Par Xavier Albó
Je me concentrerai sur trois conflits touchant la région amazonienne des trois pays des Andes centrales. Dans les trois cas, je ferai ressortir le contraste entre ce que les peuples amazoniens considèrent comme le « bien vivre » et les tentatives de l’État ou d’autres groupes colonisateurs et entreprises multinationales d’établir d’autres formes de « développement » qui conduiraient assurément à leur destruction.
Lire la Deuxième partie : le TIPNIS (Bolivie)
Pérou : Bagua et le peuple indien awajun wampis
En 2006, Alan García a entamé un second mandat présidentiel (le premier, entre 1985 et 1990, a été marqué par la présence du Sentier lumineux, l’hyperinflation et la corruption). Pendant la campagne, il s’est prononcé contre les sociétés minières, le libre-échange, etc. Mais, une fois au pouvoir, il change radicalement de discours. Il prépare l’opinion publique avec trois articles sur « le chien du jardinier… qui ne mange pas et ne laisse personne manger », façon de caricaturer ce qu’est pour lui la résistance indienne aux grandes entreprises extractives (El Comercio, 28-X-2007, 25-XI-2007 et 2-III-2008). Parallèlement, pour aligner plus librement la législation du pays sur l’Accord de libre-échange (TLC pour son sigle en espagnol) avec les États-Unis, processus entamé par son prédécesseur Toledo, le 19 décembre 2007 il demande au Parlement de lui laisser pour ainsi dire carte blanche de manière à ce qu’il puisse gouverner pendant un temps à coup de décrets législatifs, décrets qui seront effectivement adoptés entre mars et juillet 2008. Ils sont passés à l’histoire comme « Loi sur la forêt » parce qu’ils ouvrent une grande partie de l’Amazonie aux entreprises pour de nouveaux projets, sans que les peuples indiens soient consultés
L’Association indienne pour le développement la forêt péruvienne (Asociación Indígena de Desarrollo de la Selva Peruana, ou AIDESEP) a déposé une requête d’annulation de 38 de ces décrets mais n’a rien obtenu par la voie légale. Cela l’a amenée à entamer des mobilisations avec le soutien d’autres secteurs populaires. Alan García n’en a pas tenu compte et a signé à Washington, le 16 janvier 2009, l’entrée en vigueur du TLC le 1er février 2009. Les Indiens durcirent leurs actions et, sous la conduite des Awajun Wampis, quelque 2 500 Indiens ont organisé un blocage à la Curva del Diablo [le Virage du Diable], au niveau du río Marañón, près de Bagua. Le blocage a été durement réprimé le 5 juin 2009 par des forces d’élite de la police. En fin de compte, le nombre de victimes sur les lieux et dans les environs s’est élevé à 33 morts (23 policiers, dont 10 otages exécutés à titre de représailles) et au moins 169 blessés, dont la moitié par balle. Le Congrès a alors abrogé plusieurs de ces décrets (bien que Alan García ait refusé de signer), en accusant et poursuivant simultanément les dirigeants [1].
En 2011, les élections suivantes ont été remportées par le militaire à la retraite Ollanta Humala, dont le discours était plus proche de celui des Indiens. Il a immédiatement donné son aval aux abrogations et soutenu d’autres mesures comme l’adoption d’une Loi-cadre sur la consultation préalable, ce qui ne l’a pas empêché de retourner lui aussi sa veste une fois son pouvoir consolidé.
Le peuple des Awajun-Wampis est, en nombre, le deuxième de l’Amazonie péruvienne. Il s’agit en réalité de deux peuples apparentés qui regroupent la plus grande partie de la famille ethnolinguistique « jivaro » (déformation de shiwar, « gens ») du côté péruvien : le peuple awajun (ou sa déformation aguaruna) comprend actuellement entre 50 000 et 60 000 personnes et le peuple wampis (déformé en huambisa) environ 8 000. Mais, du côté équatorien, il existe deux autres groupes principaux : le peuple shuar (110 000 individus), plus proche du peuple awajun, et le peuple achuar (18 000), plus proche du peuple wampis. S’y ajoute aussi quelques groupes mineurs. Pris ensemble, ils représentent l’un des peuples-nations les plus nombreux de l’Amazonie. Ils ont tous une culture guerrière, ce qui leur a permis de résister assez bien aux tentatives de la Colonie pour s’implanter sur leur territoire. Malgré leur parenté évidente et une bonne compréhension mutuelle entre leurs variantes linguistiques, ils n’ont pas développé un sentiment de « nation commune » bi-étatique, en partie du fait du caractère guerrier de leurs relations et en partie pour s’être trouvés pris dans la guerre frontalière chronique entre le Pérou et l’Équateur. Si, au début du dernier épisode militaire, ils ont émis des déclarations communes pour dénoncer la reprise d’une guerre qui n’était pas la leur, il leur a cependant fallu ensuite s’affronter pour ne pas entrer en conflit avec leurs armées nationales respectives [2]. Paradoxalement, avec la pacification obtenue en 1998 et le lancement de projets de développement bi-étatiques est apparu un nouveau danger commun à tous, à savoir les concessions octroyées à de grandes multinationales du secteur minier des deux côtés de la frontière et de la cordillère du Condor, qui respectent rarement ces territoires indiens.
Ce double peuple awajun wampis a été le principal acteur indien du conflit de Bagua, mais il a aussi élaboré après cela sa propre « Proposition pour vivre bien comme peuple awajun wampis et avec l’État péruvien », dont la rédaction du texte final a été confiée aux six membres de la CEPPAW (Commission spéciale permanente Awajun Wampis). La proposition a été présentée et distribuée le 28 juillet 2012, jour de la fête nationale du Pérou, avec les signatures de Santiago Manuin Valera, représentant des Awajun, et Wrays Pérez Ramírez, représentant des Wampis au sein de la Commission.
Il convient de rappeler que Santiago Manuin est l’homme qui, trois ans plus tôt, constatant que ses troupes étaient encerclées à la Curva del Diablo (Bagua) par les forces spéciales de la police, avait tenté de parler au chef de ces dernières pour lui annoncer que ses hommes allaient se replier. Il avait reçu pour toute réponse huit balles dans le corps qui l’ont plongé entre la vie et la mort durant plusieurs mois, tandis qu’il faisait l’objet d’un mandat d’arrêt pour avoir dirigé le blocage. En fait, l’accusation a été maintenue jusqu’à aujourd’hui : ce 14 mai 2014 a commencé le procès à charge de sa personne, d’Alberto Pizango, alors président de l’AIDESEP, et de 50 autres individus, tous Indiens ou métis ; nulle accusation n’a été portée en revanche contre aucune des personnes ayant suscité la manifestation ou à l’origine de la répression dans sa forme concrète, qui a déclenché tout le reste [3].
La Proposition a été adressée aux principales autorités de ce peuple-nation comme à celles de l’État, un an après l’entrée en fonction d’Ollanta Humala. Une loi sur la consultation préalable avait déjà été approuvée avec son règlement d’application, avec cependant quelques bémols pratiques, qui en compliquent toujours la mise en œuvre aujourd’hui, comme la nécessité de s’entendre sur la base de données relative aux peuples et organisations pour lesquels ladite consultation pouvait (ou non) s’appliquer [4].
On trouvera ci-dessous les lignes centrales de la Proposition, qui sont probablement valides aussi pour beaucoup d’autres peuples de l’Amazonie. Il est mentionné comme principale priorité le « vivre bien avec la forêt, l’État et les autres cultures ». C’est comme une ébauche de Carta Magna ou de Statut interne du peuple awajun wampis :
A. Pour bien vivre avec la forêt tropicale amazonienne, en prenant soin de la conserver et de produire d’une manière prudente et durable :
La forêt tropicale amazonienne et nous le peuple Awajun Wampis sommes frères et partageons un destin commun… L’État et la culture hispanophone doivent respecter cette priorité dans leurs politiques publiques, projets ou initiatives sur notre territoire… [Cela] exige que, au moment de prendre des décisions et de distribuer les ressources, aux différents niveaux – famille ou clan, communauté, organisation, municipalité, gouvernement régional et national –, la priorité soit accordée aux éléments suivants :
1. Protéger les sources et les eaux. En particulier, NE PAS déboiser ni polluer la forêt vierge dans les bassins versants.
2. Sensibiliser et aider la population pour la reconversion des purmas [terres alluvionnaires] sur le modèle de la forêt naturelle, avec un reboisement en espèces ligneuses, arbres fruitiers et une couverture végétale riche en légumineuses.
3. Former et aider la population pour la gestion de l’agroforesterie, en optant pour des engrais verts et l’assolement des cultures. Appliquer le Système agroforestier dans les communautés awajun wampis en suivant les recommandations des techniciens experts.
4. Sensibiliser et aider la population pour l’élevage de petits animaux domestiques, l’apiculture et la pisciculture dans le cadre du système agroforestier.
5. Sensibiliser et aider les familles pour qu’elles pratiquent l’association des cultures destinées à la consommation et à la vente en vue de la satisfaction de leurs besoins fondamentaux, ainsi que l’association de cultures avec les plantes médicinales.
6. Reconnaître la place de la femme awajun wampis, à l’image du mythe de Nugkui, comme base essentielle du bien vivre, tout particulièrement pour préserver la biodiversité pour l’alimentation, la santé et l’éducation des générations actuelles et futures.
B. Pour bien vivre avec l’État et la culture occidentale, dans le contexte que constituent la démocratie et la Convention 169 de l’OIT :
Le peuple awajun wampis, l’État péruvien et la culture occidentale doivent s’entendre sur la base de processus de dialogue interculturel pour bâtir une nation démocratique qui accueille toutes les cultures, en garantissant les droits collectifs des peuples indiens d’exister, de se projeter, de décider de leurs priorités et d’être consultés par l’État avant que soient approuvées les mesures législatives et administratives ainsi que les plans et projets susceptibles de les toucher. Reconnaître et réparer, à l’aune des droits sanctionnés par la République, le préjudice historique souffert par les peuples indiens qui, malgré leurs droits ancestraux, ont été et sont toujours traités, jugés et gouvernés comme des êtres étrangers et inférieurs… Pour cela, il faudra parvenir à un minimum d’accords politiques et culturels :
1. Établir un dialogue interculturel entre le peuple awajun wampis et les différents niveaux de gouvernement – national, régional, local –, y compris les autorités ministérielles. En particulier pour définir des politiques publiques conformes à notre priorité de vivre bien/Tajimat Pujut/Tarimat Pujut.
2. Que l’État applique de bonne foi le droit à une consultation préalable libre et éclairée, conformément à la Convention 169 de l’OIT.
3. Veiller à ce que l’État respecte les propositions, initiatives et demandes du peuple awajun wampis, et leur porte une attention réelle.
4. Veiller à ce que les autorités locales et le gouvernement régional, ainsi que les autres institutions publiques, réservent un quart de leur budget d’investissement à la promotion et au renforcement du Tajimat Pujut/Tarimat Pujut.
5. Obliger les gouvernements locaux à faire en sorte que le processus de budget participatif soit décentralisé entre les bassins et assure la participation des chefs des communautés ainsi que des délégués Waisjam, Pamuk et de la jeunesse des communautés awajun wampis, conformément à notre usage pour la participation aux décisions locales.
6. Veiller à ce que l’État et les colons respectent les valeurs et les droits de notre culture awajun wampis, en particulier la philosophie et les pratiques qui régissent le bien vivre avec la forêt. La coexistence entre les cultures exige que les parties prenantes partagent les pratiques du bien vivre avec la forêt, et que le colon ne voie pas seulement dans cette dernière les possibilités d’extraction commerciale et la dimension marchande.
7. Intégrer au processus électoral la possibilité qu’ont les peuples indiens de choisir leurs autorités dans les gouvernements locaux – maire et conseillers municipaux – parmi des candidats qui aient au moins le soutien des communautés de leur secteur d’origine.
8. Le vivre bien avec l’État et les autres cultures exige de lutter ensemble contre la corruption à tous les niveaux et dans tous les secteurs du gouvernement.
II. La principale revendication que nous adressons à l’État : une table de discussion pour l’organisation et la gestion territoriale avec consultation préalable.
L’État a octroyé des droits d’utilisation et d’occupation sur plus de la moitié de notre territoire ancestral, sous la forme de concessions et de contrats d’exploration, pour des projets d’extraction de pétrole, de gaz et de minéraux métalliques contenus dans le sous-sol, au prétexte que ces ressources appartiennent au patrimoine de la nation. Il octroie de manière accélérée des autorisations à chaque projet, une fois approuvée l’étude d’impact environnemental (EIE) du projet. C’est comme si le territoire était un désert, dépourvu de forêts et des affluents du grand río Marañón, et sans les communautés indiennes qui composent le peuple awajun wampis. L’État n’y voit qu’une source d’argent pour les investisseurs et pour le budget actuel du pays. Il ne voit pas les droits humains collectifs qui sont du devoir de l’État, il ne voit pas le patrimoine culturel de la nation, pas plus qu’il ne voit la réserve verte qu’y possède la planète face au changement climatique… Concrètement, l’État ignore l’existence des droits des peuples indiens.
La réalisation de ces activités d’extraction favorise non seulement les conflits sociaux à court terme, mais aussi une situation de risque extrême à long terme. Notre avenir en tant que peuple indien nous préoccupe, tout comme celui de la forêt tropicale amazonienne, dont notre vie dépend. Nous demandons : que va-t-il se passer durant les 50 ans à venir sur le territoire des peuples awajun wampis ? Voici les principales conséquences à craindre :
a) pollution de l’eau, de l’air et de l’environnement ;
b) déséquilibre total des écosystèmes de la forêt tropicale amazonienne ;
c) extinction d’espèces de flore et de faune, sur la terre comme dans les rivières et les torrents ;
d) un territoire qui deviendra improductif, infertile, avec disparition de la réserve verte ;
e) perte de la culture ancestrale des peuples awajun wampis, qui est un patrimoine culturel du Pérou ;
f) apparition de maladies humaines inconnues ;
g) dépeuplement corrélatif, perte de sécurité alimentaire productive, conversion des habitants en ouvriers ou en ouvriers agricoles, apparition de la délinquance, traite des filles et prostitution, renforcement du narcotrafic ;
h) inondation de terrains occupés par les communautés et les cultures dans les parties basses proches du lit des cours d’eau, à moins de 200 mètres d’altitude, avec la mise en service de la centrale hydroélectrique de Manseriche.
i) augmentation et production permanente de conflits sociaux internes et externes.
Cela nous amène à conclure que l’attribution, par les gouvernements successifs, de ces droits d’utilisation du territoire pour des activités extractives à grande échelle au prix d’une réduction de nos droits ancestraux en tant que peuples indiens constitue une politique d’extermination lente du peuple awajun wampis, un ethnocide, qui affectera aussi les hispanophones vivant sur notre territoire, et l’humanité toute entière.
[ALTERNATIVES SUGGÉRÉES :]
B) Table de discussion entre l’État péruvien et le peuple awajun wampis, requise d’urgence pour l’organisation territoriale avec consultation préalable.
C) Plan d’études, formation et échanges d’expériences pour une gestion indienne éclairée et responsable de l’environnement, de la forêt et du territoire ancestral :
a) Étude juridique et anthropologique pour préserver le territoire ancestral des peuples autochtones awajun wampis, qui assure une vie saine et la paix aux générations futures.
b) Ateliers et rencontres d’organisations et de responsables sur les sujets suivants : technologie, cadre juridique et certification environnementale des concessions, exploration et exploitation des hydrocarbures, des ressources minières, hydroélectriques et forestières, gestion environnementale et aires naturelles protégées, organisation territorial, attribution des titres fonciers et élargissement des terres communales, et territoire ancestral.
c) Organisation de stages, au niveau national et international, sur les lieux affectés et auprès des populations indiennes touchées par des activités pétrolières, gazières, minières, hydroélectriques.
D) Plan de contrôle et d’éradication du narcotrafic sur le territoire ancestral, élaboré et mis en œuvre de manière concertée par l’État, les organisations – CEPPAW, ORPIAN et les organisations de base – du peuple awajun wampis.
III. Nos droits individuels et collectifs : éducation, communication, santé et justice interculturelles bilingues.
A et B) Pour une éducation et une communication interculturelles bilingues
1. Sur le territoire ancestral des Awajun Wampis, nous voulons une éducation interculturelle bilingue (EIB) effective, à tous les niveaux d’enseignement, gérée par l’État et dispensée par des enseignants formés dans notre langue et notre culture :
a) qui intègre de façon significative, pour ce qui est de la philosophie, des connaissances, des pratiques et de la pédagogie, la réalité culturelle de nos peuples, incluant la vision et participation des muun, les sages – femmes et hommes – indiens. Cela tout particulièrement en lien avec le bien vivre avec la forêt, la spiritualité indienne et les droits humains en tant que droits des peuples indiens ;
b) qui renforce l’apprentissage des valeurs pour le bien vivre avec la forêt, l’État et d’autres cultures, à l’ère du changement climatique, de la démocratie et de la Convention 169 de l’OIT ;
c) qui intègre et finance officiellement des unités d’apprentissage théorico-pratiques sur les mythes et enseignements, des exercices pratiques de conservation de la forêt, des modules sur la production dans les systèmes agroforestiers au sein des écoles et collèges, et des exercices pratiques de préservation de la biodiversité alimentaire et médicinale ;
d) qui comprenne l’élaboration de matériel didactique en accord avec notre réalité, par des professionnels et des spécialistes indiens ;
e) qui soit supervisée par des spécialistes indiens de l’éducation interculturelle bilingue.
2. Application, de bonne foi, de la Convention 169, selon laquelle les représentants indiens doivent participer aux instances de l’État et être associés aux différents plans et projets qui les concernent, en l’espèce l’EIB. À la Direction de l’éducation régionale et dans les Unités de gestion éducatives locales (UGEL), il conviendra de créer des Conseils interculturels bilingues comme lieu de concertation et de suivi des plans de l’EIB.
3. Respect et reconnaissance de la culture awajun wampis comme patrimoine culturel de la nation multiculturelle péruvienne. Toute culture, avec sa langue, son artisanat, ses savoirs ancestraux (ethnoscience), ses valeurs spirituelles, est un patrimoine culturel du monde indien et du Pérou.
4. Reconnaissance officielle de nos langues par le biais d’une Résolution nationale, associée au perfectionnement et au contrôle de la bonne maîtrise – orale et écrite – des langues awajun wampis, à la charge de l’État.
5. Création de l’Université indienne interculturelle bilingue dans notre province, qui intègre les principes et applications de l’ethnoscience s’appuyant sur la sagesse ancestrale de la culture awajun wampis, dans les divers domaines que sont : l’écologie et la gestion de la forêt, la classification et les utilisations des sols, de la flore et de la faune, les types et les utilisations de plantes médicinales, les variétés de bois et les techniques de construction, etc.
6. Signature d’une Convention entre les organisations awajun wampis et le ministère de l’éducation pour l’adoption du Plan éducatif interculturel bilingue.
7. Création d’un Institut des langues awajun wampis.
8. Création d’une émission de radio éducative bilingue pour conforter la proposition de tajimat pujut / tarimat pujut, nos valeurs culturelles et nos droits, les relations de dialogue interculturel et la présence actuelle des peuples indiens du Pérou et du monde.
C) Pour des soins de santé holistes interculturels et bilingues.
1. Reconnaissance des sages awajun wampis – femmes et hommes – et intégration de ces derniers au sein des établissements de santé publics pour les traitements et l’usage des plantes médicinales, afin de favoriser une approche holiste de la santé.
2. Composition des équipes des établissements de santé avec du personnel de santé qui parle la langue awajun ou wampis.
3. Réalisation de travaux scientifiques, sur la base des principes du savoir ancestral et avec la participation d’Indiens awajun wampis choisis pour leur connaissance des différentes maladies de la zone, travaux organisés et conduits par l’État.
4. Renforcement des méthodes ancestrales pour le contrôle des naissances, en évitant différents moyens contraceptifs dangereux pour la santé, comme les pilules et ampoules ou les dispositifs intra-utérins.
5. Intégration de représentants indiens aux différentes instances du secteur de la santé.
6. Promotion de l’usage des plantes médicinales.
D) Pour une justice indienne et un pouvoir judiciaire interculturel bilingue
1. Élaboration, diffusion et approbation du Code de justice awajun wampis, sur la base de l’ébauche de proposition de code préalablement élaborée par une commission wampis.
2. Faire reconnaître ledit code par le pouvoir judiciaire de la région Amazone.
3. Intégrer du personnel indien aux instances judiciaires respectives pour aboutir à un pouvoir judiciaire interculturel.
4. Faire en sorte que l’État garantisse un avocat bilingue commis d’office pour assurer la défense de tout Awajun ou Wampis accusé ou détenu.
5. Nous exigeons de toute urgence la liberté pour les combattants qui, alors qu’ils ont agi en situation de légitime défense, ont été injustement accusés et emprisonnés durant plus de trois ans à cause des événements du 5 juin 2009, en particulier les trois détenus : Feliciano Cahuasa, Denis López et Asterio Pujupat.
6. Nous exigeons une enquête juste et impartiale sur les responsables politiques et militaires qui ont donné et exécuté l’ordre d’expulsion brutale – à l’aide d’armes terrestres et aériennes –, bien que le général Uribe ait reçu le 4 juin notification du retrait pacifique et progressif des Indiens de la Curva del Diablo.
7. Nous exigeons que le pouvoir judiciaire applique rigoureusement les règles de procédure aux responsables politiques et militaires impliqués dans la répression, telles qu’elles sont appliquées de manière abusive aux Indiens accusés et détenus.
IV. Notre devoir en tant que peuple awajun wampis : renforcement de la formation, de la représentation et de l’organisation awajun wampis unifiée sur notre territoire.
Les organisations indiennes des secteurs des rivières, les Chichamkagtin / Chichamkartin, et les autorités du peuple awajun wampis – Pamuk, Waisam, Kakajam et Waimaku – avons le devoir d’assurer la continuité de notre culture à l’époque que nous vivons. Les propositions susmentionnées peuvent devenir réalité si nous parvenons à nous renforcer en tant peuple awajun wampis. Tel est notre devoir principal. Nous nous engageons ici à préparer et mener les actions suivantes :
A) Pour le renforcement de la formation holiste des Pamuk (femmes et hommes)
1. Renforcement de nos catégories de conseillers et d’autorités indiennes en accord avec notre culture ancestrale et notre réalité culturelle actuelle. [Leur ordre hiérarchique est le suivant : a) Pamuk – la plus haute catégorie d’autorité indienne et de pouvoir spirituel – ; b) Waisam ; c) Kakajam ; d) Waimaku. S’y ajoutent : e) les Chichamkagtin / Chichamkartin, qui sont les conseillers du Pamuk, et qui peuvent, selon les cas, remplir les fonctions de Waisam et être finalement reconnus comme Pamuk.]
2. Renforcement de la formation holiste des Pamuk, en accord avec notre culture en tant que peuple wajun wampis et avec les exigences d’orientation dans le contexte actuel de relations avec l’État et la culture occidentale. Cela, au moyen d’un Programme de formation holiste des Pamuk qui comprenne :
a) l’affirmation y valorisation de notre identité et de nos valeurs en tant que peuples wajun wampis ;
b) le renforcement de notre spiritualité, par la pratique de l’absorption de datem, tsaag et baikua, sur les conseils du muun, pour atteindre la cosmovision qui permette d’acquérir le pouvoir de l’Ajutap / Arutam ;
c) avec l’inclusion des thèmes suivants dans le processus de formation :
- connaissance et évaluation de la culture occidentale – éléments positifs et négatifs – et particulièrement de sa philosophie, ses concepts, la réalité et les conséquences du marché, de la démocratie, du néolibéralisme, de la mondialisation, du changement climatique ;
- connaissance des droits humains, des droits des peuples indiens et de leur application juridique, dans la pratique, en Amazonie ;
- connaissance et évaluation des peuples indiens au Pérou et dans le monde ;
- connaissance et évaluation de l’histoire des peuples awajun wampis et de leur réalité actuelle ;
- connaissance et évaluation des principales politiques de l’État, et tout particulièrement du cadre juridique de l’État péruvien sur la question des droits territoriaux des peuples indiens.
B) Pour le renforcement de la représentation et de la participation des Indiens sous une forme organisée et unifiée sur le territoire ancestral :
1. Pour le renforcement de la représentativité culturelle des organisations awajun wampis et de la participation des Indiens [la présentation donnée ici est assez détaillée, évoquant comment chaque unité inférieure doit présenter ses candidats et son plan de gestion au niveau supérieur, par le biais de son assemblée respective. Nous [Xavier Albó] nous n’explicitons que les deux derniers points] :
[…]
b) Promouvoir et garantir la participation des sages de sexe féminin aux réunions et décisions des organisations awajun wampis aux niveaux local, provincial, régional et national.
c) La Commission spéciale permanente des peuples awajun wampis (CEPPAW) et l’Organisation régionale des peuples de l’Amazonie du Nord (ORPIAN) chercheront à agir sur l’orientation et assureront la surveillance des mesures législatives et administratives qui menacent les droits territoriaux du peuple awajun wampis, fondement de son existence et de la conservation de la forêt amazonienne tropicale.
2. Pour assurer la représentativité du peuple awajun wampis dans les processus de consultation préalable dans la province de Condorcanqui et le district d’Imaza :
a) Les représentants directs du peuple awajun wampis dans le processus de consultation préalable, les propositions et la prise des décisions, seront les chefs des communautés et les autorités indiennes du peuple awajun wampis – Pamuk et Waisam – élus par les assemblées communales respectives convoquées à cette fin.
b) Les instances directives des organisations indiennes pour chaque secteur du río veilleront à l’application de bonne foi et transparente du processus de consultation, et en particulier à ce que l’entité étatique à l’origine de la mesure et les services du vice-ministre de l’interculturalité reconnaissent et facilitent la participation et la représentation des communautés et autorités indiennes, dans le ou les secteurs du río correspondants, lors du processus de consultation préalable.
Traduction de Gilles Renaud pour Dial.
Source (espagnol) : texte diffusé par le Centre de recherche et de promotion du paysannat (Centro de Investigación y Promoción del Campesinado, CIPCA), mai 2014.
Notes
[2] Parmi les savoirs culturels de ces peuples, l’un des plus connus à l’extérieur est leur habileté à « réduire les têtes » (tzantza) des ennemis vaincus, têtes placées traditionnellement comme décorations sur leurs costumes de guerre. En plein conflit frontalier, ils durent menacer, au moins en paroles, leurs parents situés de l’autre côté de voir leurs têtes transformées en tzantza.
[3] Voir, parmi beaucoup d’autres, Paco Muguiro, de Radio Marañón, Jaén : « Le procureur a requis une peine de réclusion à perpétuité contre des dirigeants comme Alberto Pizango de l’AIDESEP ou pour l’apu Santiago Manuin… Pour certains, au bout de cinq ans, il n’est toujours pas évident que les Indiens qui ont lutté pour la sécurité de leurs territoires, d’avril à juin 2009, avaient raison… quand ils pensaient qu’avec ces lois Alan García mettait à la disposition du marché mondial les territoires de leurs communautés et ceux de toute l’Amazonie. De 15% du territoire amazonien concédé en 2004, on est passé ces dernières années à 75%, et les lots attribués pour l’exploitation pétrolière couvrent 56 millions d’hectares… Avec ces lois, « étaient soustraites au patrimoine national les forêts » de notre Amazonie… et aujourd’hui, le 14 mai, après cinq ans, on s’apprête à condamner, sans preuve et uniquement les Indiens, à des peines qui vont jusqu’à la réclusion à perpétuité… Ce procès entrera dans l’histoire parce qu’il n’a pas de précédent au Pérou. Premièrement, à cause du nombre de morts ; deuxièmement, à cause des circonstances dans lesquelles ces morts ont eu lieu ; troisièmement, parce qu’il s’agit d’un procès fait par le Pérou officiel, le Pérou de Lima, au Pérou profond, le Pérou des diverses nationalités et cultures. Ce n’est pas le procès de quelques personnes, mais le procès de tout un peuple indien, qui symbolise tous les peuples indiens de l’Amazonie. C’est un procès que nous faisons à une autre conception du développement, à une manière de vivre et de vouloir vivre dans notre pays. » Voir aussi « Presentaron en Lima La Verdad de Bagua ; « Juicio “Curva del Diablo” : El banquillo de los inocentes, revue Ideele n° 238, mai 2014.
[4] Le président Ollanta a fait une première tentative pour enlever de cette base de données les peuples indiens andins (qui constituent l’immense majorité du pays) sous prétexte qu’ils ne seraient plus Indiens mais paysans. Face à la protestation générale, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, ils ont été maintenus dans la base. Cependant, jusqu’à aujourd’hui (mai 2014), la page web de cette base contient des données détaillées sur presque tous les peuples de l’Amazonie mais quasiment rien sur ces peuples indiens andins qui sont pourtant majoritaires.