Selon les diététiciens et nutritionnistes, plus de 70% des maladies des Camerounais sont dues à leur mauvaise alimentation. En première ligne, la boulimie très répandue chez de nombreux Camerounais. Et dans l’imagerie populaire on pense qu’avoir le ventre ballonné et plein est synonyme de bien-être. Pire encore, ceux dont la morphologie échappe à cette déformation sont ceux qui mangent mal…
Les voisins et les amis
Sous le fallacieux prétexte de consolider la solidarité, l’hospitalité et le sens du partage qui caractérisent l’Africain en général et le Camerounais en particulier, les Camerounais adorent manger chez leur voisin. Les adeptes de ces méthodes se confortent derrière une assertion populaire qui dit que « le Ndog c’est le courage ». En d’autres termes, manger chez le voisin n’est pas l’affaire de tous, il faut pour cela s’armer d’une dose de courage pour : soit frapper à la porte du voisin pour lui demander ce qu’il a cuisiné, soit toujours lui rendre visite à l’heure où le repas est prêt. Pour esquiver ce genre de mendiant alimentaire, certaines familles trop fréquentées par ces curieux visiteurs ont à plusieurs reprises changé les horaires du repas sans succès parce qu’il suffit pour ces derniers de sentir l’odeur d’une friture ou d’une sauce pour mettre le chronomètre en marche. La plupart de temps ils arrivent toujours au bon moment.
Les meetings politiques, funérailles, anniversaires, etc
Les anniversaires, les mariages, les meetings politiques, les funérailles, les collations, les baptêmes, les soutenances universitaires, etc. sont les lieux par excellence où les Camerounais étalent leurs curieuses performances alimentaires. Cette mauvaise habitude n’épargne personne. Au cours des cérémonies dans les familles, les parents et les enfants se disputent le plus souvent les premières places assises non loin du buffet. « Le Tio c’est la position » comme il se dit dans ces milieux, chaque fois qu’il y a un buffet, il faut tout faire pour être en première ligne, le but étant de passer en premier et de se servir les plus gros morceaux de poulet et de poisson, sans oublier le meilleur vin de la table. Dans cette course alimentaire, les femmes ne sont pas exemptes : dans les mariages ou les anniversaires, les femmes entassent et emballent la nourriture dans des sacs en plastique pour aller manger chez elles.
Les tourne-dos et le goudron
Originellement, les « tourne-dos » sont des lieux de restauration situés en plein air, et dans lesquels les consommateurs s’asseyent le dos tourné à la route. Mais aujourd’hui, cette expression désigne ces multiples endroits insalubres où les Camerounais mangent au quotidien. A l’instar du lieu de transformation artisanale de la farine localement appelé « beignetariat », on bricole dans ces hangars noircis de fumée toutes sortes de menu à la camerounaise : œuf-spaghetti, spaghetti sauté simple et garni, purée d’avocat au lait, pain haricot, tasse de lait ou café etc. Ces plats à haute teneur en sel, cube et piment sont généralement servis dans des plats en inox ou en plastique préalablement essuyés avec un chiffon dont la propreté laisse à désirer. Dans ces endroits, on utilise parfois la même eau de vaisselle du matin jusqu’au soir, du coup, les tasses qui ne passent pas à l’huile sont simplement rincées pour servir le client suivant. C’est ainsi qu’un couvert mal lavé utilisé par un tuberculeux peut être dangereux pour tous ceux qui s’en serviront.
Au bureau, au volant
Il n’est pas rare de voir des Camerounais au volant de leur véhicule, au milieu des embouteillages, mordre à pleines dents dans un long pain garni bricolé dans les tourne-dos. Un étranger témoin de cette scène pour la première fois pensera de prime à bord que les Camerounais travaillent dur au point de ne pas avoir du temps pour manger. Que non ! Ils mangent plutôt mal ce que les autres ont mal préparé, dans des conditions d’hygiène déplorables. Ce même cliché est observé dans certains services publics et privés. Entre midi et 13 heures, les bureaux se transforment en mini-restaurants. Des femmes viennent y servir les plats préalablement commandés par le personnel. Bien que préparés dans des conditions d’hygiène approximatives, ces repas sont très sollicités.
La politique du ventre
« L’État en Afrique. La politique du ventre » c’est le titre d’un livre de l’anthropologue français Jean-François Bayart publié en 1989. Dans le cadre de ses travaux consacrés à l’Afrique subsaharienne, ce penseur avait vu juste en théorisant sur le système de gouvernance des pays d’Afrique subsaharienne. Selon lui, « la politique du ventre » désigne ce système politique caractérisé par des pratiques de cooptations, de clientélisme, d’alliances, d’amitiés et de parentés multiformes qui malheureusement guident le mode d’accès au pouvoir et à la richesse matérielle. Entre la politique du ventre et la mauvaise habitude alimentaire, il n’y a qu’un pas. Les meetings politiques sont de ce point de vue édifiants, on dirait des foires gastronomiques où les gens se bousculent pour boire et manger.
Les Camerounais semblent avoir jeté leur dévolu sur les repas de la rue. Il est d’ailleurs rare de voir un restaurant digne de ce nom plein à craquer aux heures de repas. Malgré des conditions d’hygiène qui laissent à désirer, ces lieux de restauration en plein air se multiplient et continuent d’attirer les foules du fait du moindre coût des repas. Etre attentif au coût de notre alimentation mais aussi aux conditions d’hygiène de son élaboration… pas facile mais pas impossible.