Le 8 septembre 2023, un violent séisme frappe le Maroc, principalement dans le sud, affectant les régions d’Al Haouz, Chichaoua et Taroudant. Le tremblement de terre a impacté plus de 3 000 villages, détruit près de 60 000 maisons, et forcé environ 400 000 personnes à vivre sous des tentes. La catastrophe a causé la mort de près de 4 000 personnes, dont au moins 30 % étaient des enfants, et fait près de 10 000 blessés.
Depuis 11 mois, l’association marocaine Amal Biladi[1], fondée par Elmahdi Benabdeljalil[2] en septembre 2020 pour accompagner le développement de villages en zones rurales et montagneuses autour d’un écotourisme inclusif, s’engage activement pour soutenir certains villages touchés par cette catastrophe.
Dès le début, Elmahdi ressent une urgence profonde à venir en aide à ses frères et soeurs des villages.
C’est dans ce contexte que je décide d’interviewer Elmahdi pour discuter de son projet post-séisme. Lors de notre entretien, il semble visiblement fatigué. Je connais Elmahdi depuis près de quatre ans, et je l’ai rarement entendu exprimer une telle fatigue. En effet, il est connu pour son optimisme et sa détermination.
« Ces derniers 11 mois, ont été du travail intensif à tous les niveaux […] j’ai travaillé pour 8/10 personnes […] j’ai l’impression d’être en zone de guerre au niveau moral à cause de ce que je vois, et de l’absence flagrante des responsables élus sur le terrain.»
Cette conversation a confirmé mes impressions : il a travaillé sans relâche pour transformer ses idées en actions concrètes. Sa confiance est ce qui le distingue. Il a foi en l’humanité, en Dieu, en lui-même et en ses collaborateurs et collaboratrices. Je crois en ses paroles, et je suis convaincue qu’il a investi tout son corps et toute son énergie dans ce projet.
La volonté et la force des habitants et des habitantes, des communautés, surplombent les difficultés et sont là, concrètement. Elmahdi a beaucoup à cœur son peuple, ses frères et sœurs du monde rural, et le démontre quotidiennement, c’est pour cette raison que j’ai décidé d’en écrire un article.
« Je suis allé là où les personnes ont eu le plus de mal et plus de douleur, on a distribué du matériel médical, des sacs de couchage, des tentes,… à plus de 5 000 personnes. Sur le terrain j’ai géré les distributions, avec l’appui des autorités de l’administration territoriale et des villageois. […] Des centaines voire des milliers de préfabriqués ont été posés par des ONG pour qu’ils restent deux trois ans, après ils partiront, avec l’inconvénient qu’ils présentent un niveau thermique pas adapté, et un aspect visuel qui dénature complètement le paysage… »
Ce que j’entends, c’est qu’il veut trouver des solutions à long-terme, des solutions tangibles et réelles.
L’objectif d’Amal Biladi est de contribuer à la reconstruction, tant sur le plan moral que physique, de trois villages : Aït Bourd, situé dans la commune d’Amizmiz, province d’El Haouz ; Igherman, dans la commune d’Adassil, province de Chichaoua ; et Tajgalt, dans la commune de Tafingoult, province de Taroudant. Ce projet porte le nom de « Agir pour reconstruire ».
Les objectifs initiaux de ce projet sont les suivants : garantir l’accès à l’eau potable pour les habitants, les habitantes et les écoles avoisinantes, créer autant de maisonnettes en bois et terre de 18 m², construire un centre antisismique pour les activités parascolaires, et initier des projets générateurs de revenus, notamment pour les femmes et les jeunes. Ce centre, nommé « Maison solidaire des étoiles de Tajgalt », offrira aux enfants et aux jeunes un espace de loisirs où ils et elles pourront pratiquer des activités artistiques et améliorer leur niveau en langues. Ce nom rend hommage aux 22 enfants et aux adolescents et adolescentes décédés dans le village.
Jusqu’à présent, les actions menées sur le terrain ont été multiples :
- Réception de dons de la diaspora marocaine à San Diego, Toulouse et Ottawa et distribution aux habitants et aux habitantes du douar Tajgalt, province de Taroudant.
- Organisation de stages de respiration et de gestion des émotions avec l’association Art of Living et l’Association Internationale des Valeurs Humaines[3], bénéficiant à plus de 600 personnes, dont 150 enfants.
- Création d’ateliers d’art-thérapie et accompagnements psychologiques pour les enfants.
- Installation de logements temporaires pour 44 foyers dans les villages d’Aït Bourd et Igherman et l’animation de formations à la construction de noualas[4].
- Distribution de 4 000 couvertures premium financées par les partenaires Art of Living et l’Association Internationale des Valeurs Humaines, distribuées dans les provinces de Taroudant et Chichaoua.
- Distribution de matériel médical, fauteuils roulants, béquilles, tentes, sacs de couchage,….
- Mise en place de projets pour faciliter l’accès à l’eau potable et autonomisation des femmes grâce à un partenariat avec Agua de Sol[5], incluant l’équipement d’écoles avec des panneaux photovoltaïques et la création de coopératives féminines dans des appels à projets internationaux.
Ce qui distingue ce projet est l’engagement constant et l’innovation qui caractérisent l’équipe dévouée d’Amal Biladi. Parmi les réalisations notables, on trouve les prototypes de maisons antisismiques.
Il y a quelques mois, Elmahdi découvre un modèle de construction antisismique et isothermique, créé par l’architecte locale Aziza Chaouni. Ce modèle, conçu pour être facilement reproduit, est composé à 95 % de terre et à 5 % de ciment, respectant ainsi les normes antisismiques marocaines. Intrigué par cette approche, Elmahdi prend contact avec l’équipe.
Il rencontre alors Aziza Chaouni et ensemble, ils forment un partenariat pour créer un prototype spécialement adapté aux besoins d’Amal Biladi. Ce nouveau prototype sera perfectionné pour utiliser des briques composées à 100 % de terre, avec des fondations en béton pour répondre aux normes antisismiques. Il est conçu spécifiquement pour s’adapter à un terrain très meuble, nécessitant des fondations robustes.
En juin, Aziza Chaouni a remporté le prix du World Monuments Fund à New York parmi 20 projets pour son premier prototype et a également présenté le projet de la « Maison solidaire des étoiles de Tajgalt », connu sous le nom de prototype 2.
Ces modèles seront également présentés par Elmahdi, accompagné d’une collaboratrice d’Aziza Chaouni, à Paris le 4 septembre, lors du Prix du Design de l’Institut du Monde Arabe, dans la catégorie « Talent Entrepreneurial ». Cette présentation sera l’occasion de détailler leurs objectifs, notamment un système de toilettes à compost, des innovations pour optimiser la circulation de l’air, l’orientation des bâtiments pour l’efficacité énergétique, et un système de récupération des eaux de pluie.
Bien que l’utilisation de matériaux traditionnels comme la terre et la pierre suscite une certaine réticence parmi les habitants et les habitantes, les besoins du village sont clairs : accès à la lumière et à internet pour travailler. C’est en tenant compte de ces besoins qu’Elmahdi a obtenu un terrain pour Amal Biladi, d’où est née l’idée du centre communautaire. Il espère commencer la construction à la fin du mois d’août ou au début du mois de septembre, et souhaite que ce prototype puisse aider à lever des fonds pour construire quelques maisons similaires pour des familles qui n’ont pas reçu d’indemnisation, ou des veuves sans moyen.
« ‘Nchallah, fin de l’année 2024, c’est fini. »
A la fin de notre conversation je lui pose la question « comment tu te décrirais en quelques mots ? » et la réponse est
« Je suis auteur, acteur associatif et entrepreneur solidaire. »
Mais il est bien plus que ça.
Lorsque j’ai fait la connaissance d’Elmahdi, nous avons passé une heure au téléphone à discuter de spiritualité et de la corrélation entre notre production énergétique quotidienne et les résultats observés. Dès le départ, j’ai ressenti que ses rêves étaient étroitement liés aux autres, et que sa force et son endurance étaient les moteurs de ses réalisations. Je reste encore impressionnée par sa détermination, qui ne faibli pas face aux difficultés.
Je suis convaincue qu’il est crucial de mettre en lumière les actions de cette association, car elles sont à la fois innovantes et dignes de notre attention. Amal Biladi a su tisser un écosystème d’associations et d’entreprises pour soutenir le développement de villages situés dans des zones rurales et montagneuses, en mettant l’accent sur un écotourisme inclusif et en valorisant l’entrepreneuriat féminin.
Les valeurs d’entraide et de solidarité sont enracinées en Elmahdi, et elles se reflètent également dans l’équipe qu’il a constituée. La leçon qu’il nous enseigne est simple mais puissante : croire en quelque chose avec force, c’est déjà commencer à le réaliser. Ce qui le motive, c’est la volonté de rendre visibles, entendues et écoutées les voix des personnes oubliées de son pays. C’est à travers leur sourire qu’il mesure son succès.
Jour après jour, Elmahdi construit un chemin pavé de pierres venues d’horizons divers, guidant vers le monde qu’il aspire à créer autour de lui. Le parcours d’Elmahdi Benabdeljalil et d’Amal Biladi incarne la force de la solidarité et de l’engagement communautaire. Face à une catastrophe d’une telle ampleur, il n’a pas seulement offert un soutien matériel aux villages dévastés, mais a aussi semé des graines d’espoir et de résilience.
Soutenir Amal Biladi et d’autres initiatives semblables, c’est contribuer à bâtir un avenir où chaque village, chaque communauté, devient une véritable source d’espoir.
[1] : Amal Biladi – Chaque village est une source d’espoir
[2] Si intéressez à son livre : www.elmahdibenabdeljalil.com
[3] https://www.artofliving.es/heal-morocco projet avec Art of Living et l’Association Internationale des Valeurs Humaines
[4] La construction en nouala est une technique traditionnelle marocaine utilisant des matériaux locaux comme la terre et la pierre pour créer des structures adaptées au climat montagnard, offrant une isolation thermique efficace.
[5] https://www.agua-de-sol.com: entreprise solidaire