédant les plus grands arsenaux reconsidère s’il pense même que le désarmement est un « objectif réaliste » qui sera poursuivi, ne fût-ce qu’en qualité d’engagement rhétorique. Ces Etats ont contrôlé le discours et même l’essentiel de la science durant si longtemps, que la plupart des gens dans le monde croient qu’ils disposent du droit et de la légitimité d’agir ainsi.
Mais ce n’est pas le cas.
Le lundi, un représentant du régime Trump a quitté la salle de l’Assemblée Générale pour rabaisser les participants négociant ce traité. L’ambassadeur américain aux Nations Unies, censément la voie principale du multilatéralisme et de la recherche de la coopération à la paix et la sécurité, a dénoncé les négociations et insinué que les Etats négociant ce traité ne devaient pas avoir la sécurité de leurs citoyens à l’esprit.
C’est bien entendu l’inverse qui est vrai. Ce traité, et plus généralement la recherche du désarmement nucléaire, n’a d’autre but que de préserver les civils du danger. La grande majorité des gouvernements reconnaît que les armes nucléaires représentent un risque pour les êtres humains et l’environnement partout dans le monde. Les armes nucléaires « ne forment pas une dissuasion utile » a déclaré l’ambassadeur Walton Webson d’Antigua et Barbuda au nom de la communauté caraïbe. Au contraire, celles-ci « cultivent un état d’insécurité et de fausse défense qui ne fait qu’accroître les risques de prolifération, avec un impact dévastateur pour nous tous. » Ainsi, l’abolition des armes nucléaires, selon Alfredo Labbe du Chili, est une « initiative libératrice » nous libérant de la menace nucléaire et non une menace à l’égard des Etats actuellement dotés de l’arme nucléaire. Les Etats qui ont acquis l’arme nucléaire, plaide-t-il, sont « captifs du piège faustien de la dissuasion nucléaire, » c’est un moyen de les aider à en sortir.
Il est certainement préférable de les aider maintenant plutôt que d’attendre que des armes nucléaires explosent, par accident ou volontairement. Ainsi que l’a déclaré l’ambassadeur autrichien Alexander Marschik, attendre une catastrophe nucléaire n’est pas une stratégie. Nous devons interdire les armes nucléaires dès à présent.
Ces dernières années, ceux qui préconisent l’abolition des armes nucléaires ont entendu dire qu’ils ne sont pas réalistes ou qu’ils ne comprennent pas les « dimensions de sécurité » des armes nucléaires. Des échos de cette thèse se sont rappelés lors du sit-in orchestré par certains Etats nucléaires à l’extérieur de la salle de conférence le lundi matin. Mais nous ne sommes ni irréalistes ni ignorants des dimensions de sécurité. Nous adoptions juste une perspective différente – une perspective fondée dans ce que l’ambassadeur Mr. Amr Aboulatta d’Egypte a décrit comme « une sécurité collective par opposition à une sécurité sélective. »
Nous comprenons aussi comme le changement se met en place. Il survient « quand l’inconfort de faire quelque chose de nouveau devient inférieur à celui ressenti à maintenir les choses en l’état », ainsi que l’a déclaré l’ambassadrice O’Brien. Un traité d’abolition des armes nucléaires met déjà mal à l’aise, de plus en plus, les Etats nucléaires et les Etats se reposant sur la défense nucléaire. Le processus de développement de ce traité, ainsi que son adoption et son entrée en vigueur, auront un effet de transformation sur les politiques et pratiques relatives aux armes nucléaires. C’est seulement une question de temps.