Hernando Calvo Ospina, président de France-Cuba, raconte de belles rencontres à la Havane : Danny Glover, le célèbre acteur étasunien et d’autres… Rencontres de dernière minute… et de première importance.
La Havane, vendredi 27 novembre, 20h00. Je me suis enfermé pour travailler dans un petit salon du logement où je réside. Je viens de voir que dehors un bon nombre de jeunes bavardent dans le parc sur l’avenue. Tous les sons de voix qui jaillissent de là font penser à des milliers d’oiseaux. Ils vont et viennent sur l’avenue. Il a plu récemment, et cela va sûrement se reproduire prochainement, car le climat est ainsi fait. De brèves mais fortes averses, accompagnées de vent. Mais cela ne ternit pas l’ambiance juvénile de cette fin de semaine. Et moi qui suis enfermé…
Graciela arrive. Elle est de ceux qui m’apportent leur collaboration dans la réalisation du documentaire sur Guantánamo que je prépare. Elle me remet deux CD avec des archives audiovisuelles des années 60 et 70. Elle est accompagnée de Pablo de Raices Cubanas. Herminio, directeur adjoint du quotidien Juventud Rebelde, est avec elle. Il m’apporte des photos de cette région frontière avec le territoire illégalement occupé par les États-Unis. Tous les trois, nous commençons à bavarder. Elle raconte que Danny Glover, le célèbre acteur étasunien, est arrivé à La Havane pour rendre visite à Gema, la fille d’Adriana et Gerardo, l’un des Cinq antiterroristes. Effectivement, le JT avait montré quelques images, mais je ne les ai pas vues.
Je bondis de ma chaise en leur disant : « Allons le voir ! Je veux l’interviewer pour le documentaire ! »
J’appelle Gerardo. Il doit savoir où se trouve l’acteur, même si tout le monde sait qu’il a l’habitude de descendre à l’hôtel Nacional, mais l’y rencontrer ne serait pas chose simple. La ligne est occupée. Au bout de trois tentatives, je décide d’appeler Fernando, un autre des Cinq. Il me répond. Je lui présente mes excuses, car il me semble qu’il est en train de dîner. Je lui fais part de mon urgence. Il me dit qu’il va me rappeler dans un instant. Et voilà : « Tu dois aller, mais tout de suite, à La Fábrica del Arte Cubano. Tu es attendu là-bas ». Ce lieu est situé dans le Vedado ; ce n’est pas loin de là où nous nous trouvons.
J’avais entendu parler de l’existence de ce lieu parce qu’un journal français, de ceux – si nombreux – qui ne parlent de Cuba que pour lui cracher dessus, avait étrangement publié un intéressant reportage sur la FAC. Il s’agit d’une vieille usine réhabilitée par plusieurs artistes. En arrivant, nous passons devant ceux qui font la queue, et sans payer de surcroît, car à l’accueil ils savent que nous cherchons Danny. Une fois à l’intérieur, et durant quelques instants, j’oublie les raisons de ma venue : ce lieu est vraiment d’une beauté irréelle ! Impossible de le décrire, le mieux c’est d’aller voir sur internet (lien )
On m’attrape le bras pour me tirer de l’ivresse dans laquelle m’a plongé ce lieu. On m’emmène au fond, dehors. J’aperçois un grand homme noir : même si l’on remarque déjà sur son visage que les années ont passé, il n’en reste pas moins séduisant et plein de charme. Mais ce qui surprend le plus c’est sa simplicité, à commencer par son style vestimentaire. Lorsqu’il termine sa conversation avec une journaliste étasunienne, il vient vers nous. Un jeune religieux de New York, qui fait partie des « pasteurs pour la Paix », me sert de traducteur. Danny me dit qu’il n’a pas le temps, mais que le lendemain, il m’attend à la Maison de l’Amitié, sur l’avenue Paseo. Je pourrai l’interviewer avant qu’il se réunisse avec les étudiants étasuniens à Cuba. Cela lui plait de savoir que j’ai l’intention de filmer avec Roberto Chile, documentariste reconnu et photographe de Fidel Castro durant plus de 20 ans, jour après jour.
J’arrive sur le lieu du rendez-vous avant une heure de l’après-midi. Juste après moi, c’est Chile qui arrive avec son équipe. Tous deux nous nous ressemblons pour notre ponctualité. Nous sommes en train de saluer les responsables de cette belle demeure, lorsque Gerardo fait son apparition. Accolades et photos.
On installe le matériel de tournage à l’endroit du jardin choisi par Chile. Il sait ce que je veux comme prises de vue.
13h15 : Danny n’est pas encore là. 13h30 : Je propose à Gerardo de l’interviewer sur le sujet. Ce que nous faisons. C’est rapide. 14h00, toujours pas d’acteur. Je consulte sans cesse ma montre. Et je ne suis pas le seul. Les étudiants sont arrivés et ont été conduits dans un salon où on leur a offert une boisson.
Elle est à l’heure : c’est la belle et jeune Laura, la fille de Ramón, l’autre héros antiterroriste, et d’Elizabeth Palmeiro. Je l’interviewe parce qu’elle a fait son service militaire en tant que garde-frontière, avec sous les yeux la base militaire étasunienne. En trois réponses, elle m’apporte un témoignage très humain qui me touche beaucoup.
14h30 : Danny n’arrive pas. Dans une demi-heure je dois être de l’autre côté de la ville pour une autre interview très différente. Je passe un coup de fil pour expliquer la situation et on me dit que le rendez-vous peut être repoussé à 16h00. Quelqu’un me demande si ma valise est déjà prête puisque je dois être à l’aéroport à 18h30. Cela m’importe peu, je ne peux pas partir sans cette dernière interview, qui en outre doit être suivie d’une rencontre.
Danny n’est pas arrivé et il n’arrivera pas. Gerardo a été informé par téléphone : l’acteur est avec le ministre des Affaires étrangères et Gerardo doit le rejoindre. Chile, un peu contrarié, me dit au revoir et je prends moi-même congé des gens. Je dis à deux amis qui travaillent au ministère des affaires étrangères et au directeur-adjoint de Juventud Rebelde de m’accompagner jusqu’à l’Hôtel Palco. Avec la promesse que là-bas les attendent deux surprises, ils montent dans une voiture qui démarre en trombe, car le temps presse et la route est longue. Une autre voiture nous suit, avec à son bord Graciela, Arkadi, un caméraman espagnol, et Albino, un photographe uruguayo-canadien, qui ont décidé de porter main forte dans cette aventure, sans savoir de quoi il retourne.
Nous arrivons au Palco. J’explique au responsable de la sécurité les raisons de notre présence. Pour réaliser mon plan, on nous prête le bas de l’immeuble où se trouve une fontaine avec de jolis poissons qui vont et viennent dans une espèce d’étang de dix mètres de long, entouré de plantes exotiques. Je monte lorsqu’on me signale que le premier invité est arrivé. Mes accompagnateurs découvrent qu’il s’agit de Rodrigo Granda, l’un des six membres de l’État-major des FARC, qui mènent à Cuba les dialogues pour la paix avec le gouvernement colombien. Toute la presse internationale avait parlé de lui lorsqu’il avait été kidnappé à Caracas par un commando de policiers vénézuéliens et colombiens, puis déporté en Colombie. Tout cela alors qu’il négociait la libération d’Ingrid Betancourt. Il fut libéré à la demande du président français Sarkozy.
L’interview ne dure que dix minutes, car le sujet abordé était très concret : le rôle de Cuba et du Venezuela dans les négociations ; on a également parlé de la Norvège et de la France.
Les autres sont inquiets parce que le temps passe et que je risque de rater mon avion. Mais je suis tranquille : mon temps est presque toujours très bien calculé. Nous montons vers l’entrée de l’hôtel. Et deux minutes plus tard, une voiture s’arrête et nous voyons tous descendre un grand homme assez corpulent : Ramón Labañino ! Accompagné de sa souriante Elizabeth. Même Graciela et moi, qui savions tous deux qu’ils allaient venir, nous sommes très émus. Accolades et photos.
Il se produit alors quelque chose de vraiment inattendu, absolument pas programmé, grâce au petit retard de l’une des voitures : Ramón et Rodrigo se rencontrent. C’est la première fois qu’un contact direct a lieu entre l’un des « Cinq » et un haut dirigeant des FARC. L’accolade entre eux est immense, fraternelle. Ramón lui exprime tout leur soutien au processus de paix en Colombie. Un moment fort en émotion.
Il n’était désormais plus possible de laisser passer une minute sans risquer de rater l’avion. J’allais dire au revoir à Ramón lorsque je me suis souvenu de quelque chose de très important. J’ai sorti mon carnet de notes, je le lui ai tendu et il y a inscrit : « Pour nos sœurs et nos frères de « France Cuba », recevez tout l’amour et la gratitude des « Cinq ». Nous avons tous vaincu ! ». Elizabeth aussi a signé.
Auteur : Hernando Calvo Ospina, président de France-Cuba.
Traduction : Karine Alvarez (France-Cuba)
Photos : © Albino Moldes (sauf celle de Danny Glover et la famille Hernandez qui provient de Cubadebate)