Yakov M. Rabkin et Nigel Martin, respectivement, professeur émérite d’histoire à l’Université de Montréal et vétéran de plusieurs ONG canadiennes et internationales à la retraite.

Un jour, au Foreign Press Club de Tokyo, lors d'une discussion sur la politique étrangère du Canada, un journaliste montréalais a commencé son intervention ainsi : « Il y a trois pays importants pour le Canada : Les États-Unis, les États-Unis et les États-Unis ». Or la frontière entre les deux pays qui est restée pacifique pendant plus de deux siècles est maintenant qualifiée par le président élu Donald Trump de « ligne artificiellement tracée ».

Un autre cas de voisinage asymétrique est la relation entre la Russie et l´Ukraine. Le Canada et l´Ukraine possèdent tous deux des grands territoires contenant des ressources naturelles vitales et sont tous deux voisins d´entités plus puissantes, plus peuplées et dotées de l´arme nucléaire : les États-Unis et la Fédération de Russie.

Comme le Canada et les États-Unis, l´Ukraine et la Russie faisaient partie – et bien plus longtemps – d’un même État. Des millions de Russes et d´Ukrainiens sont mariés entre eux, beaucoup partagent la même langue et regardent les mêmes films et programmes télévisés depuis des décennies. La plupart des Russes et des Ukrainiens faisaient partie du même espace culturel soviétique, les écrivains et les artistes provenant d’Ukraine, tel que Mikhaïl Boulgakov, étaient renommés dans toute l´Union soviétique. Zelenski lui-même, avant de devenir président, jouissait d’une popularité de comédien en Russie. Les relations économiques entre la Russie et l´Ukraine étaient les plus importantes de l´ancien bloc soviétique.

De même, le Canada et les États-Unis affichent le plus grand commerce bilatéral au monde. Les deux pays sont également liés par une multitude d´affinités personnelles, familiales, culturelles, linguistiques et autres. Plusieurs vedettes culturelles américaines, comme Céline Dion, sont canadiennes.

Immédiatement après l’élection de Trump un groupe de ministres a été mis en place à Ottawa pour gérer les relations avec la nouvelle administration américaine. Le Premier ministre s´est rendu à Mar-a-Lago où le président élu lui a suggéré de devenir gouverneur pour le futur 51e État du Canada. Il a été suivi en Floride par le ministre canadien des affaires étrangères et plusieurs autres dignitaires. Depuis le début du mois de novembre on cherche comment apaiser Washington et maintenir les relations bilatérales.

Le Canada fait tout pour maintenir l´harmonie dans ses relations avec les États-Unis, mais il a été à l´avant-garde des efforts visant à détacher l´Ukraine de la Russie. La politique du Canada en Ukraine peut donc être résumée par le dicton : « Fais ce que je dis, pas ce que je fais».

Comment expliquer ce paradoxe ?

Tout d´abord, la géopolitique. Après la Seconde Guerre mondiale, loyal envers les États-Unis, le Canada a accueilli des milliers d´anciens nazis d´Ukraine au début des années 1950.

Farouchement antirusses, ces Ukrainiens sont devenus un instrument de la guerre froide menée par les États-Unis contre l´Union soviétique.

Des camps d´été nationalistes, des écoles du dimanche et des périodiques entretiennent la flamme du nationalisme ukrainien pour les nouvelles générations. Parmi elles, Chrystia Freeland, dont le grand-père a été admis au Canada après avoir édité un journal ukrainien pronazi dans la Cracovie occupée par les Allemands. La complicité des cercles de pouvoir canadiens pour offrir un refuge et protéger les nazis ukrainiens a été une fois de plus mise en
évidence, avec une décision récente de garder l´identité de ces individus secrète.

Ce nationalisme ethnique fomenté au Canada a été exporté en Ukraine par l´intermédiaire d´ONG, de programmes éducatifs et de bénévoles. L´une de ces bénévoles, Freeland, qui deviendra plus tard vice-première ministre du Canada, a été consternée par l´absence de sentiment nationaliste en Ukraine lorsqu´elle s´y est rendue à l´apogée de la glasnost de Gorbatchev. Depuis lors, des décennies d´efforts constants pour détacher l´Ukraine de la Russie
ont porté leurs fruits, aboutissant tragiquement à une guerre entre les deux voisins.

La politique du Canada consiste à suivre la « voix du maître » – en l´occurrence, les desseins géopolitiques des États-Unis visant à affaiblir et à saper la Russie. Cette politique a contribué à l’exil, la souffrance et à la mort de millions d´Ukrainiens. Alors que le Canada a appris à vivre à côté d´un « éléphant », non seulement il n´a pas partagé cette précieuse expérience avec l´Ukraine indépendante, mais il l´a au contraire poussée à devenir un bélier contre son redoutable voisin.