Par Laura Carlsen
Depuis le coup d’État ayant renversé le président Manuel Zelaya le 28 juin 2009 [1], les gouvernements de Roberto Micheletti (2009), Porfirio Lobo (2010-2014) et Juan Orlando Hernández (2014-2018) ont associé politiques néolibérales et répression. Dans ce contexte, les journalistes non inféodés au pouvoir et les défenseurs des droits humains font face à des tentatives d’intimidation, à des menaces voire des attentats. Berta Cacéres [2], Indienne lenca qui luttait contre le projet de construction d’une centrale hydroélectrique sur le territoire de sa communauté a ainsi été assassinée le 3 mars 2016. Le journaliste Félix Molina a lui aussi échappé de peu à deux attentats le 2 mai. Article de Laura Carlsen publié par Desinformémonos (Mexique) le 3 mai 2016.
Il était dans un taxi lorsque deux jeunes gens s’approchèrent. La femme sortit l’arme et l’homme lui ordonna : « Tire-lui dessus ! »
Le chauffeur du taxi accéléra, échappant aux tirs. Ce fut le premier attentat contre Félix Molina, le 2 mai.
Quelques heures plus tard, il s’en produisit un autre, mais cette fois l’homme de médias n’eut pas le loisir de le rapporter sur son compte Facebook. Deux balles lui traversèrent les jambes. Le journaliste, connu dans le monde entier et – à raison – l’un des plus critiques par rapport au régime fut conduit à l’hôpital de Tegucigalpa.
Au Honduras et au-delà de ses frontières, le nom de Félix Molina est synonyme de résistance. Depuis le coup d’État, collé au micro, il diffusait de sa voix sonore les nouvelles vues d’en bas. Il ouvrait des espaces aux femmes en lutte, dirigeants sociaux et personnes solidaires – comme celle qui écrit ces lignes. Quelques semaines auparavant, il avait réalisé un entretien de presque une heure avec des membres de la Caravane pour la paix, la vie et la justice, à Progreso [3], très intéressé par la possibilité de tisser des liens de solidarité transfrontaliers sur les thèmes de la drogue et de la militarisation.
Après que les médecins l’aient déclaré hors de danger, Molina adressa quelques mots depuis l’hôpital à l’agence EFE : « Nous habitons malheureusement un pays à haut risque, où nous journalistes qui exerçons le métier de façon indépendante et abordons des thèmes sensibles, sommes toujours exposés à ce genre d’événements. »
Quelques heures plus tard, alors que commençait la Journée de la liberté d’expression, il diffusait le communiqué suivant : « Je me déclare un survivant de l’insécurité dont souffre la majorité de ce pays… Mon intention n’est pas faire des conjectures sur le fait, mais vu la répétition de l’attaque le jour même, je suis porté à penser qu’il ne s’agissait pas d’un vol de téléphone ordinaire mais d’une attaque directe envers ma personne. »
Le Honduras rivalise avec le Mexique pour ce qui est des menaces, attentats et assassinats de journalistes qui osent dire les vérités que les puissants veulent taire. Sont visés aussi des défenseurs des droits humains, comme la grande activiste Berta Cáceres, assassinée le 3 mars 2016.
Les deux cas sont liés. L’attentat contre Félix Molina a eu lieu le jour même où était annoncée la capture de quatre des suspects de l’assassinat de Berta, tous liés, selon les informations qui circulent, à l’État ou à l’entreprise Desarrollos Energéticos S.A. (DESA) qui cherche à imposer son projet sur les terres lenca : Douglas Geovanny Bustillo, retraité des Forces armées qui a dirigé la force de sécurité privée de DESA, Sergio Rodríguez Orellana, employé de DESA, Mariano Díaz Chávez, un officier militaire de haut rang, et Edilson Duarte Meza, ancien officier militaire.
L’organisation dont Berta est la cofondatrice, le Conseil civique d’organisations populaires et indiennes du Honduras (COPINH, Consejo Cívico de Organizaciones Populares e Indígenas de Honduras en espagnol) et sa famille ont diffusé un communiqué :
« Ayant été exclus dès le début du processus d’enquête, il nous est impossible de juger si les arrestations réalisées sont le résultat d’enquêtes exhaustives et nous ne savons pas non plus si elles incluent les auteurs intellectuels à tous les niveaux. Cependant, la nouvelle de la participation présumée de militaires en activité ou retraités liés à l’entreprise DESA semblerait démontrer l’implication d’agents de l’État dans l’assassinat. Ce point doit être approfondi et c’est une raison suffisante pour suspendre de façon immédiate et définitive le projet hydroélectrique Agua Zarca. »
Au vu de l’arrestation de militaires et anciens militaires, Molina qualifia ce même jour la situation : « paramilitarisme ». Dans d’autres communiqués, il a révélé, en citant noms et prénoms des personnes concernées, les relations entre le personnel politique et l’entreprise hydroélectrique qui projette de construire le barrage sur le Rio Gualcarque, défendu jusqu’à la mort par Berta.
Dans le Honduras post-coup d’État – ou plutôt pro-coup d’État – toute cette activité est un péché impardonnable. Selon Ismael Moreno [4], autre défenseur des droits humains, connu sous le nom de Padre Melo, « les pouvoirs sont devenus des institutions représentatives de la loi des plus forts », où « l’État est un business ». Dans le contexte de la campagne « Honduras Open for Business » (écrit comme ça, en anglais) les puissants n’aiment pas les râleurs, comme Berta et Félix. Le business – que ce soit le trafic de drogue ou les mégaprojets transnationaux – a des plans pour les territoires et les ressources naturelles du Honduras qui n’incluent pas leur usage ancestral par les peuples indiens et ruraux.
Le gouvernement des États-Unis s’applique à mettre le feu à cette poudrière. Le paquet d’aide financière le plus récent – et le plus important – accordé dans le cadre de l’Alliance pour la prospérité, soit 750 millions de dollars annuels pour le Honduras, le Guatemala et El Salvador est en majorité destiné à la « sécurité » et à la lutte contre le trafic de drogue, soit précisément aux forces impliquées aujourd’hui dans l’assassinat de Berta Caceres (et d’autres personnes). Le dernier rapport de la Commission inter-américaine des droits humains conclut d’ailleurs : « Cette insécurité proviendrait en partie de la police elle-même, de la police militaire et de l’armée, de fait de l’usage illégitime de la force, dans certains cas en complicité avec le crime organisé. »
L’autoritarisme s’exprime par des contrôles physiques, mais également par la mise en place de verrous psychologiques. Molina refuse ces derniers dans son communiqué : « Je veux continuer à exercer sans peur le journalisme, continuer à vivre sans peur. »
Au Honduras aujourd’hui, les partisans du modèle néolibéral à outrance et du contrôle social à tout crin, soutenus ouvertement par le gouvernement états-unien, explorent les limites entre gouvernementalité et répression. S’il n’y a pas une réponse sociale forte, à niveau international, à la répression sanglante et à l’impunité dans le pays, celles-ci ne vont pas gagner du terrain au Honduras seulement, elles pourraient bien être l’avenir de tous nos pays.
La résistance du peuple du Honduras est nécessaire ; l’unité régionale est fondamentale.
Traduction de Maurice Audibert pour Dial.
Source (espagnol) : Desinformémonos
Source en français : (Dial – www.dial-infos.org) http://www.alterinfos.org/spip.php?article7392