Essayons de traverser la bulle des médias Disney
Ces trois dernières années, j’ai beaucoup étudié. Depuis janvier 2022, j’ai non seulement consulté les nouvelles occidentales de gauche, de droite et du centre, mais aussi de nouvelles sources fonctionnant hors de la bulle narrative des médias occidentaux. Une bulle que j’appelle « la bulle des médias Disney ». J’ai consulté non seulement des informations provenant de sources indépendantes des États-Unis et d’Europe, mais aussi de régions comme l’Amérique du Sud, la Chine, l’Inde, le moyen orient, la Russie, l’Afrique, etc.
Après avoir comparé et vérifié les informations glanées de cet ensemble de sources au cours des 36 derniers mois, avec la clarté que seul un recul suffisant peut offrir, je puis dire avec une assurance proche de la certitude, que lorsqu’il s’agit d’affaires étrangères, en particulier les questions de guerres et les sujets économiques liés aux conflits, nous sommes aux États-Unis l’un des pays les plus mal informés et fortement sujets à la propagande de cette planète dans les années 2020.
Vous pensez peut-être que c’est impossible ? Ne sommes-nous pas supposés être « la terre de la liberté » et la patrie de toute démocratie ? Comment pourrions-nous être soumis à autant de propagande que la Russie, la Chine, sans parler de pays « moins civilisés » ou « du tiers monde » ? Nos médias sont libres, pas comme dans ces pays !
Eh bien, j’ai quelques nouvelles pour vous : s’il est formellement exact que les médias étasuniens ont bénéficié d’une grande liberté et ont couvert un large spectre de points de vue au 20ème siècle, cette situation a complètement changé au 21ème siècle et il existe des raisons observables à ce changement.
Les limites préétablies de la discussion et le nouveau modèle des médias
Il a presque toujours existé un ensemble de paramètres préétablis parmi les médias principaux, qui définissent les limites de la discussion politique « acceptable » aux États-Unis. Ces paramètres fonctionnent comme un filtre caché qui prévient l’émergence de toute critique sérieuse ou potentiellement dangereuse du pouvoir. Cette limitation du spectre de formes admissibles de discours est un aspect essentiel, souvent ignoré, de la propagande aux États-Unis et en Occident. (1)
Il est aussi très important de prendre en considération le nouveau modèle de médias qui a évolué au cours des 10 à 15 dernières années. Avec l’arrivée des chaînes d’information et l’explosion des médias digitaux, le média traditionnel, qui réunissait un large spectre de spectateurs aux intérêts et points de vue différents, a été remplacé par un modèle basé sur les souscripteurs, qui se concentre sur le développement et la croissance d’une audience ayant des intérêts et points de vue particuliers. (2)
Ce nouveau facteur, combiné aux paramètres de limitation du discours préexistants, a dégénéré en atmosphère politique tribaliste, dans laquelle les opinions des gens sur différents sujets tendent à se retrouver automatiquement dans un ensemble de positions toutes prêtes, ratifiées par le groupe auquel ils ont choisi d’adhérer ou souscrire.
Nous monter les uns contre les autres
Cette évolution a, d’un côté, créé un public de plus en plus polarisé, dans lequel les membres des camps « de gauche » et « de droite » s’affrontent dans des confrontations, adoptant des positions apparemment opposées sur divers sujets. Ce que l’on voit moins, c’est que ces affrontements se déroulent dans un cadre pré-assimilé et partagé, qui limite la possibilité de reconnaissance du fait que, d’un pont de vue plus large, ces factions opposées ont en réalité une gamme de préoccupations fondamentales communes, qui dépasse en fin de compte les différences largement superficielles qui focalisent leur attention.
Ajoutons encore la concentration massive de pouvoir et d’extrême richesse qui s’est produite ces 15 dernières années aux États-Unis, depuis l’adoption de décisions menaçant la démocratie comme l’arrêt Citizens United, ainsi qu’un ensemble d’autres mesures de dérégulation qui favorisent réellement les personnes très riches et les Moghols qui détiennent à présent un contrôle total sur tout l’éventail de sources principales de nouvelles et d’information en Occident. (3)
Nous aboutissons à une poudrière de désinformation avec un « programme du courant principal » dicté par un contingent de mondialistes extrêmement riches, qui possèdent actuellement les médias et la plupart de nos institutions. C’est un narratif qui tend, de plus en plus, à monter les tendances du public les unes contre les autres.
5 exemples flagrants où les Américains ne comprennent pas les événements majeurs de la décennie
1) Que s’est-il réellement passé en Ukraine ces trois dernières années ?
Bien qu’il soit devenu pratiquement impossible de dissimuler la vérité sur la guerre Ukraine-Russie, les citoyens des États-Unis et du Royaume Uni se trouvent, à égalité, plongés dans leur incompréhension unique de ce qui se passe dans le conflit Ukraine-Russie. J’ai écrit douze articles, en tout, à ce sujet. Franchement, mes reportages ainsi que ceux d’un groupe de collègues indépendants, avaient constamment 6 à 12 mois d’avance sur toutes les sources bien connues de médias d’information occidentales que j’ai pu consulter, lorsqu’il s’agissait de traiter correctement des nouvelles de la guerre en Ukraine. Nous avons été plus au fait de détails confirmés par diverses sources que nos collègues des principaux médias, qui se sont basés presque uniquement sur le narratif préparé par l’État. Vous trouverez les références pour trois exemples de cela dans la section des citations de l’article : (4), (5), (6)
De plus, la guerre par procuration, « projet Ukraine », est une ambition des États-Unis et de l’Otan depuis plus de 20 ans. La phase du conflit qui s’est déclenchée en février 2022 était supposée être la phase finale du « projet Ukraine », dont l’objectif était de briser la Russie, financièrement et militairement. Des preuves de cela se trouvent dans le premier de mes trois articles cités ci-dessus. Je me réfère à un mémo de l’organisation RAND en 2019, financée par le gouvernement américain. Le plan est mentionné assez clairement. (6A)
2) Le génocide d’Israël
Comme la vérité sur la guerre en Ukraine, il devient très difficile pour la presse occidentale de cacher la vérité sur ce qu’ont fait, et continuent de faire, Netanyahu et Israël à Gaza et en Cisjordanie depuis un an et demi. Amnesty International a officiellement confirmé que Israël commet un génocide. (7) Plus de cent mille civils innocents sont morts, tués par des bombardements massifs, des tirs, la famine imposée et l’hypothermie. (8) J’ai écrit 3 articles à ce sujet. Voici encore deux livres que vous pouvez consulter : (9), (10)
3) Les crimes de guerre de Joe Biden et son gouvernement
Après que Joe Biden ait retiré sa candidature pour 2024, un grand nombre d’articles ont été publiés dans la presse néolibérale comme The New Yorker, The Atlantic, Time, etc., tous louant sa présidence et le fait qu’il n’avait pas dirigé de guerre des États-Unis. La teneur générale de ces articles était que « Joe était un vrai type bien qui a fait du bon boulot dans sa fonction ». (11)
En réalité, Joe Biden s’est avéré l’un des plus ineptes, impulsifs, belliqueux et conflictuels que ce pays n’ait jamais connu. Plus d’un million de morts non nécessaires (en Ukraine, Gaza, Cisjordanie, Afghanistan, etc.) se sont produites pendant son mandat. Ajoutons à cela que l’économie européenne a été plongée dans une inflation massive et proche de la récession en raison de la destruction par le gouvernement Biden de la principale source d’énergie abordable de l’Allemagne. (12)
L’ignorance qu’ont les démocrates de cette disgrâce de Biden est encore incroyable à mes yeux. J’écris cela en tant que démocrate (encore) inscrit au parti.
4) Le danger que représente un billionnaire potentiel à une importante fonction de pouvoir gouvernemental
Bien que je serais heureux de voir une grande partie de ces faucons néoconservateurs de l’élite, néfastes, sanguinaires et antidémocrates éjectés du pouvoir la semaine prochaine, je doute vraiment de personnes comme Elon Musk. D’un côté, sa sauvegarde de Twitter (à présent X) d’une élimination presque totale de la liberté de parole était, à mon avis, une très bonne nouvelle. D’un autre côté, je pense et ressens que permettre à l’homme le plus riche de l’histoire de l’humanité, un homme qui n’a jamais connu une seule journée de difficulté liée à ses finances (comme la majorité de la population mondiale en ont connu et continuent d’en rencontrer) est assez dangereux. C’est une proposition qui pourrait nous plonger dans une nouvelle ère de barons brigands 2.0. Mais quand les états-uniens critiquent Musk, leurs critiques ne concernent que très rarement ce problème. Hélas, le culte de l’argent et le quasi-capitalisme dérégulé règnent encore en maîtres idéologiques aux États-Unis.
5) Le fait qu’une grande majorité d’étasuniens ne connaît à peu près rien aux BRICS
Une série d’événements se sont produits en 2023 et 2024 et, vu leur niveau d’importance mondiale et leur impact futur, ils ont éclipsé l’élection récente de Donald Trump. Un basculement mondial d’allégeances d’États s’est déroulé parmi les nations les plus riches et influentes du monde. Ce basculement a recomposé l’ordre mondial. En résumé, le monde a déjà profondément changé et la plupart des habitants des États-Unis ne sont pas au courant de ce qu’il s’est déjà passé.
Cette nouvelle coalition économique et militaire revigorée comprend la Chine, la Russie, le Brésil et l’Afrique du Sud, ainsi que dix autres pays à l’heure actuelle. Ajoutons qu’environ 30 nouveaux pays veulent entrer dans les BRICS, qui viennent d’ajouter l’Égypte, l’Arabie Saoudite et les Émirats Arabes Unis à leur charte. (13) Cette coopération de nations aux orientations similaires représente déjà presque la moitié du produit intérieur brut mondial et plus de la moitié de la population mondiale.
Les BRICS sont engagés dans un processus de développement de leur propre monnaie, qui représentera une sérieuse concurrence pour le dollar dans quelques années. Il est frappant de voir que les sources de nouvelles des États-Unis n’ont pas mentionné ce phénomène en première page. Les États-Unis ne sont plus le grand patron, ils ne sont plus la plus grande superpuissance mondiale. C’est le genre de nouvelle qui devrait se trouver en première page de tous les journaux. Mais hélas, ce fait n’a jamais été mentionné lors des débats présidentiels de ce mois de septembre.
Ignorant mais pas stupide
Malgré le titre assez provocateur de cet article et le fait que les états-uniens sont notoirement désinformés par les médias « d’information principales », je ne pense pas personnellement que nous serions, en moyenne, moins intelligents que les citoyens d’autres nations. En fait, il existe une décence de base et un désir de justice chez les étasuniens, lequel s’il est activé et bien informé, est aussi palpable et vivace que dans n’importe quelle culture, à mon avis.
Je rencontre de plus en plus de gens, des progressistes, des MAGA, des croyants de diverses religions, des athées, etc… qui voient au travers de la merde néoconservatrice dont ils sont alimentés depuis ces dernières 25 ou 30 dernières années. Et si je pense que nous allons avoir une décennie difficile, je pense aussi qu’une légère correction de trajectoire s’est produite récemment. Les gens, malgré les tentatives du complexe militaro-techno-industriel de les diviser, sont en train de commencer à se rassembler. Nous commençons à communiquer comme nous ne l’avions jamais fait. Nous commençons à nous débarrasser de notre ignorance.
Si la « gauche » et la « droite » désenchantées continuent de remettre en question le statu quo actuel, qui est clairement le reflet d’une division du pouvoir et de la richesse massive et encore croissante, certaines choses intéressantes vont commencer à apparaître ici aux États-Unis. Si nous continuons à converger vers notre désir d’une vraie démocratie et quelque semblant d’égalité de revenus, malgré notre diversité (qui est une chose merveilleuse) en tant qu’individus, rien ne pourra nous arrêter. Nous serons, comme l’a dit un jour un sage « comme une force de la nature qui ne trouve aucune résistance sur son passage ». (14)
CITATIONS :
-
- https://chomsky.info/consent01/
- https://www.entrepreneur.com/growing-a-business/why-subscription-models-will-be-the-new-normal-for-social/463963
- https://www.msn.com/en-us/news/politics/citizens-united-explained-what-every-american-needs-to-know/ar-AA1vlIBj
- https://www.pressenza.com/2024/08/the-us-calculated-sacrifice-of-the-ukrainian-population/
- https://www.pressenza.com/2023/05/putins-war-in-ukraine-is-headed-toward-a-conclusion-while-bidens-war-in-ukraine-is-just-beginning-to-heat-up/
- https://www.pressenza.com/2022/06/ukraine-is-losing-badly-and-things-are-about-to-get-much-worse-for-them-unless/ 6A) https://www.rand.org/pubs/research_reports/RR3063.html
- https://www.amnesty.org/en/latest/news/2024/12/amnesty-international-concludes-israel-is-committing-genocide-against-palestinians-in-gaza/
- https://www.aljazeera.com/news/2024/7/8/gaza-toll-could-exceed-186000-lancet-study-says
- https://www.pressenza.com/2024/08/blood-on-the-leaves-blood-at-the-root-einsteins-nightmare/
- https://www.pressenza.com/2024/03/israels-condition-of-origin-and-our-willful-ignorance/
- https://www.newyorker.com/news/q-and-a/was-bidens-decision-to-withdraw-heroic
- https://www.aljazeera.com/news/2023/9/23/what-we-know-about-the-nord-stream-sabotage-one-year-on
- https://foreignpolicy.com/2024/07/04/brics-southeast-asia-thailand-malaysia-russia-china/
- Silo, “Humaniser la Terre” http://www.silo.net/en/collected_works/humanize_the_earth (accès à la version en français)
Traduction de l’anglais, Serge Delonville