La rénovation d’un quartier de cette ville des Hauts-de-Seine intègre… un parking, qui pourrait détruire un lieu agricole et pédagogique porté par des associations. Ce pourrait être une fable. C’est la réalité.

Patrick Laroche est « documenteur ». Il anime le blog unpalimpseste.


Imaginez un projet de rénovation urbaine, dans un quartier populaire un peu oublié d’une banlieue parisienne un peu chic. Disons, les Hauts-de-Seine, par exemple, dont le prince vient de mourir, sans avoir parlé. Comme un mafieux. Une ville moyenne au doux nom, Colombes, qui fut jadis un des emblèmes de l’industrie automobile française. Le quartier populaire pourrait s’appeler Fossés-Jean.

Cette rénovation urbaine serait en projet depuis dix ans, au moins. Les habitants seraient impatients. L’édile locale, élue à l’arrachée en 2014, ferait, dans le souci de répondre enfin à leurs attentes, de cette rénovation une priorité. Son devoir. Priorité à gauche ? Priorité à droite ?

Imaginez dans ce cadre un promoteur pressenti et approché pour cette rénovation, en partenariat avec l’OPHLM local. Il faut un promoteur solide et fiable, pense madame la maire. Une valeur sûre capable de mener à bien l’ensemble du projet. Le genre Vinci, par exemple.

Vinci ? Pourquoi pas ?

Agriculture, écoconstruction et auto-organisation

Ce promoteur se fait communiquer les plans du quartier, les données chiffrées et humaines, interroge élus et techniciens sur les besoins de la population et de la mairie.

Et puis madame la maire évoque une opération à tiroirs. Deux parkings (aujourd’hui sous-utilisés) seront détruits pour laisser place à une place publique. Du coup, on doit en construire un autre dans le quartier pour les remplacer.

« Qu’à cela ne tienne, dit le promoteur, on s’y connait en parking ! Un parking en vaut un autre. Nous l’appellerons parc de stationnement. Voilà tout. Mais qu’y a-t-il, aujourd’hui, à la place du parking que vous souhaitez construire ? Je vois un bâtiment et du vert. C’est quoi ça ? Vieux ou récent ? »
— La maire : « Oh ! Ça n’est rien, un projet d’agriculture urbaine, européen. Il se termine le 30 septembre 2015. Et nous pouvons construire le parking à partir de là. »
— Vinci : « Mais c’est intéressant, l’agriculture urbaine, dans un quartier populaire en rénovation. C’est le moment d’innover. Ça peut aider la médiation sociale et divertir la population… J’aimerais bien voir de plus près ce projet européen… »

Chemin faisant, un peu plus tard, un envoyé du promoteur en charge du développement durable lui rapporte photos et entretiens, un rapport complet. Le promoteur, vivement intéressé, rencontre à nouveau la maire et propose d’intégrer le projet à la rénovation urbaine, d’en faire un moteur d’une éducation à l’environnement de la population, insistant pour une construction à basse consommation HQE. D’autant plus intéressant que c’est un quartier populaire. Et la mairie peut obtenir des subventions spécifiques pour une rénovation écologique exemplaire. Ça peut être une opération fructueuse en terme d’image, même économiquement…

L’histoire est à peine fictive. Un chargé de mission de Vinci est bel et bien venu, en juin, voir l’Agrocité, réalisation réputée exemplaire en terme de résilience urbaine à partir de l’agriculture, de l’écoconstruction et de l’auto-organisation des habitants en termes démocratique et économique. Comme tant d’autres, des délégations des villes de Séoul ou Montréal, notamment.

Le projet est soutenu par la Commission européenne sur le programme LIFE +, coproduit par le Conseil régional Île-de-France, le département des Hauts-de-Seine et la mairie de Colombes, avant 2014, bien entendu. Intéressant pour la fondation Fabrique de la cité, faux nez créé par Vinci pour se donner un air de promoteur expert et innovant, chercheur de solutions urbaines.

Le projet R-Urban, incluant Recyclab, un fablab spécialisé en recyclage et l’Agrocité, cette« ferme urbaine » menacée, a été présenté en 2012 à la Biennale de Venise. L’équipe AAA(Atelier d’architecture autogérée) qui le porte a été invitée au MIT, à Harvard, à Sydney, auMOMA de New York pour présenter ce projet, avec lequel elle a eu le prix international Zumtobel pour la recherche et l’innovation.

Il n’y a que Mme Goueta, maire de Colombes, à qui ce projet déplait, qui a tout de même coûté 1,6 million d’euros, en tout, dont 630.000 à la mairie elle-même. En fait, la convention liant les partenaires cités à AAA, le producteur du projet, s’est conclu le 30 septembre 2015, mais avec l’exigence d’avoir à le poursuivre encore durant cinq années afin de développer l’expérience. Le relocaliser est envisagé mais pas au frais de l’association AAA, qui n’en a pas les moyens. Et puis, Mme Goueta prétend qu’il n’y a pas de relocalisation possible sur le territoire de Colombes.AAA a trouvé une vingtaine d’endroits possibles pour ce faire ou pour relocaliser le parking.

Trouver la faille

Mais Mme Goueta s’est trahie, en juin, lors d’un conseil municipal. À un conseiller socialiste qui demandait des détails sur les besoins de ce parking, que lui ne voit pas nécessaire avant 2020, selon la programmation de la rénovation urbaine, elle a répondu, agacée… « AAA est peut-être un Atelier d’architecture autogérée, mais il n’est pas au-dessus des lois. Ce que vous aimez au fond, c’est le désordre, c’est l’autogestion généralisée où tout le monde fait ce qu’il veut et le fait ratifier par des soviets locaux manipulés par des militants de votre bord. Je dis stop. Cela suffit. »

Fort heureusement, il arrive que les politiciens professionnels, dont l’intérêt est de masquer leurs vraies pensées et sentiments, sortent de leurs gonds et découvrent, dans l’ouverture provoquée par la chute, leurs motivations profondes ou leurs arrière-pensées. Pour autant, cela ne résout pas l’affaire.

Si AAA ne trouve pas, dans les conventions signées par les différents partenaires, coresponsables et liés entre eux, la faille qui apportera la réponse précise empêchant Mme Goueta de poursuivre sa propagande anti-AAA, du béton sera coulé sur les 3.000 m2 de l’Agrocité, avec ses jardins partagés, son maraîchage, son poulailler, son lombri-compost et ses ruches. Et « l’Atrocité » remplacera « l’Agrocité », comme mon correcteur d’orthographe automatique ne cesse de me le proposer… Un parking s’étalera, mortifère, à sa place.

À moins que, à moins que… une espèce de ZAD (zone à défendre) ne vienne modifier le cours malveillant des choses…


Pour aider, une pétition est en ligne ici
Pour plus d’information sur le projet : R-URBAN et sa page Facebook.
Et celle de l’Agrocité


Lire aussi : Le boom de l’agriculture urbaine


Images : © Patrick Laroche

L’article original est accessible ici