Le 14 janvier 2016 s’est déroulée au parlement européen à Bruxelles une conférence internationale pour dénoncer les diktats de la BCE. Elle était organisée par le groupe parlementaire GUE/NGL. Le CADTM y a activement participé. La vidéo de la conférence est disponible dans son intégralité sur cette page. En bas de la page sont également disponibles les supports de présentation utilisés par les intervenants.

Les eurodéputé-e-s Gabriele Zimmer (Die Linke) et Matt Carthy (Sinn Féin) ont introduit la séance.

La question principale, quand on s’intéresse à la BCE, est : « Qui contrôle la BCE ? ». Si la BCE réaffirme sans cesse son indépendance par rapport aux décideurs politiques, elle exerce en réalité une action politique. On a vu comment elle est intervenue dans les différents pays européens (comme en Grèce). Se poser des questions sur la BCE, c’est aussi s’interroger sur la zone euro et l’Eurogroupe, dont les membres et le président ne sont pas élus par les citoyens. Quelles alternatives existent pour une autre voie en Europe ?
Dans la gestion de la crise de la zone euro, les parlementaires GUE/NGL critiquent le fait que le Parlement européen (PE) n’est pas consulté et qu’il n’a aucun droit de regard sur le travail de la Commission, et donc de la Troïka. Aujourd’hui, Draghi vient trois à quatre fois par an devant le PE, visites durant lesquelles la commission économique du PE ne peut prendre la parole que pendant cinq minutes pour l’interpeller.

Le rôle de la BCE est devenu de plus en plus négatif au fil des ans. Dans les pays périphériques de la zone euro, la Troïka a contribué à mettre en place un agenda austéritaire, augmentant la pauvreté et les inégalités, ne permettant pas de faire progresser une croissance stagnante (ou positive mais basée sur une économie non soutenable). Les populations européennes, et notamment des pays périphériques, ont payé un lourd tribut dans la crise : elles ont payé au moins 33% de la banqueroute européenne.

En Irlande, la population a payé 64 milliards d’euros pour sauver le système bancaire. Dans le même temps, les files d’attente s’allongent devant les hôpitaux irlandais, et le pays doit faire face à une crise du logement et à une augmentation du nombre de SDF (dont les décès augmentent aussi). Les responsables de la crise sont encore au pouvoir aujourd’hui : les gouvernements de droite ou sociaux-libéraux de l’UE peuvent continuer à mettre en œuvre les politiques qui ont mené à la débâcle, tandis que les gouvernements progressistes ont la corde au cou.

Cette conférence a été structurée de manière à aborder tout d’abord les problèmes fondamentaux de la BCE, avant de discuter des solutions et des alternatives possibles.


1. L’émergence de mesures politiques non-conventionnelles.

Pour Norbert Häring (économiste et journaliste), la BCE ressemble à une super-agence gouvernementale, sur laquelle les décideurs politiques influent selon « plus d’inflation – moins de chômage » ou « moins d’inflation – plus de chômage », mais sans jamais questionner la structure ni les motivations de l’institution.

Historiquement, les banques centrales sont des banques commerciales, créées par des banquiers d’affaires conformément à leurs intérêts. Les banques centrales ont été façonnées de manière à ce que les décideurs politiques aient le moins d’influence dessus. Les gouvernements ont repris un peu de contrôle au fil du temps et notamment durant les Trente glorieuses, mais les banquiers ont contre-attaqué et ont inventé le « time inconsistency », reprenant la main sur les banques centrales. Aujourd’hui, des banques commerciales contrôlent les banques centrales. En Italie par exemple, la banque centrale a été privatisée, augmentant le capital des banques commerciales de plusieurs milliards.

Les banques centrales estiment que les gouvernements devraient être soumis aux marchés financiers, et mettent cette idée en application. Tout ce qui est bon pour les banques serait bon pour l’économie, et donc pour les populations. Les banques supervisées par la BCE ont l’avantage d’avoir une institution importante qui travaille avec elles à l’augmentation de leurs profits.
L’objectif de la BCE est soi-disant de faire en sorte que les banques dans chaque pays soient motivées à prêter plus. Un autre objectif est que les banques achètent des titres, comme par exemple des obligations, contribuant ainsi à créer des bulles financières.

La BCE ne fait pas de politique monétaire, et n’injecte donc pas d’argent dans l’économie, bien que cela serait possible. Elle pourrait transférer de la monnaie nouvellement créée aux gouvernements, qui pourraient l’utiliser pour leurs dépenses. Les fonds qui ont été utilisés pour l’assouplissement quantitatif (quantitative easing, QE) pourraient être divisés équitablement entre les populations européennes. Mais les banquiers estiment que cela les conduirait à leur perte et donc continuent à mener des politiques de QE, qui leur bénéficient. Le QE est la « meilleure redistribution de richesses des classes moyenne et populaire vers la classe supérieure », selon le gestionnaire de fonds spéculatif Stanley Druckenmiller. Il s’agit en fait d’une politique de bail-out des banques, consistant à injecter de l’argent dans les secteurs les plus riches de l’économie en espérant un « effet de ruissellement ».

À travers l’exemple de la crise chypriote, Harald Schumann (journaliste d’investigation) explique que les représentants de la BCE ont dépassé leur mandat. Cela commence avec le PSI |1|, quand les créanciers ont prêté plus de 100 milliards à la Grèce. Au même moment, le gouvernement a dû débourser 50 milliards pour sauver son système bancaire. La Banque Piraeus est sortie championne de ce sauvetage. La Banque de Chypre et la Banque chypriote Laïki ont perdu 10 à 14 milliards d’euros dans la crise grecque. Ces banques ne reçoivent pas de crédit pour être recapitalisées, mais sont alors soumises à une supervision. Il s’est avéré que le chef de la banque Piraeus à Athènes avait, par voie d’entreprises off-shore au nom de ses enfants, reçu plus d’un milliard de crédit pour acheter de nouvelles actions Piraeus. Celles-ci n’étaient pas couvertes, il s’agissait en réalité d’un montage financier pour gonfler le capital de la banque. La Banque centrale n’est pas intervenue quand il s’est avéré que la banque Piraeus avait triché. Il y avait conflit d’intérêt entre le chef de la Banque centrale, la BCE, et la banque Piraeus.

Ces interventions étaient un non respect du mandat de la BCE. À cause de cela, des centaines de milliers de Chypriotes et de Grecs se sont retrouvés en faillite. Le système de l’aide des liquidités d’urgence a depuis été abandonné.


2. Implication de la BCE dans la gestion de la crise dans différents pays.

Pour Pearse Doherty (parlementaire irlandais, porte-parole du Sinn Féin sur les questions de finance), la BCE a dépassé son mandat dans la gestion de la crise irlandaise. Dès 2008, la BCE a annoncé que les pays périphériques de la zone euro ne devraient pas avoir de droit de regard sur la politique communautaire. Au nom de « l’intérêt supérieur de la zone euro », M. Trichet a donné des conseils politiques au Portugal, à l’Etat espagnol et à l’Irlande. La BCE a demandé aux Etats périphériques d’appliquer l’austérité dans les salaires et d’assouplir le droit du travail. Quel que soit le problème, c’est toujours la solution apportée par la BCE. Ce programme de coupes budgétaires a aggravé la situation en termes d’endettement. Une baisse de 3,6% du PIB irlandais est directement la conséquence de la politique avalisée par la BCE. Les programmes de la Troïka ont été responsables d’une hausse de 3,5% du chômage. Le coût de la consolidation fiscale aurait pu être évité. Sept années d’austérité ont eu d’énormes conséquences sur les plus faibles.

L’alourdissement de la dette, l’effondrement du secteur de la construction et l’acharnement de l’austérité ont augmenté les complications en 2010. M. Trichet a alors écrit au gouvernement irlandais, menaçant d’un effondrement bancaire si la politique d’austérité budgétaire recommandée par la Troïka n’était pas appliquée. Cela n’était pourtant pas du ressort de la BCE. Les « conseils » de celle-ci étaient des menaces, et donc des injonctions. L’establishment irlandais a accepté l’austérité, appliquant 12 milliards d’euros de coupes budgétaires dans les services publics. Le gouvernement irlandais a pris la décision de faire tenir sur les épaules de sa population le fardeau des obligations. M. Trichet avait parlé d’une « bombe » qui exploserait à Dublin si les détenteurs des obligations étaient laissés de côté. Il y a donc, aux niveaux nationaux et européen, des mesures antidémocratiques. La Troïka a trouvé du répondant en Irlande : les élites politiques et financières du pays voyaient leurs intérêts protégés par la Troïka. La gestion de la crise irlandaise par la BCE n’annonce rien de bon pour l’avenir.

Marika Fragaki (économiste, membre du Secrétariat politique de Syriza en charge des questions économiques) revient sur le rôle joué par la BCE dans la crise grecque. Tout a commencé sur les marchés financiers, avec les obligations du gouvernement grec. En mai 2010, un premier programme d’ajustement a alloué un prêt au gouvernement grec, conditionné par des mesures sévères que le gouvernement accepte. Le 10 mai 2010, la BCE lance un programme permettant aux banques centrales de racheter des obligations grecques sur le marché secondaire. Cela permet de sauver les banques européennes, et non pas la Grèce.

Un deuxième prêt est signé en 2012. À ce moment-là, la BCE revendique son statut d’ancienneté en tant que créancier : ses obligations sont prioritaires. La BCE contrevient ainsi à son mandat fondamental : entre 2010 et 2012, la BCE a totalement échoué dans son rôle d’assurer la stabilité financière. En 2012, le programme OMT (qui impliquait le rachat d’obligations souveraines par la BCE auprès des banques privées) qui devait durer jusqu’à 2015, est décidé, sans jamais être mis en œuvre dans le cas de la Grèce. Les taux d’intérêt pour les dépôts sont devenus négatifs, plongeant l’économie dans un piège de liquidités. La BCE a alors introduit le QE et le programme d’achat des actifs publics.

Le 25 janvier 2015, Syriza gagne les élections en Grèce. Le 27 janvier, les négociations entre le nouveau gouvernement et les créanciers commencent. Le 22, la BCE avait déclaré qu’elle dépenserait 60 milliards chaque mois pour acheter des actifs à l’échelle des pays de la zone euro. Le 14 juillet, Tsipras fait une annonce, disant que le résultat du sommet européen a été celui d’une énorme pression favorisant les pouvoirs financiers en Europe. Si bien que l’on arrive au troisième prêt conditionné à un assainissement budgétaire, des réformes structurelles et des privatisations. La BCE a joué un rôle de soutien aux créanciers, asphyxiant le système bancaire pour peser dans les négociations. Dès la fin janvier, des mesures sont prises par l’institution pour faire pression sur le gouvernement, comme la levée des dérogations sur les obligations grecques. Après l’annonce du referendum, la BCE a gelé les financements des banques grecques. Le 6 juillet, elle impose une décote sur les obligations grecques. Cela aboutit à une fuite des capitaux.
L’économie grecque est aujourd’hui dans une spirale de déflation. La BCE devrait rétablir les dérogations pour lever la décote, et accepter les obligations grecques dans le programme de QE.

Eric Toussaint (CADTM, coordinateur de la commission pour la vérité sur la dette publique grecque), revient sur les résultats du travail de la commission en 2015. Voir http://cadtm.org/Les-diktats-et-le-…
À partir de 2010, le problème fondamental en Grèce relève de la dette privée en raison d’une bulle spéculative encouragée par très peu d’acteurs : des banques françaises (Crédit Agricole, BNP Paribas, Société générale, Banque Populaire – Caisse d’Epargne), trois ou quatre banques allemandes, et quelques banques grecques.

Selon le témoignage de Panagiotis Roumeliotis (représentant de la Grèce au FMI entre 2010 et 2011) devant la commission d’audit de la dette grecque[[voir cet article, dès le premier mémorandum Trichet menaçait de supprimer l’accès aux liquidités pour les banques grecques si la Grèce demandait une réduction de sa dette. Pour Trichet, il fallait que les 110 milliards du premier mémorandum soient utilisés par la Grèce pour rembourser les créanciers privés et pour permettre aux banques françaises et allemandes de se retirer de la Grèce en vendant les obligations acquises auparavant et en vendant leurs filiales grecques. Empêcher la restructuration de la dette grecque jusqu’en 2012 devait ainsi permettre non seulement aux banques allemandes et françaises, mais aussi aux banques grecques, de se débarrasser de leurs titres.

La question de la restructuration est reportée à 2012. En attendant cela, la BCE a imposé des mesures extrêmement dures, sans même respecter la constitution grecque (le parlement n’a pas été consulté pour le 1er mémorandum), et sans respecter les droits humains fondamentaux.
Entre 2010 et 2012 est appliqué un programme d’achats de titres publics. La BCE achète aux banques françaises et allemandes des titres grecs au moment où ceux-ci sont en train de s’effondrer, une très bonne opération pour ces banques. Trichet est à la manœuvre, avec le soutien de Merkel mais aussi d’Obama. La BCE rachète environ 55 milliards de titres grecs, avec des taux d’intérêt élevés (ex : 6,10%, qui se transforment en 8% puisque la BCE a acheté les titres à 75% de leur valeur). Elle se fait ensuite rembourser ces titres, et ce jusque 2018. Quand la BCE organise la restructuration de la dette de 2012, elle utilise sa séniorité pour refuser d’y participer. Les titres que la BCE a achetés sont présentés en juillet et août 2015 au gouvernement grec à 100% de leur valeur, et avec les intérêts. Il y a là un abus de taux usurier de la BCE, qui profite de son statut pout tirer des profits sur le dos du peuple grec.
Dans la restructuration opérée par la Troïka en 2012, les fonds de pension, les petits porteurs grecs et les travailleurs licenciés ont vu leurs titres perdre plus de 50% de leur valeur. Ainsi la Troïka est responsable de l’effondrement des fonds de pension grecs. Il y a ici illégalité / illégitimité de la BCE, qui impose des sacrifices terribles aux peuples, en s’accordant des gains alors qu’elle est responsable. En 2014, les titres grecs représentent 40% des revenus de la BCE, dont les gains effectués sur les titres grecs vont s’élever à 7,7 milliards d’euro d’ici 2018 selon ses propres documents. Alors que la BCE s’était engagée à rétrocéder les intérêts trop perçus et s’en est servi comme moyen de chantage pour qu’un 3e mémorandum soit accepté par le gouvernement de Tsipras. C’est finalement, après la capitulation de Tsipras début juillet, que la BCE accepte de rétrocéder les montants trop perçus à condition qu’ils soient utilisés pour rembourser le FMI.

Parmi les membres du conseil général du fonds de recapitalisation grec, on trouve Pierre Mariani, responsable de la faillite de Dexia, qui était parti avec un parachute de 1,5 milliard. On trouve aussi Wouter Devriendt, qui avait occupé des fonctions dans les banques Fortis et ABN-Amro, toutes deux sauvées de la faillite par le gouvernement belge en 2008. Steven Franck fait également partie du conseil général. Entre 2006 et 2009, il avait travaillé pour la BNP Paribas, qui a joué un rôle important dans la formation d’une bulle spéculative du crédit privé en Grèce. La composition de ce conseil général devrait nous poser des questions.

À travers ce fonds de recapitalisation, des grandes banques et des fonds d’investissement vont acheter les titres bradés de la Grèce pour en tirer des profits. Cette opération va diluer la part des pouvoirs publics dans les banques grecques. L’un des buts est que le système bancaire grec reste dans les mains d’une poignée d’actionnaires.

En février 2015, la BCE s’est immiscée dans les affaires grecques en annonçant que les banques grecques n’auraient plus accès au taux normal de la BCE, et a obligé les banques grecques à passer par le programme de liquidités d’urgence ELA, avec un taux plus élevé et des garanties plus importantes. Cela a asphyxié le système bancaire grec. C’est dans ce contexte qu’est signé l’accord du 20 février, par lequel le gouvernement s’engage à continuer le remboursement sans garantie que les créanciers se désengageraient.
40 milliards ont été retirés des banques grecques entre décembre 2014 et juillet 2015. En permanence, la BCE maintient sa pression sur la Grèce. Benoît Coeuré, l’un des dirigeants de la BCE, annonce un possible Grexit en cas de « oui » au referendum. Quelques jours avant le referendum, un autre dirigeant de la BCE fait une annonce similaire. Ils déclareront par la suite que ce n’était qu’un effet d’annonce, et que cela n’aurait pas été possible légalement.
La commission d’audit va continuer ses travaux à Athènes sans le soutien du parlement grec. Elle travaille sur un document sur les banques grecques et sur l’intervention de la BCE dans la crise. Ce document sera certainement rendu public le 1er mars au PE.

Depuis la salle, Zoé Konstantopoulou souligne le fonctionnement antidémocratique de la BCE. À travers l’exemple grec, nous avons la preuve concrète que la BCE extorque de l’argent et ne prend pas en compte les décisions démocratiques des peuples européens. Mais les peuples ne sont pas sans défense face à la BCE et disposent d’outils contre ce chantage. Le rapport préliminaire de la commission d’audit de la Grèce est sorti à la mi-juin 2015 et prouve la responsabilité des créanciers, notamment le FMI et la BCE, dans la faillite grecque afin de sauver les banques françaises et allemandes. Le gouvernement grec aurait dû prendre ce rapport en compte et l’utiliser face au chantage des créanciers.


3. Alternatives institutionnelles : imaginer une Banque centrale démocratique et responsable.

Johannes Priesemann (employé de la BCE et syndicaliste à IPSO) affirme la nécessaire démocratisation de la BCE et de l’UE. IPSO est le seul syndicat reconnu de la BCE, représentant environ 40% du personnel. La BCE n’est pas seulement leur employeur, mais aussi leur législateur pour le droit du travail.
Dans l’article 36 des statuts de la BCE, un texte permet au conseil des gouverneurs et au Conseil exécutif de définir la législation du travail. Ce texte a été interprété par les employeurs comme une autonomie totale. De fait, la BCE a une législation qui lui est propre et qui s’applique à tous ses employés. L’article 36 est pourtant incompatible avec les principes juridiques de l’UE. L’article 2 du Traité de l’UE prévoit la démocratie, l’égalité et l’Etat de droit. La BCE a un pouvoir de réglementation bancaire. Le principe de séparation des pouvoirs est une pierre angulaire de la démocratie européenne, et cet article 36 n’y correspond pas. Toute législation dans le domaine de la BCE se fait sans l’approbation d’un parlement. Peut-on imaginer qu’une banque centrale nationale ait le pouvoir de décider des conventions collectives sans consultation du parlement ?

L’IPSO a demandé à ce que le PE se saisisse de la question. Le PE pourrait demander à ce que tous les textes réglementant la BCE soient rendus publics, de manière à vérifier qu’ils sont conformes au droit européen, et modifier ces textes le cas échéant. Une façon d’aborder les problèmes de l’action de la BCE serait de renforcer la démocratie interne à la BCE. La BCE affirme avoir choisi le dialogue social le plus vaste possible avec une double consultation des représentants du personnel avant toute modification de ses statuts, plutôt que d’établir une convention collective. Or, les représentants du personnel ne sont pas présents quand le CE prend des décisions.

La BCE est une joint venture dirigée par les gouverneurs, qui emploie des travailleurs précaires en grand nombre. Il y a un marché du travail à deux vitesses à la BCE, ce qu’a dénoncé IPSO dans une lettre ouverte adressée aux gouverneurs. La BCE utilise les travailleurs « temporaires », les précaires, en tant que travailleurs permanents.

IPSO développe des pistes alternatives de fonctionnement, notamment à travers ses séminaires IPSOnomics, qui ne seront pas développées ici mais que l’on peut trouver en ligne. À partir d’une démocratisation du fonctionnement de la BCE, on peut imaginer un changement positif dans son action.

La BCE est partie intégrante d’une vision politique selon Connor McCabe (professeur en économie politique). En cela, il ne suffit pas de la réformer : ce sont les politiques à l’œuvre dans l’UE qu’il faut modifier. Peu importe la situation à laquelle elle devait faire face, la BCE a toujours prôné les mêmes solutions : mener des réformes structurelles afin de libéraliser les marchés et de casser le droit du travail. La BCE est l’instrument d’une politique de domination de la classe capitaliste, qui s’attaque notamment aux pays périphériques, véritables vassaux des pays du centre de la zone euro.


4. Des alternatives politiques progressistes face aux politiques économiques actuelles.

Andreas Nölke (professeur de Relations internationales et d’économie politique internationale) développe les alternatives qu’il estime envisageables.
Les contraintes institutionnelles du système de l’euro rendent impossible un changement progressiste. Il n’y a pas de possibilité de dévaluation au sein de la zone euro, et dans le même temps un dogme de la politique fiscale qui favorise les pays dégageant des excédents budgétaires. De plus, la BCE indépendante limite toute marge de manœuvre politique.

Certains à gauche estiment qu’il est possible de mener un plan A, c’est-à-dire de réformer la zone euro de manière progressiste, en diminuant les écarts salariaux entre les pays et en la démocratisant de l’intérieur. Cela est désirable, mais irréaliste. En Allemagne, ni les syndicats, ni le gouvernement ne seraient prêts à prôner une diminution de la compétitivité dans l’UE. Nous devons donc exiger un plan B alternatif au système actuel.

Une première possibilité de plan B implique de réformer le système monétaire européen, en introduisant des devises nationales et le rétablissement de la souveraineté monétaire, tout en conservant l’euro dans un premier temps afin de permettre un réalignement, avant de négocier les fluctuations des devises puis d’intervenir afin de stabiliser les monnaies nationales. Il ne s’agit pas d’un retour au nationalisme : ce plan B est compatible avec un projet européen.
Une autre possibilité pour le plan B serait de regarder du côté des propositions énoncées par Keynes dans les années 40, à savoir un contrôle des capitaux, une union monétaire fixe mais ajustable, et des pénalités pour les pays ayant des déficits, mais aussi pour ceux dégageant des excédents, afin de réinjecter ces surplus pour l’investissement. Aujourd’hui dans l’UE, il faudrait ainsi conférer un autre rôle à la BCE, celui d’assurer le plein-emploi et de stabiliser la balance des paiements, et il faudrait envisager une version allégée de la monnaie commune (avec une complémentarité entre les devises nationales et l’euro).

Carlos Carvalhas (économiste, membre du Parti communiste portugais) explique que les politiques d’austérité sont surtout des politiques de concentration des richesses. L’augmentation de la dette publique depuis 2008 n’est pas due à des dépenses exagérées, mais au transfert de ressources publiques vers la recapitalisation du système bancaire. Celui-ci a eu des pratiques frauduleuses : il y a eu une augmentation des banques fictives et des produits dérivés. La classe politique dominante ne veut ni nationaliser les banques, ni même les contrôler, et encore moins faire participer les travailleurs à leur fonctionnement. La monnaie est un bien public qui devrait être au service de la communauté, et non pas au service de l’accumulation des richesses dans les mains d’une minorité.

Une première mesure qui peut être avancée sans rompre avec le système actuel serait d’empêcher que le pouvoir politique soit subordonné au pouvoir financier. Pour plusieurs pays de l’UE, la dette publique est une véritable corde autour du cou qui pousse au démantèlement de l’Etat social. Les taux d’endettement ont atteint des niveaux inédits suite à une spéculation débridée. La dette publique est une question qui doit être abordée frontalement.

La BCE pourrait financer directement les Etats et garder le contrôle sur l’inflation. L’UE devrait consacrer la coopération et la solidarité entre des Etats souverains libres et égaux en droits. Il faut liquider la dette publique des pays les plus endettés. Il faut réfléchir à une réforme du système monétaire. Il faudrait également rompre avec une politique d’investissement au service des multinationales. Il faut augmenter les salaires et les dépenses sociales dans tous les pays de l’UE, et réduire de manière généralisée le temps de travail.

Les eurodéputés Fabio De Masi (Die Linke) et João Ferreira (Parti communiste portugais) ont conclu la séance :
La BCE est l’institution la plus puissante d’Europe, réactionnaire et mettant la corde autour du cou des peuples européens, imposant des coupes dans les budgets sociaux. Or, les investissements dans les domaines sociaux devront être importants dans les mois à venir, surtout si l’on veut réserver un accueil digne aux réfugiés. La GUE/NGL continuera à mettre la pression sur la classe dominante européenne.

Il faut un contrôle public et démocratique de la BCE, aspect essentiel d’une politique progressiste en Europe. Ramener la BCE à sa fonction sociale : une banque au service du développement, menant une politique de crédit véritable, au service des ménages et des PME.

Il faut absolument renégocier la dette et restructurer l’endettement public. L’expérience de la commission sur l’audit de la dette grecque va être importante. Si on le peut, il faudra passer par une solution négociée, mais si ce n’est pas possible il faudra aussi reconnaître aux pays souverains le droit inaliénable de se débarrasser de la partie illégitime de la dette.

Il n’est pas possible de mener des politiques alternatives dans le cadre de l’Eurozone. Il faut démanteler de manière organisée cette machine qui nous a amené dans cette situation. Chaque Etat souverain doit pouvoir mettre en place un « plan B ». Un Etat doit pouvoir se débarrasser de ce carcan que sont les politiques économiques et monétaires européennes afin de mener une vraie politique de gauche.

Enfin, la gauche doit pousser la réflexion sur une sortie de certains pays de la zone euro. Nous n’avons jamais réclamé une sortie inconditionnelle. Il faut défendre une « sortie de gauche », qui profite de toutes les possibilités de développement qui pourraient se présenter. Il faut un contrôle public du système bancaire et une restructuration de la dette. Cela doit déterminer notre action politique au quotidien.

Notes

|1| Private Sector Involvement. Voir le paragrape 2.2 (« Mécanisme 2 : Appliqué dans le cadre de la restructuration de 2012 (PSI) ») du texte suivant : http://cadtm.org/Le-mecanisme-du-sy…

Auteur.e

Nathan Legrand Stagiaire CADTM

L’article original est accessible ici