Par Patrick Saurin
Ancien chargé de clientèle pour les collectivités locales à la Caisse d’Épargne, ce spécialiste des emprunts à risque interviendra à Perros-Guirec demain 28 janvier pour expliquer la nature et les mécanismes de ces produits financiers dont le degré de toxicité n’a d’égal que leur sophistication. À l’appui des toutes dernières décisions de justice, il assure qu’en dépit de l’aide du fonds de soutien, le combat va se poursuivre. Il met également en évidence des incohérences dans les opérations de désensibilisation.
– Pourquoi continuer à expliquer les mécanismes liés aux emprunts toxiques puisqu’a priori les difficultés sont en passe d’être résolues ?
J’interviens à la demande de collectifs citoyens, mais l’affaire n’est pas terminée et le fonds de soutien ne résout rien du tout. J’en veux pour preuve les deux dernières décisions de justice rendues par les TGI de Nanterre et de Paris plutôt favorables aux collectivités locales, à savoir Saint-Cast-le-Guildo (Côtes d’Armor) et Laval (Mayenne). Même s’ils ne sont pas entièrement satisfaisants à mes yeux, ces jugements reconnaissent la responsabilité des banques. Il y a donc encore des arguments favorables aux collectivités à creuser et à faire prospérer. Il faut par conséquent continuer notre combat citoyen au côté des collectivités. D’autant que certaines d’entre elles n’ont pas encore signé de protocole dits de façon « euphémisée » de désensibilisation, elles ont besoin d’être informées tout comme leurs concitoyens, auxquels certains élus opposent à tort que ces négociations sont confidentielles.
– Et ce n’est pas le cas ?
Non, à partir du moment où un contrat d’emprunt est conclu par une collectivité dans le cadre de sa mission de service public, il est considéré comme un document administratif et perd son caractère confidentiel. Dès lors, tous les éléments y afférents doivent être communiqués à toute personne qui en fait la demande. Cette obligation n’a pas été respectée par le maire de Dijon, ce qui m’a amené avec le collectif de Côte d’Or pour un audit citoyen de la dette (CAC 21), forts de deux avis de la Commission d’accès aux documents administratifs (CADA), de saisir le tribunal administratif de Dijon. Par ailleurs, j’ai remarqué des incohérences, voire quelques libertés prises avec la réglementation publique locale dans les opérations de refinancement. Normalement, la durée d’un emprunt souscrit par une collectivité locale ne peut pas dépasser la durée de l’amortissement du bien financé et la collectivité n’a pas le droit d’emprunter pour financer des intérêts. Or, les nouveaux prêts souscrits pour solder la soulte et le capital restant dû financent également les intérêts et sont consentis sur des durées anormalement longues. La Cour des comptes a d’ailleurs dénoncé ces allongements de la durée de la dette injustifiés.
– Les collectivités qui choisissent l’aide du fonds de soutien au détriment de la poursuite de leur action en justice le font pour se débarrasser d’un risque, même si la facture reste élevée pour elles. N’est-ce pas une bonne option pour repartir sur des bases plus saines ?
Prétendre que le fonds de soutien est la moins mauvaise solution est à mon avis une erreur, car cela revient à faire payer la facture au contribuable tant local que national et exonère les banques à bon compte. Même si le fonds finance une partie de l’indemnité, le reliquat à la charge de la collectivité est exorbitant et va se traduire par une gestion locale dégradée. Mais au final c’est le sauvetage de Dexia, à l’origine de la création du fonds, qui a été une décision catastrophique.
Plutôt que d’accepter de reprendre un encours de 90 milliards d’euros de dette intégrant des emprunts toxiques et de consentir à cette banque (en association avec l’État belge) une garantie d’un montant identique, l’État français aurait été plus avisé d’organiser la faillite ordonnée de l’ex Dexia afin de faire porter le risque aux créanciers avertis de la banque.
Cette option n’a pas été hélas retenue par les pouvoirs publics et l’Etat français a cherché par tous les moyens à préserver ses intérêts. Le premier jugement sur la Seine-Saint-Denis condamnant la banque pour l’absence de TEG (taux effectif global) dans ses contrats de prêt a amené le gouvernement à changer les règles du jeu de façon déloyale en faisant voter la loi de validation rétroactive de juillet 2014 et en mettant en place le fonds de soutien.
En réalité, ce dispositif ne vise qu’à sauver l’État et les banques par la même occasion, bien plus qu’à protéger les collectivités et leurs administrés.
Source La Gazette des communes
Auteur.e
Il est membre de la Commission pour la Vérité sur la dette publique de la Grèce, créée le 4 avril 2015. _