Par Nicole Teke pour le MFRB, Mouvement Français pour un Revenu de Base
Si plusieurs pays européens s’apprêtent actuellement à se lancer dans l’aventure du revenu de base à travers la mise en place de projets-pilotes qui permettront d’évaluer le potentiel impact d’une telle idée, certains pays du Sud avaient quant à eux déjà franchi le pas il y a quelques années. Retour sur ces expérimentations passées.
Trois pays, trois continents, et un projet commun : celui d’expérimenter un revenu de base distribué à tous les membres d’une communauté, sans condition de ressource ni exigence de contrepartie. Les contextes et les modalités de mise en place ont certes été différents, mais les résultats néanmoins relativement similaires, en particulier dans les domaines de la santé, la scolarisation et la relance d’activités économiques.
Le Brésil, pays pionnier du revenu de base
Politiquement, le Brésil est l’un des plus avancés sur la question du revenu de base. Il s’agit en effet du premier pays à l’avoir intégré dans sa constitution en 2004 comme objectif à long terme, à l’initiative du sénateur Eduardo Supplicy. S’il ne s’agit que d’un premier pas vers une instauration concrète et effective d’un revenu de base, le débat autour de cette question a néanmoins inspiré d’importantes avancées sociales, en particulier le projet de Bolsa Familia initié en 2003 par le président Lula, dont ont bénéficié plus de 12 millions de familles et qui a constitué un outil majeur de lutte contre la pauvreté dans le pays.
Parallèlement, un projet d’expérimentation a été lancé en 2008 par l’association ReCivitas, dans le village de Quatinga Velho, qui a permis la distribution d’un revenu de base à sa centaine d’habitants, d’un montant de 30 Réais (environ 12 €). Le projet-pilote a pris fin en 2014 faute de moyens, mais devrait être relancé prochainement.
Sur cette période, on a pu constater une nette amélioration de la qualité de vie des habitants de Quatinga Velho, ces derniers ayant investi davantage dans la santé, dans du matériel de construction pour leurs maisons et des biens alimentaires. Se sont également multipliées les activités économiques telle l’ouverture de petites cantines dans les cuisines de certaines maisons, l’entreprenariat, etc.
Le projet s’est construit sur la base du volontariat. Or, au moment de son lancement, plusieurs personnes ont refusé d’y participer, soit par méfiance, soit parce qu’elles considéraient ne pas avoir besoin de cette somme d’argent car ayant un niveau de vie relativement élevé par rapport au reste du village. Une de ces personnes, initialement réticente mais qui a fini par rejoindre le projet, y a vu un véritable filet de sécurité, lorsqu’elle a perdu un membre de sa famille. Le décès a entraîné de nombreuses dépenses non prévues dans le budget familial. Le revenu de base peut ainsi être un moyen de faire face aux aléas de la vie, peu importe la situation économique de la personne. Il est intéressant de noter par ailleurs qu’à la fin de l’expérimentation, tous les habitants du village avaient adhéré au projet.
Les femmes du Madhya Pradesh à l’origine du projet-pilote indien
Ce projet a été lancé par le l’Association de travailleuses autonomes SEWA (Self Employed Women’s Association), un syndicat qui défend depuis plus de quarante ans les femmes à bas revenus en Inde. En partenariat avec l’UNICEF l’expérimentation a duré 18 mois, de 2011 à 2012.
Un revenu de base d’un montant de 200 roupies (2,70 €) par mois pour les adultes et 100 roupies par mois pour les enfants (distribués à la mère) a ainsi été octroyé dans huit villages du Madhya Pradesh en Inde, soit 6 000 personnes. Douze autres villages dans lesquels l’allocation n’était pas distribuée ont servi de témoins pour l’étude comparative.
Par ailleurs, sur les huit villages-test, quatre avaient reçu l’appui de la SEWA pendant plusieurs années auparavant : organisation de groupes de parole, de coopératives d’épargne, prêts bancaires, cours de gestion financière, accompagnement auprès des pouvoirs locaux…
D’après plusieurs études menées par Guy Standing avant, pendant et après le projet, les résultats ont été très positifs. L’allocation de ce revenu de base a ainsi permis un fort désendettement des familles mais aussi une augmentation de l’épargne et le lancement de nouvelles activités économiques.
L’état de santé des habitants de ces villages s’est nettement amélioré, principalement dû à l’augmentation des dépenses médicales et ayant aussi permis d’adopter un régime alimentaire plus diversifié. De même qu’au Brésil, on a également constaté une hausse des investissements dans l’habitat (sanitaires, eau courante). Les résultats scolaires des enfants ont aussi connu une amélioration notable dans 68 % des familles, et l’assiduité à l’école a triplé.
Devant ces résultats enthousiasmants, l’État du Madhya Pradesh a demandé à ce que la SEWA y intègre un village tribal isolé, et l’UNICEF a accepté de le financer pendant six mois supplémentaires (de juin à décembre 2012), en augmentant l’allocation mensuelle à 300 roupies par adulte et 150 roupies par enfant.
Le gouvernement namibien se penche sur la question
Alors qu’au Brésil et en Inde les expérimentations ont été impulsées par des associations, en Namibie, c’est le gouvernement, notamment à travers le Ministre en charge de la protection sociale et de la lutte contre la pauvreté, M. Zephania Kameeta qu’un projet-pilote a vu le jour en 2007 à Otjivero-Omitara.
Entre 2007 et 2009, 100 $ namibiens (10 €) sont distribués chaque mois aux 950 habitants d’Otjivero-Omitara de moins de 60 ans (les personnes âgées de plus de 60 ans bénéficiant déjà d’une « allocation retraite »).
Sur cette période, l’activité économique a augmenté de 30 % et les micro-entreprises ont fleuri sur le territoire, tandis que le chômage a baissé de 50 %. Il a été également possible de constater une baisse de l’absentéisme à l’école et une augmentation drastique de la scolarisation de 92 %. La criminalité a également fortement diminué.
Les résultats ont par ailleurs été si positifs que le gouvernement namibien a souhaité étudier les possibilités de mettre en place le revenu de base à l’échelle nationale.
Prochaine étape: le Kenya
Dans un pays où près de 45 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, cette expérimentation à venir aura sans aucun doute des résultats positifs incontestables.
Le projet, mené par l’association GiveDirectly, permettra à 6 000 personnes dans une douzaine de villages de recevoir l’équivalent d’un euro par jour et par personne, via transfert directement sur mobile, pour une durée de 10 à 15 ans, soit l’expérimentation la plus longue qui ait été connue sur le sujet du revenu de base. À noter que 31% du PIB est dépensé par mobile dans ce pays.
L’expérimentation fera par ailleurs l’objet d’une évaluation menée par l’institut de recherche travaillant autour des questions d’éradication de la pauvreté, J-PAL.
Ce sont donc autant d’expérimentations probantes et prometteuses dans divers pays d’Amérique du sud, d’Afrique et d’Asie du sud-est, qui nous prouvent que le revenu de base est une idée qui a su dépasser toutes les frontières, au sud comme au nord.