La décision de l’administration Biden de fournir et d’autoriser le gouvernement ukrainien à utiliser des missiles à longue portée pour frapper la Russie a été interprétée de diverses manières. L’explication la plus populaire parmi les analystes est qu’il s’agit d’une stratégie visant à contrecarrer Trump dans son intention déclarée de mettre fin à la guerre.
Mais il y a au moins un autre aspect à prendre en compte. Cette décision intervient après un appel téléphonique entre Scholz et Poutine qui, d’une certaine manière, marque une rupture entre les aspirations à la médiation de certains secteurs de la société européenne et le contrôle géopolitique exercé par Washington. Pour les Etats-Unis, il est essentiel qu’en cas de gel de la guerre, ce soit eux qui mènent les négociations et bénéficient des accords, reléguant l’Europe à un rôle marginal.
Dans un article du 22 février 2022, nous écrivions que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne (voyez qui fournit aujourd’hui des missiles de longue portée à Kiev !) provoquaient une guerre en Ukraine contre la Russie. L’un des objectifs était d’arrêter et d’empêcher la coopération entre l’Europe et la Russie. George Friedman, politologue, analyste et conseiller gouvernemental, a déclaré : « Pour les États-Unis, la principale crainte est le capital et la technologie de l’Allemagne, ainsi que les ressources naturelles et la main-d’œuvre de la Russie. C’est la seule combinaison qui a effrayé les États-Unis à mort pendant des siècles ».
Dans le même article, nous lisons que le premier objectif des États-Unis est de bloquer Nord Stream 2, ce qui s’est ponctuellement produit. Cette situation a eu des conséquences dévastatrices pour l’Europe, non seulement pour la population, mais aussi pour l’industrie, en particulier l’industrie automobile, qui a vu sa compétitivité mondiale s’éroder en raison de l’augmentation des coûts de l’énergie.
En résumé : les États-Unis veulent un allié faible et fragmenté. Une Europe qui exploiterait pleinement son potentiel économique, politique et culturel, s’affirmant comme une région autonome sur la scène mondiale, serait un obstacle à leur politique hégémonique.
LES CONSÉQUENCES DE LA GUERRE
Alors que l’Europe est prisonnière de ses contradictions, la Russie, malgré les difficultés imposées par les sanctions, semble avoir conservé une certaine résilience interne et trouvé de nouveaux débouchés économiques, notamment en renforçant ses relations avec la Chine et d’autres pays émergents.
L’Allemagne, « locomotive de l’Europe », est en récession et contrainte à des élections anticipées, et sa crise risque d’entraîner le reste du continent dans sa chute.
L’autre moteur historique de l’Union, la France, en proie à une crise politique profonde, voit son pouvoir en Afrique, où le commerce et l’influence de la Chine et de la Russie se sont accrus. Plusieurs pays africains – voir l’Alliance du Sahel – tentent de se libérer de l’hégémonie française asphyxiante. La France de Macron voit dans la poursuite de la guerre en Ukraine une chance d’affaiblir la Russie et reste alignée sur la politique contradictoire et inefficace des Anglo-Saxons.
La crise en Europe n’est pas seulement économique, mais aussi sociale, morale et politique. Plusieurs pays comme la Hongrie et la Slovaquie se sont alignés contre les décisions de Bruxelles, créant un fossé qui ne peut que s’agrandir.
La décision de la Cour pénale internationale contre Poutine a été célébrée avec enthousiasme, mais les citoyens sont restés silencieux face au verdict condamnant les crimes contre l’humanité du gouvernement israélien. Les citoyens « ressentent » ces grandes contradictions et ont perdu confiance dans le système, désertant les urnes ou votant pour des partis d’extrême droite qui promettent des solutions faciles. Les dissensions ne se limitent pas à la relation entre la population et ses dirigeants, mais s’infiltrent aussi profondément dans les centres de pouvoir eux-mêmes.
Il ne semble pas que l’Europe, sous la pression des peuples et des secteurs les plus progressistes, puisse changer de cap à court terme et se transformer en une Europe de la Paix… Aucun homme politique n’est à la hauteur de la situation et le mécontentement des peuples ne trouve pas encore d’expression claire, cohérente et convergente.
Ce qui est certain, c’est que la situation mondiale est instable et l’avenir immédiat incertain. Il n’y a pas de véritable directeur, au contraire, les événements semblent échapper à tout contrôle. Tout se déconstruit, comme un grand et majestueux palais qui, construit sur des pilotis, s’effondre inexorablement. Un système fondé sur la compétition, sur l’idéologie selon laquelle « mon bien-être s’oppose au tien », qu’une communauté ne peut se développer qu’au détriment d’une autre, que tout ne peut se résoudre que par la violence, le contrôle et la répression, ne peut que s’effondrer tôt ou tard.
Heureusement, les institutions, les économies, les États s’effondrent, mais pas les êtres humains. Les idéologies s’effondrent et l’être humain grandit, et il trouvera toujours un moyen de sortir des situations les plus difficiles.