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Quelle est la situation économique et sociale de l’Argentine après 12 ans de « kirchnérisme » ? Quel bilan peut-on dresser ?
La situation de ce pays est très différente de celle qui prévalait en 2003, lorsque le cycle « kirchnériste » a commencé avec la première élection de Nestor Kirchner en 2003, avant de se poursuivre avec celle, en 2007, de sa femme Cristina, réélue en 2011 jusqu’à cette année. En 2003, l’Argentine est à genoux, son économie est dévastée en raison de la crise de la dette de 2001 qui a jeté le pays dans l’effroi économique et social. La moitié de la population a sombré dans la pauvreté, alors qu’il s’agissait d’un pays auparavant loué par les institutions internationales lorsque son économie siégeait parmi les dix premières mondiales. Au début des années 2000, l’Argentine a connu une explosion de la pauvreté, de l’exclusion, des inégalités, de violentes récessions, etc.
Douze ans plus tard, le visage du pays n’est plus le même. Il s’agit d’un des pays les moins endettés du monde. En 2001, la dette publique argentine représentait 166% du PIB. Aujourd’hui, elle n’en représente plus que 40%. Selon le gouvernement, si on prend en compte la dette en monnaie étrangère et auprès des acteurs privés, elle ne serait plus que de 10% du PIB. Ensuite, c’est un pays qui a largement résorbé sa pauvreté par le biais de politiques publiques volontaristes. Le chômage est tombé de 25% de la population active à 7%. Six millions d’emplois ont ainsi été créés dans le secteur formel. Il faut toutefois prendre en compte ici l’importance du secteur informel dans cette économie qui n’est pas comptabilisée par définition. Il y a eu une réduction sensible des inégalités et le renforcement des systèmes de retraite, élargis à trois millions de nouveaux bénéficiaires. L’Argentine observe la création d’un tissu d’entreprises qui n’existait pas, avec environ 230 000 petites et moyennes entreprises nouvelles selon les autorités, ainsi qu’une réindustrialisation partielle – limitée – sur quelques segments industriels (métallurgie et télécommunication notamment). Deux sociétés, celle des hydrocarbures et de l’énergie (YPF) et de l’aéronautique (Aerolinas Argentinas), sont redevenues publiques.
Dans le même temps, le pays a approfondi son profil d’exportateur de matières premières, en particulier de soja, ce qui a été à la fois une solution avant la crise financière et économique internationale de 2008 grâce à un cycle porteur (forte demande mondiale tirée par la Chine et envolée des cours) mais qui se révèle désormais constituer un problème en période de retournement de cycle caractérisé par une chute importante de la demande et des cours. L’Argentine est confrontée aux limites de son modèle de développement économique dépendant des marchés mondiaux dans le cadre de la mondialisation. Les indicateurs économiques abondent donc dans le sens d’une évolution positive depuis douze ans, mais le retournement de cycle débuté en 2013 affecte désormais le pays, comme toute l’Amérique latine en réalité. L’Argentine connaît une décélération de son économie (la croissance attendue pour 2015 oscille entre 0,7 % et 1,6 % selon les organismes – c’est mieux que prévu l’année dernière). Pour sa part, le FMI prévoit une recrudescence de l’inflation (18, 6 % en 2015 et 25,6 % pour 2016). On assiste désormais à un ralentissement de la baisse de la pauvreté et des inégalités. L’Argentine se trouve donc dans une situation plus compliquée et les politiques de redistribution actives de l’Etat vont être moins évidentes à mener dans ce contexte. C’est cette situation que les nouveaux dirigeants vont devoir gérer, en particulier Monsieur Daniel Scioli (candidat soutenu par Cristina Kirchner et du Front pour la victoire) s’il est élu.
Comment la campagne s’est-elle déroulée et quels thèmes ont été au cœur des préoccupations ? Les jeux sont-ils faits ?
Les thèmes de cette campagne, qui n’est pas tout à fait terminée, n’indiquent pas de clivages importants en matière économique et sociale, qu’il s’agisse de Daniel Scioli, de Mauricio Macri (droite) ou de Sergio Massa (centre droit). Personne ne semble pouvoir publiquement se défaire du consensus de type keynésien – croissance par la redistribution des richesses et rôle de l’Etat dans l’économie publique et privée – qui prévaut dans le pays. Il y a de ce point de vue une forme d’hégémonie du kirchnérisme. Les différences entre les principaux candidats se sont surtout faites sur des questions de gestion de l’économie, du gouvernement, de lutte contre la corruption, de sécurité, de délinquance. Il s’agit davantage de se demander comment mieux gérer la continuité.
Daniel Scioli est en tête des sondages. Il bénéficie de la popularité de ses prédécesseurs même s’il représente la composante la plus libérale et la plus favorable au secteur privé et au libre-échange au sein de l’alliance kirchneriste. Nestor et Cristina Kirchner sont les dirigeants les plus populaires dans le pays depuis le retour de la démocratie en 1983. Mais il faut garder un peu de prudence. Les sondages multiplient les erreurs dans de nombreuses élections dans le monde. Ils n’ont d’ailleurs pas été fiables lors des primaires argentines du mois de juillet dernier. Les derniers réalisés indiquent une victoire de Daniel Scioli dès le premier tour avec plus de 40% d’intention de vote au premier tour et les dix points d’avance nécessaires sur son second, Mauricio Macri. Il faut savoir que les règles électorales sont très spécifiques en Argentine – ce sont 32 millions d’électeurs qui vont voter ce dimanche 25 octobre – puisque le candidat qui arriverait en tête avec 45% serait directement élu président. Il pourrait également être élu dès ce premier tour s’il atteignait 40% des voix avec dix points d’avance sur son second. Le second tour intervient si l’on n’est pas dans ces deux cas de figure. Daniel Scioli serait ainsi plutôt bien positionné pour remporter le premier tour de l’élection. Si ce n’était pas le cas, il pourrait y avoir un second tour le 22 novembre, dans lequel ses opposants pourraient s’allier de manière circonstancielle afin d’empêcher la victoire du camp péroniste. C’est un scénario qui n’est aujourd’hui pas des plus probables. Par ailleurs, au-delà de l’élection d’un nouveau président, les Argentins rénoveront la moitié de la Chambre des députés et un tiers du Sénat.
Si les enjeux sont importants pour l’Argentine, le sont-ils également sur la scène internationale ? Que représente l’Argentine aujourd’hui ?
L’Argentine est aujourd’hui la 3ème puissance économique et démographique sud-américaine après le Brésil et la Colombie. Elle est la 4ème au niveau latino-américain si l’on inclut le Mexique. C’est l’une des économies motrices du Marché commun du Sud (MERCOSUR), le principal bloc d’intégration sud-américain. Au niveau diplomatique, c’est un pays qui a une tradition de rayonnement et un poids très important dans la région. Les enjeux des élections en Argentine ont à voir avec la continuité du cycle politique latino-américain qui voit depuis le début des années 2000 une majorité de gouvernements qualifiés de progressistes, en tous cas en rupture partielle avec le néolibéralisme et l’hégémonie nord-américaine dans les affaires géopolitiques de la région. Selon le résultat, il y aura soit l’expression d’une continuité de cette trajectoire qui connaît aujourd’hui de nouveaux défis, soit celle d’un réalignement progressif plus marqué vers Washington et les courants dominants du libre-échange mondial. Si Daniel Scioli était élu, il faudra suivre ses choix en la matière.