Pressenza donne la parole à ces femmes et à ces hommes qui s’organisent solidairement pour trouver des solutions aux nécessités de la vie quotidienne. C’est cette Grèce courageuse et active que nous allons vous montrer dans le documentaire « ζω: zo̱… Je vis ! L’être humain n’est pas en crise, il s’éveille et se réinvente ». La Grèce en témoigne.
Pour rendre compte du choc, du traumatisme vécu face à cette violence programmée par un système néo-libéral meurtrier, une place est laissée aux chiffres. Dans l’article, ce sont simplement des chiffres, dans leur quotidien, celui de leurs familles, de leurs amis, de leurs voisins, cette violence qui se traduit par la souffrance, la faim, le froid, la mort, la dépression, etc. Ceci est leur réalité.
Malgré toutes ces circonstances dramatiques, les personnes interviewées sont animées de cette même force : la solidarité, non pas comme acte individuel mais comme action collective: l’un avec l’autre et l’un pour l’autre. Nous pouvons parler d’expérience d’action valable, celle qui grandit en soi et chez celui qui la reçoit. Ils sont passés du « personnel » à « agir ensemble ». Pour eux, c’est une évidence. C’est ensemble qu’ils sont forts, c’est ensemble qu’ils restent debout. D’ailleurs pas de doute possible, les mots « solidarité pour tous » sont peints en grosses lettres sur le mur de la pièce où nous sommes reçus. Ne nous trompons pas, malgré cette force intérieure, la situation n’est pas idyllique, la crise est là depuis des années et le dernier mémorandum imposé par l’Europe est plus drastique que les précédents. Ils doivent être créatifs et ils le sont.
Maria s’exprime pour l’ensemble, « Quand on a vu la crise arriver et les gens chercher de la nourriture dans les poubelles , il fallait que l’on fasse quelque chose, on ne pouvait pas supporter ça. C’est ainsi que le besoin et l’idée sont nés ».
Selon les données de l’Institut Prolepsis collectées dans 64 écoles d’Athènes, 6 élèves sur 10 sont confrontés à l’insécurité alimentaire.
- 61% des élèves ont un parent au chômage, et dans 17% des familles, aucun des deux parents n’a d’emploi.
- 11% des enfants n’ont pas d’assurance maladie et 7% d’entre eux ont vécu sans électricité durant plus d’une semaine au cours de l’année 2014, tandis que 3% vivent toujours sans électricité.
- Dans l’ensemble de la Grèce, 406 écoles ont perçu en 2014 une aide pour nourrir leurs 61 876 élèves.
- Cette année, 1053 écoles ont déposé une demande d’intégration dans le programme «Alimentation» afin de pouvoir nourrir leurs 152 397 élèves; à l’heure actuelle, seuls 15 520 élèves, dans 150 écoles, ont été intégrés dans ce programme.
- Des questionnaires remplis par les parents dans 23 départements, situés dans toutes les parties de la Grèce, il ressort que 54% des familles sont confrontées à l’insécurité alimentaire et 21% souffrent de la faim.
Une étude du Bureau parlementaire du budget de l’État montre que:
- 3,8 millions de Grecs vivent à peine au-dessus du seuil de pauvreté (432 euros mensuels par personne).
- 2,5 millions de Grecs vivent en-dessous du seuil de pauvreté (233 euros mensuels par personne, ce qui représente une extrême pauvreté).
- 58% de la population grecque, soit 6,3 millions de citoyens, vivent donc juste au-dessus ou en-dessous du seuil de pauvreté.
Toutes ces raisons ont amené le Dispensaire Social d’Ellinikon et la Cuisine sociale « L’autre être humain » à dire non au Prix du citoyen européen 2015, en signe de protestation contre les politiques d’austérité. Déclaration complète.
L’UNICEF a également publié un rapport le 28 octobre 2014 sur les conséquences de la crise pour les enfants. Rapport UNICEF. Malgré les efforts des parents pour protéger leurs enfants, les élèves grecs sont tout à fait conscients des conséquences de la crise dans leur foyer, ils témoignent de l’augmentation des tensions familiales dues au stress, à la perte d’emploi.
Un article en a fait l’écho Pauvrete infantile bond en arrière Grece
Revenons à la structure Solidarité à Volos : avant ils ne se connaissaient pas, la rencontre s’est faite par les amis des amis. Il leur a fallu d’abord trouver un toit. Yiannis B a donné à l’association une vieille maison familiale fermée et non utilisée. Ensemble, ils ont fait les travaux, supervisés par le mari d’Evi et avec l’aide des habitants du quartier. L’histoire de ce quartier a son importance, il est issu de la diversité. Après la première guerre mondiale, des réfugiés d’Asie mineure et de Thrace orientale sont arrivés, changeant sa configuration.
La première phase a été de collecter et de distribuer de la nourriture, puis des vêtements et aujourd’hui des cours scolaires gratuits (anglais, mathématiques, grec ancien, informatique etc) pour les jeunes mais aussi pour les tout-petits (maternelles) et les enfants en situation de handicap. Les réfugiés ne sont pas oubliés, un village situé un peu plus haut dans la montagne accueille des jeunes réfugiés de 13 à 18 ans, certains sont scolarisés. Maria nous explique qu’ils les aident pour les vêtements etc.
Evdokia n’a pas eu d’expérience analogue avant la crise. « J’ai commencé par m’occuper d’inscrire les gens qui arrivaient. J’ai été sensibilisée par le fait que certaines personnes venaient bien habillées et qui pourtant avaient besoin de nourriture pour elles et leurs enfants ».
Qu’est-ce qui a changé en vous depuis?
Maria « J’ai compris que mes habitudes étaient d’un autre « univers ». J’ai limité mes besoins d’antan. Un jour j’ai donné une boite de lait à une mère. Elle s’est agenouillée et m’a baisée la main, je me suis agenouillée aussi. C’était insupportable. Je veux être bien meilleure en tant que personne ».
Vassia qui traduit rajoute « ça paraît être comme un conte mais cela se passe ».
Evi, psychologue, travaille avec des enfants en difficultés en situation de handicap « Avant je faisais mon travail comme une « exécutante ». Aujourd’hui, je sens que ce même travail est une offrande parce que les enfants le voient comme cela. Comme si je leur offrais quelque chose d’important. »
« Quand je suis venu ici pour de l’aide, un soutien, personne ne m’a demandé si j’appartenais à un parti politique ou à un autre. Ça m’a fait une grande impression parce que d’habitude c’est donnant, donnant. »
Il nous raconte son histoire. « Avec la crise j’appartenais à ce groupe de gens qui ont tout perdu, tous mes biens. Au début de la crise, en 2009 le gouvernement, nouvelle démocratie, faisait tout ce qu’il pouvait pour tuer les gens qui travaillaient comme moi, les petites entreprises. J’avais deux entreprises. J’ai dû les fermer. J’ai essayé de rembourser ce que je devais, notamment les banques. J’ai vendu des maisons. Ça a été une catastrophe économique totale. Ma femme ne travaille pas non plus et notre seul souci est d’élever notre enfant. Désormais nous n’avons plus toutes ces choses qu’il est normal d’avoir, essentielles comme le lait pour notre enfant. Je suis venu ici pour demander de l’aide pour la nourriture, les vêtements. Aujourd’hui, mon enfant a 13 ans et maintenant les cours de soutien scolaire sont ici ».
Qu’est-ce qui vous donne la force et l’énergie de continuer?
Maria « Le sourire des enfants. Les choses simples, les voir jouer, partager un gâteau lors d’un anniversaire. On fait tout pour cela, les enfants ont besoin de vivre comme avant. »
Yiannis K « La solidarité et deux événements m’ont bouleversé. Pendant une fête pour l’anniversaire d’une petite fille qui ne l’avait encore jamais fêté. Ce sont des petites choses, comme cette fête pour cette petite fille, avec la salle décorée, les gâteaux, les petits cadeaux apportés par les autres enfants. La joie de ces enfants ».
« Une autre chose m’a frappé compte tenu de la situation, nous étions invités dans un collège pour collecter des jouets. Alors que c’est eux qui donnaient des jouets pour le centre, tous les jeunes nous ont applaudis et nous ont remerciés pour ce que nous faisions. « Ça nous aide à devenir des hommes meilleurs » nous ont-ils dit.
Maria « C’est eux qui apportent des cadeaux et c’est eux qui disent merci ». Elle rajoute « Tous ces gens qui aident, dépassent leur propre souffrance, leur propre problème et c’est comme cela que nous et eux évitons la dépression ».
Tous ont vécu ce type d’expérience. Elles ont laissé une empreinte en eux et nous pouvons encore sentir la présence de cette émotion.
Yiannis K « Le centre est ouvert à tout le monde, indépendamment de l’origine, de la couleur de la peau, de l’identité sexuelle etc ».
Maria « Il y a seulement une condition. Ils ne reçoivent pas les personnes qui se déclarent fascistes. Il y a au centre des Grecs, des Pakistanais, des Albanais, des Algériens. Pendant les fêtes que l’on organise, il y a beaucoup de Roms. Et nous sommes là tous ensemble, les enfants jouent ensemble. C’est ça, la grande satisfaction. D’être tous ensemble ».
Michalis « C’est important de sentir que l’on est pas seul ».
Qu’aimeriez-vous dire aux Français, aux Européens qui verront ce documentaire?
« Mon fils fait partie de cette génération de jeunes Grecs qui sont obligés de s’expatrier pour trouver du travail. Il est parti à l’étranger. Ne croyez pas aux stéréotypes véhiculés par la presse, le Grec qui ne travaille pas, passe ces journées à dormir etc. Il faut arrêter de croire aux clichés et regarder les gens ».
C’est très difficile pour la Grèce, pour tous ces jeunes et leurs parents. Ils partent pour trouver du travail, parce qu’ils n’ont plus le choix.
Yiannis K « Fermer vos oreilles aux oligarques d’Europe et ouvrez votre cœur au peuple grec ».
Michalis « Ne nous regardez pas comme des numéros, nous sommes des humains ».
« Je remercie tous les citoyens d’Europe qui sont sortis dans la rue manifester leur solidarité au peuple grec. Pour nous, c’est très gratifiant, c’est émouvant. »
Yiannis K « On a gagné une petite bataille, pas la guerre ».
Evi « Que ceux qui nous ont soutenus jusque-là deviennent plus nombreux ».
Evdokia « Quand je vais à l’étranger, je vois des gens sourire. Ici les gens ont la tête baissée et souffrent. C’est dur de voir cela ».
Maria « Mais nous sommes un peuple fort, on a vécu beaucoup de guerres, de tyrannies. On va s’en sortir ».
« J’appartiens aux membres fondateurs de l’association. Je voudrais dire aux Français, aux autres Européens, que la crise est mondiale, elle n’est pas grecque. C’est la crise du capitalisme. Tant que les politiques imposées en Grèce continuent d’être appliquées, que les Français et les autres Européens soient certains que cela touchera également leur pays. Tous les peuples d’Europe et du monde devront lutter pour que ces politiques changent, s’arrêtent. Nous les ferons changer. Si tous les peuples luttent ensemble, puisque nous avons les mêmes intérêts et les mêmes problèmes, ces politiques pratiquées dans chaque pays vont devoir changer. C’est ça que je voudrais transmettre ».
« Notre action à tous doit viser la paix, l’accès à la culture, une civilisation pour tous ainsi qu’une meilleure éducation et un meilleur système de santé, deux choses qui n’existent pas actuellement en Grèce. »