Rémi Lefebvre, Université de Lille

Emmanuel Macron vient de nommer François Bayrou premier ministre, suite à la censure du gouvernement Barnier du 4 décembre. Mais François Bayrou peut-il « durer » plus longtemps que son prédécesseur à Matignon ? Quelle sera la position du PS, des écologistes et des communistes, désormais plus ouverts à la possibilité d’une négociation ? Entretien avec le politiste Rémi Lefebvre.


Quelle est votre réaction à la nomination de François Bayrou ?

Rémi Lefebvre : On a constaté qu’Emmanuel Macron avait amorcé un changement de méthode en convoquant les partis politiques à l’Élysée. C’était tout à fait inédit avec un président de la République qui animait directement la réunion. Or, finalement, Emmanuel Macron est revenu à la méthode traditionnelle : il a nommé quelqu’un de son camp, François Bayrou.

Le MoDem de François Bayrou est un groupe parlementaire encore plus faible que les LR de Michel Barnier. Au fond, Emmanuel Macron réitère la formule d’un premier ministre issu d’une majorité largement battue aux législatives 2024 et censurée il y a quelques jours. On ne voit pas bien l’issue. On ne voit pas en quoi cette solution pourrait amener plus de stabilité et plus d’ouverture.

La base de la légitimité de François Bayrou est encore plus fragile que celle de Michel Barnier. Ce dernier avait constitué son gouvernement avec l’accord implicite de non-censure, provisoire, du Rassemblement national. C’est clairement qui avait pesé sur les négociations or Bayrou n’a plus cet accord de non-censure.

Dans l’immédiat, on peut penser que les socialistes ne vont pas le censurer, mais que leur soutien sera négocié au cas par cas, de manière très sourcilleuse. Par ailleurs, les relations entre François Bayrou et Les Républicains sont exécrables – Nicolas Sarkozy a d’ailleurs tout fait pour saborder sa candidature. Cela veut dire qu’aujourd’hui, la base de légitimité de Bayrou, c’est en gros 150 députés, ce qui est extrêmement faible.

Finalement, Emmanuel Macron n’a pas pris en compte le scrutin législatif, ni la censure, et par ailleurs, il ne veut pas du tout remettre en cause de sa politique.

Avec Michel Barnier, Emmanuel Macron avait construit un attelage qui s’appuyait sur le RN et désormais, il propose une méthode qui exclut le RN et qui remet la barre un peu plus à plus à gauche. Quelle est la cohérence politique ?

R. L : Emmanuel Macron fait penser à un bateau ivre. En fait, il est complètement aux abois, avec une très faible marge de manœuvre. Cette impasse stratégique est aussi liée à son erreur de ne pas nommer un premier ministre issu de la gauche en septembre. Ce choix aurait « purgé » l’hypothèse de gauche et lui aurait permis de retrouver de la légitimité pour nommer un premier ministre de son camp dans un second temps. Désormais, il apparaît comme coincé par la logique de son choix initial.

Du côté de la gauche, il y a eu un bougé important : le PS, les écologistes et les communistes ont accepté d’entrer dans le jeu de la négociation en participant à la réunion des partis « républicains » voulue par Emmanuel Macron. Ils ne sont donc plus sur une posture de censure a priori comme c’était le cas vis-à-vis de Michel Barnier. Que pensez-vous de ce choix ?

R. L : Ce « bougé » est important. Le PS ne veut pas apparaître comme responsable d’une crise qui s’approfondit. Il se détache aussi de La France insoumise qui, elle, fait le choix de l’obstruction et du chaos avec l’objectif de précipiter une élection présidentielle. Ce choix est en phase avec l’identité politique du PS, qui a une culture de responsabilité, et il répond aussi à une demande de l’opinion publique qui veut que les partis trouvent des solutions.

Par ailleurs, ce choix est habile de la part d’Olivier Faure. Rappelons qu’un congrès du Parti socialiste a lieu dans six mois. Tout le monde disait que Faure était fini mais ce dernier a réussi à créer du mouvement en désarçonnant ses opposants qui lui demandaient une prise de distance à l’égard de LFI. L’occasion était parfaite et si l’on regarde les enquêtes d’opinion, le PS en tire des bénéfices.

Par ailleurs, les socialistes ont été prudents, ouvrant la porte aux compromis tout en posant des conditions. Ils gagnent sur les deux tableaux : ils donnent l’impression de l’ouverture et de la responsabilité, mais sans pour autant donner de blanc-seing à François Bayrou. Depuis ce choix, la gauche et du PS sont sortis de l’ombre et les médias ne parlent que d’eux. Le PS redevient un parti charnière qui joue un rôle stratégique, c’est nouveau.

Ensuite, évidemment, il ne faut pas croire que la position du PS sera facile. Si par exemple, François Bayrou acceptait de suspendre la loi sur les retraites, comment se positionneraient les socialistes ? Accepteraient-ils d’apparaître comme co-responsables des choix budgétaires du gouvernement ? Le point d’équilibre sera complexe à trouver.

LFI dénonce la traîtrise du PS, demande la démission de Macron, reste sur la logique de censure. Est-ce une stratégie gagnante pour Jean-Luc Mélenchon en vue d’une future présidentielle ou bien est-il cornérisé ?

R. L : Jean-Luc Mélenchon a une capacité de rebond très surprenante, c’est un phénix qui renaît souvent de ses cendres. Notons qu’il avait disparu, qu’il n’était plus candidat il y a quelques mois, et depuis peu, il est à nouveau au centre du jeu, incontournable pour la prochaine présidentielle. Son calcul est que les choses vont se dégrader, que Macron ne va pas tenir, que les socialistes vont s’abîmer en compromissions et que le reste de la gauche n’arrivera pas à mettre un candidat unique face à lui. Son calcul, c’est que le duel se jouera entre Marine Le Pen et lui, puisqu’il y aura sans doute plusieurs candidats issus de la Macronie. Mélenchon est très abîmé dans les sondages d’opinion, mais la capacité de la gauche non mélenchoniste à ne pas se structurer est également très forte…

Est-ce que le spectacle de partis qui passent leur temps à poser des lignes rouges et à jouer leurs intérêts particuliers en vue de la prochaine présidentielle contribue à approfondir la crise démocratique ?

R. L : Ce que nous vivons n’est pas une crise conjoncturelle : nous sommes au bout d’un processus de décomposition de la vie politique qui dure depuis des années. Il y a un profond discrédit de la parole politique et des partis. L’absence de majorité au parlement et la censure ne sont que la partie émergée de l’iceberg. L’accumulation de dysfonctionnements démocratiques, les logiques de fragmentation, de protestation, de populisme, de brutalisation, expliquent ce que nous vivons actuellement. Il ne faut pas croire qu’une négociation entre « partis de gouvernement » peut suffire à résoudre la crise. Cela peut même favoriser le vote RN qui parlera de collusion des élites et des partis.

Nous vivons la fin d’un cycle démocratique et institutionnel qui se soldera par un effondrement démocratique avec l’arrivée de l’extrême droite au pouvoir ou par une refondation démocratique. Pour cela, il faudrait beaucoup plus qu’une réforme instituant la proportionnelle – il faut la défendre mais cela n’est pas suffisant. Il faudrait repenser complètement les règles du jeu, avec une constituante, comme a pu le faire l’Islande. Il faudrait aussi une recomposition partisane. Ce qui se passe à gauche avec quatre forces politiques n’a aucun sens.

Rémi Lefebvre, Professeur de science politique université Lille 2, Université de Lille

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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