Dans un document adressé le 23 août à la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale (CPI), le Procureur de la CPI a réitéré sa demande de mandats d’arrêt à l’encontre de dirigeants israéliens (son Premier ministre et son ministre de la Défense) et de trois dirigeants du Hamas, faite le 20 mai 2024.

Cet avis juridique permet également au Procureur de la CPI de répondre à certaines des opinions juridiques envoyées à la CPI par des Etats, des organisations internationales, des ONG et des universitaires, dont certains (très peu en ce qui concerne les d’Etats) ont remis en cause sa demande d’un point de vue juridique, sur la base d’interprétations juridiques dont certaines méritent le qualificatif de fantaisistes.

Comme on le sait, la CPI a été créée en 1998 par l’adoption du Statut de Rome, un instrument international qui compte 124 États parties (voir l’état officiel des signatures et ratifications). En Amérique Latine, le dernier État à l’avoir ratifié est le Guatemala en 2012, tandis que Cuba et le Nicaragua persistent dans la région comme les seuls Etats à ne pas avoir signé cet instrument.

Une brève recherche sur la toile indique que le contenu du document du Procureur de la CPI a été très peu référencié dans les grands médias internationaux depuis le 23 août.

L’indicible drame de Gaza

Nous recommandons la lecture du dernier rapport sur la situation à Gaza, préparé par les Nations Unies au 2 septembre 2024 (voir hyperlien) ainsi que celui sur la situation au 30 août 2024 (voir hyperlien). L’avant-avant-dernier rapport (au 26 août 2024, voir hyperlien) indique que les bombardements incessants d’Israël sur la population civile de Gaza se sont poursuivis sans relâche, provoquant de nouveaux drames pour de nombreuses familles de Gaza depuis :

Between the afternoons of 23 and 26 August, according to the Ministry of Health (MoH) in Gaza, 170 Palestinians were killed and 390 were injured. Between 7 October 2023 and 26 August 2024, at least 40,435 Palestinians were killed and 93,534 were injured, according to MoH in Gaza.

The following are some of the deadly incidents reported between 22 and 25 August:

On 22 August, five Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit in the vicinity of Bani Suheila square, east of Khan Younis.

On 23 August, five Palestinians were reportedly killed when a vehicle was hit southeast of Khan Younis.

On 23 August, four Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit in northwestern An Nuseirat Refugee Camp, Deir al Balah.

On 24 August, four Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit in Maan area, east of Khan Younis.

On 24 August, 11 Palestinians, including women and children, were reportedly killed and 30 others injured when a house was hit in Al Amal neighborhood, west of Khan Younis.

On 24 August, at about 12:10, eight Palestinian men were reportedly killed when a vehicle (tuk-tuk) was hit in northwestern Rafah.

On 25 August, eight Palestinians were reportedly killed and others injured when a house was hit south of Deir al Balah”.

Il est à noter que le bilan de plus de 40 000 morts à Gaza est, pour certains spécialistes, bien en deçà de la réalité. En effet, dans un récent article publié par un spécialiste militaire souvent invité par les médias français et intitulé « Guerres en Ukraine et en Israël, (enfin) des voies de sortie en perspective ? », il est indiqué que le chiffre réel pourrait être d’environ 100 000 personnes tuées à Gaza depuis le 7 octobre 2023 :

les évaluations des dégâts des bombardements montrent – même en hypothèse basse – que le bilan projeté se situe plutôt autour de 100,000 morts et donc de 350,000 blessés (le ratio de 3,5 est la « norme »), soit 20% de la population palestinienne de Gaza « au bas mot » (450,000 / population initiale de 2,3 millions), blessée ou tuée par cette guerre démesurée.

L’absence de données vérifiables est largement due à l’absence de personnel humanitaire déployé dans toute la bande de Gaza et à l’absence de médias capables de documenter et d’informer l’opinion publique internationale sur la réalité de la bande de Gaza et sur l’ampleur exacte des bombardements aériens israéliens sur la population civile de la bande de Gaza. A cet égard, l’assassinat délibéré par Israël de journalistes, de cameramen et d’assistants d’organes de presse a incité une soixantaine d’organisations œuvrant pour la protection des journalistes à hausser le ton et à demander à l’Union européenne (UE) d’agir (voir la lettre collective datée du 22 août 2024). La lettre indique que :

Journalists play an indispensable role in documenting and reporting on war crimes and other human rights violations. The cumulative effect of these abuses is to create the conditions for an information void, as well as for propaganda and mis- and disinformation. While Israel contends that its actions are to keep its people safe, history shows that censorship and denial of the right to information is a flawed path to peace or security. We, therefore, write to you today to call for the suspension of the Israel / EU Association Agreement on the basis that it has violated international human rights and criminal law and for the adoption of targeted sanctions against IDF officials and others responsable”.

Au 23 août 2024, selon le Comité pour la protection des journalistes (CPJ), le nombre de journalistes tués à Gaza par les forces militaires israéliennes depuis le 7 octobre 2023 s’élève à 116 professionnels des médias (voir le rapport).

En ce qui concerne le personnel humanitaire des Nations Unies à Gaza, la mort de 280 membres du personnel des Nations Unies à Gaza depuis le 7 octobre 2023 a été commémorée le 19 août lors de la Journée internationale de l’action humanitaire (voir le communiqué de presse) : il s’agit du nombre le plus élevé jamais atteint dans un théâtre d’opérations où le personnel des Nations Unies est déployé.

Dans un autre domaine lié aux exactions commises à Gaza, c’est l’ONG Human Rights Watch qui a publié le 26 août un rapport détaillé sur les tortures subies par les personnes travaillant dans les hôpitaux de Gaza, capturées par Israël (voir rapport).

La stratégie erratique d’Israël à Gaza d’un point de vue militaire

Nous avons récemment eu l’occasion de détailler ces aspects et d’autres du drame indicible de Gaza, ainsi que d’analyser l’échec de la stratégie militaire à Gaza dans une émission du programme Desayunos de UCR Radio (voir l’hyperlien vers l’émission du 21 août 2024, intitulée « ¿Qué está pasando en Gaza? / Que se passe-t-il à Gaza ? »).

Veillée en mémoire des victimes palestiniennes de Gaza, organisée devant le Ministerio de Relaciones Exteriores y Culto du Costa Rica, San José, Costa Rica, le 2 novimbre 2023. Photo partagée par la  Red de Solidaridad con Palestina / Costa Rica.

Alors que l’attention s’est focalisée sur la situation à Gaza, le dernier rapport des Nations Unies sur la situation en Cisjordanie (voir rapport au 28 août 2024) révèle le climat d’impunité pour toutes sortes d’exactions commises par les colons contre les familles palestiniennes et leurs biens, face à la passivité des forces de sécurité israéliennes, avec un bilan de 622 morts depuis le 7 octobre 2023 en Cisjordanie et à Jérusalem-Est.

Notons que ce 1er septembre 2024, un appel à la grève générale en Israël a été lancé par divers secteurs vu l’échec complet de la stratégie de son Premier ministre à Gaza pour récupérer les otages capturés par le Hamas le 7 octobre 2023 (voir la dépêche du Times of Israel du 1er septembre 2024) : il s’agit d’une initiative largement alimentée par l’indignation des familles des otages (ainsi que provenant de l’opposition politique) qui sont témoins des échecs répétés de l’appareil militaire israélien pour récupérer leurs proches et du torpillage systématique par le Premier ministre israélien des négociations avec le Hamas en vue de leur libération.

Il convient de rappeler qu’au début du mois de juillet 2024, des sondages en Israël indiquaient que plus de la moitié de la population était convaincue que l’opération militaire meurtrière à Gaza était en fait motivée par un simple calcul politique de la part de leur premier ministre (voir l’article du Times of Israel du 4 juillet). Quelques semaines plus tard, la méfiance à l’égard du premier ministre s’est accrue, une majorité souhaitant le voir démis de ses fonctions (voir l’article du Times of Israel du 12 juillet).

Au sein même du cabinet de guerre israélien, la position du premier ministre est de plus en plus remise en question par ses pairs en raison de l’échec de sa stratégie visant à récupérer les otages, toujours détenus par le Hamas quelque part dans la bande de Gaza (voir l’article du Times of Israel du 1er septembre 2024).

Il se faut d’indiquer enfin que, contrairement aux Etats-Unis, le Royaume-Uni vient ce 2 septembre d’annoncer qu´il suspend une trentaine de licenses d´exportation d’armes vers Israël (voir communiqué officiel du 2 septembre). Sur le sujet des composant electroniques ML4 exportés par la France et utilisés pour fabriquer certains types de bombes en Israël, depuis le mois de mars 2024, une question posée aux autorités par une sénatrice attend (patiemment…) une réponse (voir question en date du 7 mars 2024): la dissolution récente en France concernant uniquement l’Assemblée Nationale (et non pas le Sénat), le ministre de la Défense démissionaire devrait pouvoir y répondre avant de laisser sa place au ministre suivant.

En juin 2024, de nombreux experts en droits de l´homme des Nations Unies ont exigé la cessation de toute exportation d’armes destinées aux forces armées israéliennes, dans un communiqué de presse des Nations Unies (voir texte daté du 20 juin 2024): on notera une nouvelle fois, qu’il s’agit d’un communiqué de presse peu référencié dans les grands medias internationaux.

La justice pénale internationale : un véritable défi pour Israël et ses alliés

Au-delà de la stratégie particulière de survie politique du Premier ministre israélien au lendemain du 7 octobre (dont il est indéniablement en partie responsable, ayant mis en veilleuse les avertissements de ses services de sécurité sur les intentions du Hamas), il est bon de rappeler quelques indiscrétions diplomatiques qui par le passé, ont mis en évidence le grand défi que pose à Israël, l’existence de la CPI à La Haye.

Ainsi, au mois de novembre 2012, lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a accordé à la Palestine le statut d’« État observateur non membre » (lors d’un vote au cours duquel seuls 9 États ont voté contre, à savoir : Canada, États-Unis, Israël, Îles Marshall, Nauru, Palau, Panama et République tchèque), le Royaume-Uni a choisi de s’abstenir. Toutefois, le Royaume-Uni avait annoncé qu’il voterait pour, mais seulement si la Palestine donnait l’assurance qu’elle n’irait pas devant la CPI :

«The U.K. suggested that it might vote “yes” if the Palestinian Authority offered assurances that it wouldn’t pursue charges in the International Criminal Court, but apparently came away unsatisfied» (voir note de presse de novembre 2012 du The Washington Post, un media dont les correspondants sont en général fort bien informés).

Cette profonde inquiétude à l’égard de la justice pénale internationale n’est pas sans rappeler une autre confidence diplomatique antérieure à 2012, rendue publique cette fois par le portail Wikileaks : en relation avec l’offensive militaire israélienne meurtrière à Gaza en 2009 (Note 1), on a pu lire que, lors d’une conversation avec des diplomates américains (voir le câble du 23 février 2010 de l’ambassade des Etats Unis alors à Tel-Aviv), la confidence suivante a été faite par le colonel Liron Libman en 2010 :

Libman noted that the ICC was the most dangerous issue for Israel and wondered whether the U.S. could simply state publicly its position that the ICC has no jurisdiction over Israel regarding the Gaza operation”.

Le colonel Liron Libman, haut fonctionnaire israélien, était (et est probablement toujours en ce mois de septembre 2024) un grand connaisseur des règles du droit international : il a été pendant de nombreuses années à la tête du département de droit international des Forces de défense israéliennes (plus connues par les sigles en anglais d´IDF).

Plus récemment (2020), il convient aussi de rappeler que dans un communiqué de presse de mars 2020 (voir texte complet), Amnesty International (AI) avait mis en garde l’opinion publique contre la manœuvre d’un petit groupe d’États, tout en soulignant une autre pression, plus feutrée, exercée cette fois par le Canada :

« We are also deeply concerned by news reports that one state party, namely Canada, has “reminded the Court” of its provision of budgetary resources in a letter to the ICC concerning its jurisdiction over the “situation in Palestine”, which appears to be a threat to withdraw financial support ».

Obtenir une version complète de cette lettre devenue fameuse émise par le Canada en février 2020 serait sans doute l’idéal, mais il semblerait que ce document officiel envoyé à la CPI ne sera jamais rendu public, alors que ce fut une organisation proche d’Israël au Canada la première à en signaler l´existence (voir note de CJNews du 26 février 2020). À moins, bien sûr, que les organisations de la société civile canadienne non seulement dénoncent cette manœuvre, somme toute assez grossière (comme, par exemple l’a fait ce communiqué de l´organisation non gouvernementale CJPMO en date du 3 mars 2020), mais exigent également que leurs autorités la fassent connaître intégralement: ce afin que l’opinion publique soit informée de ce que le Canada est capable de faire pour protéger Israël.

Enfin, on rapellera que le dépôt, par la Palestine, le 21 janvier 2009, d´une déclaration d´acceptation de la juridiction de la CPI fut considéré par le service juridique de l´armée israélienne comme une nouvelle forme de terrorisme, inconnue par nombre de spécialistes dans ce domaine : le « terrorisme légal » (Note 2).

Les conclusions du Procureur de la CPI en bref

Dans un long document de 49 pages (voir le texte intégral), le Procureur de la CPI rejette un certain nombre de points de vue envoyés par certains États et entités à la CPI sur certaines limitations supposées qui résulteraient pour la CPI des accords d’Oslo de 1993, et conclut que :

« 113. In addition to being manifestly out of time, Israel’s letter neither mentions article 18 nor satisfies the legal requirements of a deferral request under article 18. Merely asserting the capacity of the Israeli justice system and that some investigations are ongoing is not sufficient. The requesting State bears the burden of proof and must demonstrate that its proceedings sufficiently mirror the scope of the Prosecution’s intended investigation. It must provide information of a sufficient degree of specificity and probative value to demonstrate an advancing process of relevant domestic investigations or prosecutions, including patterns of criminality and high-ranking officials. Israel did not provide any such material that would meet this burden. Nor, as outlined above, does any such information appear to exist.

  1. RELIEF REQUESTED
  2. 114. The Prosecution respectfully requests the Pre-Trial Chamber to:

– dismiss in limine the observations unrelated to the Oslo Accords; and

– urgently render its decisions under article 58, on the basis of the Prosecution’s Applications, these submissions, and the Article 19(3) Decision ».

 

Dans la première partie de son avis juridique, le Procureur de la CPI déclare que les arguments selon lesquels Israël a procédé à une enquête sur les actions de ses forces militaires à Gaza ne sont pas recevables. En effet, pour le Procureur de la CPI :

 » 8. (…) As the Prosecution has concluded, and as is evident from the public record, there are no domestic proceedings at present which deal with substantially the same conduct and the same persons as the cases presented to the Chamber pursuant to article 58 of the Statute. There is no information indicating that Benjamin NETANYAHU or Yoav GALLANT, Israel’s Prime Minister and Minister of Defence, respectively, are being criminally investigated or prosecuted, and indeed the core allegations against them have simply been rejected by Israeli authorities« .

Dans une autre parie de son opinion, il est indiqué que pour le Procureur de la CPI:

« 93. In any case, and additionally, the available information does not show that Israel is investigating substantially the same conduct as the ICC. For instance, the information available does not suggest that the above inquiries relate to the conduct underlying the war crime of starvation and/or related crimes. Likewise, the available information does not suggest any inquiry into patterns of criminality, or the potential responsibility of high-ranking officials, which may among other considerations signify the investigation of contextual elements of crimes against humanity. Indeed, significantly, on 28 May 2024 the MAG categorically rejected the commission of these crimes without any indication or implication that such conclusions resulted from a full and rigorous investigation, or indeed any investigation at all ».

Bref contexte procédural

Le délai accordé par la Chambre préliminaire de la CPI pour la réception des avis juridiques est donc arrivé à son terme, et la Chambre préliminaire doit maintenant prendre une décision finale sur la demande d’émission de mandats d´arrêt qu’elle a reçu de la part du Procureur de la CPI lui-même le 20 mai 2024.

Ce délai supplémentaire est dû à une première manœuvre dilatoire du Royaume-Uni en juin 2024, qui a ouvert une période de temps innécéssaire, afin que les juges de la CPI reçoivent divers avis juridiques d’États, d’organisations internationales, d’ONG et d’universitaires.  On remarquera qu’ en raison du résultat des élections au Royaume-Uni le 4 juillet 2024, les nouvelles autorités britanniques ont estimé qu’il n’était pas nécessaire de continuer, et n’ont donc pas remis d’avis juridique à la CPI au nom du Royaume-Uni.

En ce qui concerne l’Amérique Latine, nous avons eu l’occasion de faire référence aux avis juridiques envoyés par les États latino-américains à la CPI dans un précédent article publié le 6 août 2024, intitulé « L’Amérique latine et le drame de Gaza : sur les observations envoyées par la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Colombie et le Mexique à la Cour pénale internationale (CPI) / América Latina ante el drama en Gaza: a propósito de las observaciones enviadas por Bolivia, Brasil, Chile, Colombia y México a la Corte Penal Internacional (CPI)« .

Si certains de nos chers lecteurs ne trouvent pas leur pays d’origine dans cette liste, la question se pose de savoir à quoi peut bien répondre cette omission et cette inaction de la part de leurs autorités nationales . Nous laissons de côté le cas particulier de nos lecteurs argentins, comme nous l’expliquerons un peu plus loin.

Dans le cas spécifique de l’Equateur, le récent accord signé avec Israël (avril 2024) dénote un rapprochement – tout à fait inhabituel – entre un Etat latino-américain et les autorités israéliennes actuelles (voir le communiqué officiel de l’Equateur et cette note de presse d’El Telégrafo du 20 avril 2024).

Dans le cas du Paraguay, une récente annonce officielle sur le projet de transférer son ambassade de Tel Aviv à Jérusalem témoigne des relations étroites entre ses autorités actuelles et celles d’Israël (voir l’article de MercoPress de juillet 2024). En mai 2024, les exportations de viande paraguayenne vers Israël ont considérablement augmenté (voir l’article de ValorAgro). Rappelons qu’en mai 2018, le Paraguay avait annoncé le transfert de son ambassade à Jérusalem (voir communiqué officiel du 9 mai 2018), décision annulée quelques mois plus tard par les autorités guaranies nouvellement élues (Note 3).

Il convient de noter que l’opinion juridique soumise par le Brésil à la CPI  (voir document) et la Colombie (voir document) ont été accompagnées par celles de l’Espagne (voir document), de l’Irlande (voir document) et de la Norvège (voir document complet), ainsi que d’un avis juridique conjoint soumis par le Chili et le Mexique (voir texte), tout comme celui élaboré par l’Afrique du Sud, le Bengladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti (voir texte conjoint). Deux organisations internationales ont également remis aux juges de la CPI leurs avis: l’Organisation de la Coopération Islamique (voir document) ainsi que la Ligue des Etats Arabes (voir document).

Ces avis juridiques vont dans le même sens que celui soumis par la Palestine (voir document) : la justice pénale internationale est juridiquement pleinement habilitée à s’appliquer dans le territoire palestinien occupé, sans limitation d’aucune sorte, et il est grand temps qu’elle se matérialise par l’émission des mandats d’arrêt sollicités.

On retrouve dans la plupart de ces opinions juridiques une référence à l’avis consultatif du 19 juillet 2024 de la Cour internationale de justice (CIJ)  (Note 4) et ce qu’il dit à propos des accords d’Oslo de 1993 : il s’agit là d’un effet intéressant de cet avis consultatif de la CIJ, fort peu commenté et analysé sur les sites juridiques spécialisés, depuis sa lecture en juillet dernier. Dans son opinion juridique, le Procureur de la CPI indique également pour sa part, en citant la CIJ dans une note en bas de page, que:

« 7. In any event, the Oslo Accords—which should be considered an agreement between an occupying power (Israel) and a local authority (the Palestinian Liberation Organization) regulating aspects of the occupation, as foreseen by article 47 of GCIV (Note 16)—are irrelevant to the Court’s jurisdiction. The Court’s jurisdiction is exclusively and exhaustively governed by article 12 of the Statute, interpreted in accordance with ordinary modes of treaty interpretation under international law and the Court’s consistent jurisprudence.

(Note 16) GCIV, article 47. In interpreting the Oslo Accords, the ICJ considered it necessary to take into account article 47 of GCIV, which provides that the protected population “shall not be deprived” of the benefits of the Convention “by any agreement concluded between the authorities of the occupied territories and the Occupying Power”: ICJ Advisory Opinion, para. 102. »

Il est intéressant de noter que dans les quelques articles de presse et commentaires d’analystes, d’éditorialistes et de spécialistes sur l´avis juridique du Procureur de la CPI, on omet de signaler le fait qu’Israël a choisi de ne pas envoyer d’opinion juridique à la CPI.

Il convient également de mentionner l’opinion juridique envoyée à la CPI par les 30 experts des droits de l’homme des Nations Unies qui ont envoyé un texte conjoint aux juges de la CPI (voir le document, dont la lecture intégrale et la relecture sont recommandées), et qui concluent en affirmant catégoriquement ce qui suit :

« 23. The Mandate Holders recognize the Court’s role in ensuring international justice as a critical component of preserving international order through the protection of the interests of victims of international crimes. People around the world, especially youth, advocating for the application of international law, are watching closely, hoping the promises of international peace are not devoid of meaning.

24. In light of the expert opinions shared in this document, the Mandate Holders urge the Court not to further delay the delivery of justice in the occupied Palestinian territory, through the prosecution of alleged criminals. The significant effects of this failure would be felt far beyond the tormented land of Palestine ».

Malgré la pause décidée par les autorités britanniques nouvellement élues le 4 juillet dernier à poursuivre la gestion initiée en juin 2024, le caractère dilatoire de la manœuvre britannique explique que, depuis la demande de mandats d’arrêt du Procureur en date du 20 mai, la CPI soit toujours en train d’examiner la demande.

Ce délai peut être comparé au mandat d’arrêt délivré par une Chambre préliminaire de la CPI à l’encontre de deux hauts fonctionnaires russes (dont son président) le 17 mars 2023 (voir communiqué officiel de la CPI), précédé d’une requête du Procureur datée du 22 février 2023.

Le cas particulier des États-Unis

Alléguant une prétendue limitation à la compétence de la CPI, Israël a pu compter avec une opinion juridique émanant des Etats-Unis (voir document). La particularité de ce document est qu’il provient d’un Etat qui n’est pas partie au Statut de Rome de 1998 instituant la CPI.

Les Etats européens suivants, qui sont des Etats parties au Statut de Rome, ont également soumis un document tentant de restreindre la compétence pénale internationale de la CPI à Gaza : l’Allemagne (voir document), la Hongrie (voir document) ainsi que la République tchèque (voir document).

Cette fois-ci, aucune opinion défendant des arguments favorable à Israël n’a été soumis aux juges de la CPI par des Etats habituellement très sensibles lorsqu’il s’agit d’Israël et de justice pénale internationale : l’Australie, l’Autriche, le Canada, le Guatemala, l’Ouganda et le Royaume-Uni ainsi que certaines îles du Pacifique (Iles Marshall, Micronésie, Nauru, Palau et Papouasie-Nouvelle-Guinée). Il s’agit d’un petit groupe d’États qui vote généralement avec Israël et les États-Unis aux Nations Unies et qui n’est pas apparu en décembre 2023 lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a voté une résolution sur le droit à l’autodétermination du peuple palestinien (voir la résolution A/Res/78/192), qui a enregistré 172 voix pour, 10 abstentions et seulement 4 voix contre (les États-Unis, Israël, la Micronésie et Nauru).

Les paragraphes 16-26 du document soumis par les Etats-Unis (voir document) constituent une tentative – plutôt grossière – de discréditer la requête du Procureur de la CPI sur la base d’une interprétation des dispositions du Statut de Rome auquel les Etats-Unis… ne sont pas un Etat partie. Voici donc un État non partie à un instrument international de référence tel que le Statut de Rome… expliquant aux juges de la CPI comment ses dispositions doivent être interprétées…

La profonde solitude de l’Argentine

Du côté latino-américain, comme geste assez notoire en faveur de la thèse juridique pro-israélienne d’une prétendue limitation de la compétence de la CPI découlant des accords d’Oslo de 1993, nous trouvons l’unique avis envoyé par l’Argentine (voir  document) : un petit détail de forme attirera l’attention, s’gissant d’un document signé par la cheffe de la diplomatie argentine, contrairement aux autres opinions soumises par les États à la CPI, qui sont signées soit par un fonctionnaire diplomatique subalterne d’importance relative (c’ est le cas de l’Allemagne, des États-Unis, de la Hongrie, de l’Irlande, de la Norvège, de la République tchèque), soit par le chargé d’affaires en poste dans la légation diplomatique à La Haye (Colombie, Brésil), soit par le représentant diplomatique à La Haye : c’est le cas de la Bolivie, de l’Espagne, ainsi que du document signé conjointement par le Chili et le Mexique (voir texte). Dans le cas de la République du Congo, le texte est également signé par un ministre : le ministre de la justice (voir document).

Il serait intéressant de connaître les raisons exactes pour lesquelles les diplomaties argentine et congolaise ont choisi d’envoyer un document de cette nature signé de la main d’un fonctionnaire de rang ministériel.

En ce qui concerne la « contribution » de l’Argentine en faveur de la thèse juridique en faveur d’Israël en août 2024, il faut se rapeller que, dans le cadre d’un exercice similaire, c’est le Brésil en 2020 qui a expliqué que la CPI ne pouvait pas exercer sa compétence en ce qui concerne les exactions commises par Israël dans le territoire palestinien occupé (voir document signé par un fonctionnaire subalterne) : une coïncidence entre le Brésil de Bolsonaro et l’Argentine actuelle de Milei qui mérite d’être soulignée.

A cette occasion (2020), l’argumentation juridique du Brésil, ainsi que celle de l’Allemagne, de l’Autriche, de la Hongrie, de la République tchèque et de l’Ouganda, a été rejetée par la Chambre préliminaire dans une décision historique du 5 février 2021, que nous avions eu l’occasion d’analyser à l’époque (Note 5).

En ce mois d’août 2024, l’Argentine est donc le seul État latino-américain à avoir déposé une opinion juridique devant la CPI pour tenter de favoriser Israël devant les juges de la CPI.

Boslonaro (Brésil), Milei (Argentine) et Israël mais aussi Ayotzinapa (Mexique) et … Israël

Comme indiqué,  la coïncidence entre le Brésil de Bolsonaro et l’Argentine actuelle de Milei mérite d’être soulignée.

A ce sujet, il convient de noter que récemment, au Brésil, l’existence d’un « nuage » électronique hébergé en Israël et contenant les données personnelles de plus de 30.000 Brésiliens a été découverte (voir article de presse de Página12 de janvier 2024).

Il semblerait donc que le programme Pegasus et d’autres logiciels qu’Israël a donnés aux États arabes qui ont accepté de normaliser leurs relations dans le cadre des accords d’Abraham de 2020 (et qui permettent l’espionnage et la surveillance des conversations des opposants politiques : voir l‘article du New York Times de 2022 et voir l’article du MERP de 2023) aient également été remis au Brésil du président Jair Bolsonaro.

Depuis la perspective des droits de l’homme, ce rapport de l’ONG Amnesty International analyse le risque que représente le programme Pegasus pour les opposants politiques, les syndicalistes, les journalistes critiques et les activistes en général, ou les organisations sociales. En 2022, l’ONG nord-américaine Human Rights Watch a dénoncé le fait que son personnel était soumis à la surveillance de ce logiciel israélien (voir note).

Toujours dans le domaine de la sécurité, au Mexique, on peut s’interroger sur le fait que l’un des hauts fonctionnaires responsable de « maquiller » l’assasinat des étudiants d’ Ayotzinapa le 26 septembre 2014, se soit refugié en Israël en 2021 (voir note du New York Times de juillet 2021). Depuis, le Mexique demande son extradition sans l’obtenir de la part des autorités israéliennes (voir note de Infobae d’août 2024).

Il convient de noter que lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a voté une résolution en mai 2024 sur les droits de la Palestine en tant que futur État membre des Nations Unies, l’Argentine s’est une fois de plus « distinguée » en Amérique Latine en étant le seul État de la région à voter contre, avec 8 autres États : États-Unis, Hongrie, Israël, Micronésie, Nauru, Palau, Papouasie-Nouvelle-Guinée et République tchèque (voir à ce sujet notre note publiée en espagnol et intitulée « Palestine : sur la récente résolution sur les droits de la Palestine en tant que futur État membre des Nations Unies  / Palestina: a propósito de la reciente resolución sobre derechos de Palestina como  futuro Estado Miembro de Naciones Unidas » éditée le 10 mai 2024).

Le mois suivant (juin 2024), la cheffe de la diplomatie argentine a indiqué que « des progrès sont en cours » pour transférer l’ambassade d’Argentine en Israël de Tel Aviv à Jérusalem (voir article de LaPolíticaOnLine du 24 juin 2024).

CPI et Israël : vigilance extrême

A noter qu’en mai 2024, un groupe de journalistes en Israël a dévoilé un programme spécifique d’écoute et d’interception des services de renseignement israéliens consacré uniquement au personnel de la CPI et au contenu de leurs ordinateurs : l’article intitulé « Surveillance and interference : Israel covert war on the ICC exposed » publié par Magazine+972 le 28 mai 2024 est une lecture hautement recommandée, dans lequel on peut apprendre comment depuis près de 10 ans Israël surveille constamment la CPI et son personnel.

Parmi d’autres détails, on peut lire que :

« The former prosecutor was far from the only target. Dozens of other international officials related to the probe were similarly surveilled. One of the sources said there was a large whiteboard with the names of around 60 people who were under surveillance — half of them Palestinians and half from other countries, including UN officials and ICC personnel in The Hague ».

Il est également indiqué que pour chaque affaire « interceptée » portée à l’attention de la CPI, Israël a préparé des informations détaillées dans le but de faire valoir ses propres enquêtes internes menées, afin de pouvoir invoquer le principe de complémentarité devant le Procureur et les juges de la CPI :

« If materials were transferred to the ICC, it had to be understood exactly what they were, to ensure that the IDF investigated them independently and sufficiently so that they could claim complementarity,” one of the sources explained. “The claim of complementarity was very, very significant”.

Face à la désapprobation générale et au manque de transparence des autorités néerlandaises elles-mêmes (voir l’article du TheGuardian du 31 mai 2024 faisant état d’une initiative d’un législateur), les autorités néerlandaises ont finalement convoqué les représentants israéliens dans la capitale néerlandaise pour leur demander des éclaircissements et leur faire part de leur profonde indignation face à une telle action (voir l’article de TheGuardian du 24 juin 2024) : ce programme israélien d’écoutes et d’interceptions viole les règles les plus élémentaires protégeant les organisations internationales et leurs fonctionnaires, en vigueur dans l’ordre juridique international.

En guise de conclusion

Malgré la gravité des révélations faites depuis Israël par des journalistes israéliens extrêmement bien informés qui ont également révélé l’existence du programme d’intelligence artificielle « Lavender » utilisé à Gaza depuis le 7 octobre (Note 6), le temps mis par les autorités néerlandaises pour procéder à la convocation des diplomates israéliens témoigne d’une certaine résistance au sein de leur appareil d’Etat.

La date limite de dépôt des opinions juridiques étant atteinte, les trois juges de la Chambre préliminaire de la CPI devront annoncer dans les prochaines semaines leur décision finale sur la demande formulée le 20 mai par le Procureur de la CPI concernant deux hauts responsables israéliens (son Premier ministre et son ministre de la Défense) et trois dirigeants du Hamas (dont l’un a été assassiné à Téhéran par Israël le 31 juillet dernier).

A noter que le 31 août, le Premier ministre du Sénégal n’a pas hésité à déclarer publiquement que :

« Nous avons un Premier ministre (israélien) dont le pouvoir dépend de cette guerre, (dont) la survie politique dépend de cette guerre, et qui est prêt à marcher sur des milliers de cadavres pour rester Premier ministre et pour ne pas faire face à la justice de son pays » (voir note de 20minutes du 31 août 2024).

– –  Notes  – –

Note 1 : Cf. FERNANDEZ J., La politique juridique extérieure des Etats-Unis à l´égard de la Cour pénale internationale, Paris, Pedone, 2010, p. 325. Quelques déclarations du chef de la délégation étasunienne après la conférence de Rome de juillet 1998 sont également éclairantes: « En ce qui concerne Israël enfin, David Scheffer reconnut après Rome que la délégation américaine avait endossé la crainte d´Israël d´être victime d´accusations devant la future Cour en raison de sa politique dans les territoires occupés » (p. 172). On lira également avec intérêt la tentative des Etats-Unis d´exclure de la définition de crimes de guerre le « transfert par un Etat d´une partie de sa population dans un territoire qu´elle occupe » (pp. 171-172).

Note 2: L’offensive militaire d’Israël à Gaza entre le 28 décembre 2008 et le 17 janvier 2009 (voir l´hyperlien vers le rapport des Nations Unies) s’est soldée par le bilan suivant : 13 victimes israéliennes contre plus de 1400 Palestiniens de Gaza tués : voir la section « casualties » aux paragraphes 352-364 du rapport détaillé.

Note 3 : Sur la décision de transférer l’ambassade de Tel Aviv à Jérusalem par le président Cartes au Paraguay en mai 2018, puis la décision du nouveau président Mario Abdo Benitez de la ramener à Tel Aviv quelques mois plus tard, voir notre note en espagnol : BOEGLIN N., «La valiente decisión de Paraguay de restablecer su Embajada en Tel Aviv: una breve puesta en perspectiva  », éditée le 11 septembre 2018.

Note 4 : On a pu lire sur cet avis consultatif dans la presse  en France de la part de l’un des grands spécialistes du droit international public, que: « …. l’avis est une formidable victoire, et, juridiquement, parfaitement fondé. La Cour a rappelé avec fermeté que, « du point de vue juridique, le territoire palestinien occupé constitue une seule et même entité territoriale, dont l’unité, la continuité et l’intégrité doivent être préservées et respectées », y compris Jérusalem-Est et Gaza. Israël est dans l’obligation de cesser immédiatement toute nouvelle implantation, toute nouvelle activité de colonisation et d’évacuer tous les colons » (voir article paru dans LeMonde du 29 juillet 2024 et intitulé « Alain Pellet, juriste : « La Cour internationale de justice redore le blason du droit international si malmené par ailleurs« . Nous renvoyons nos lecteurs à notre note publiée en espagnol: BOEGLIN N., « Ocupación prolongada y colonización ilegal israelí del territorio palestino: apuntes con relación a la reciente opinión consultiva de la Corte Internacional de Justicia (CIJ) », éditée le 19 juillet 2024.

Note 5: Voir notre note publiée en francais, BOEGLIN N., « Palestine / Cour Pénale Internationale (CPI): à propos de la décision de la Chambre préliminaire du 5 février 2021  « , publiée le 13 février 2021.

Note 6 : Ce même groupe de journalistes d’investigation israéliens a informé le monde de l’existence du programme d’intelligence artificielle « Lavender “ au moyen duquel Israël choisit les personnes qu’il élimine à Gaza : voir l’article publié le 3 avril 2024 dans le magazine en ligne Magazine +972, intitulé « Lavender” : The AI machine directing Israel’s bombing spree in Gaza« , dont la lecture intégrale est fortement recommandée. En France, l’ONG AURDIP a eu la généreuse idée de traduire cet article en français, dont le texte est disponible sur cet hyperlien.

L’article original est accessible ici