Récemment, une délégation d’humanistes a été invitée en Grèce afin de donner deux présentations lors de la conférence TEDxAnogeia organisée sur l’île de Crète. La délégation a également participé à des réunions avec des membres du gouvernement national et local de la Grèce. Antonio Carvallo, ancien secrétaire général du Parti Humaniste International, faisait partie de la délégation. Un soir, à l’occasion d’une discussion sur la crise grecque, il a réalisé une analyse que nous sommes très heureux d’avoir transcrite et que nous reproduisons dans cet article à l’intention de nos lecteurs.
Nous sentons que nous vivons un moment où des changements considérables se produisent sur la planète, comme si les plaques tectoniques se déplaçaient. Après la Deuxième Guerre mondiale, nous vivions dans un monde bipolaire. En effet, il n’y avait qu’une puissance en Occident : les États-Unis. La Grande-Bretagne n’a pas remporté la guerre parce qu’elle a perdu l’empire. La source de leur puissance était l’empire, car celui-ci était une source de main-d’œuvre bon marché. La Grande-Bretagne a perdu l’Inde et les colonies africaines, puis les États-Unis ont pris le contrôle et au lieu d’utiliser la force militaire pour contrôler les nations, ils ont créé la Banque. Les États-Unis ont créé les institutions de Bretton Woods : la Banque mondiale, le FMI et tous les systèmes de contrôle.
Ils ont donc forcé les puissances coloniales à donner une apparente liberté politique. Bien sûr, ils ne croient pas en la liberté politique parce qu’ils manipulent les nations par d’autres moyens. La Grande-Bretagne, par exemple, a terminé de rembourser ses prêts de guerre il y a à peine 10 ans. Au moyen du plan Marshall, les États-Unis ont fourni une aide financière à l’Europe afin de prendre le contrôle. L’Europe s’est servie des fonds pour la reconstruction, mais les États-Unis ont gardé un contrôle indirect des principales industries.
Ils ont gardé le contrôle militaire avec l’OTAN, qui protégeait le monde du communisme. Chaque fois qu’ils voulaient s’engager dans une guerre, par exemple au Vietnam ou ailleurs, ils devaient imprimer de l’argent. Cependant, comme ils contrôlaient tous les systèmes financiers mondiaux, ils pouvaient exporter le coût des guerres au reste du monde. Ce régime a fonctionné pour eux pendant plus de 60 ans, et ils représentaient la grande puissance hégémonique. Mais le Rideau de fer est tombé pendant la pérestroïka – les changements internes qui se sont produits en Russie, où ils ont bien compris les processus. Le Parti communiste a été dissous, et le monde bipolaire qui justifiait le contrôle que l’Amérique exerçait sur l’Europe disparût.
Alors les Américains ont dit : « Nous avons remporté la guerre froide. Nous sommes la première puissance du monde et nous dictons les conditions. » Et ils ont continué à renforcer le système financier partout. Mais en réalité, l’Europe a commencé à se consolider et à se développer davantage. L’Union européenne a été créée. Les institutions européennes ont commencé à se consolider, l’euro a commencé à s’établir comme monnaie commune. En Europe, il y a un demi-milliard de personnes ayant un niveau de vie très élevé, une culture très ancienne et un secteur de l’éducation très vaste. L’Europe s’est enrichie beaucoup plus que les États-Unis. Le PIB de l’Europe est de 18 000 à 20 000 milliards de dollars, tandis que celui des États-Unis est de 16 500 milliards. Si nous prenons en considération la Russie et l’Ukraine dans le système européen, le PIB serait d’environ 25 000 milliards. Les États-Unis perdent leur supériorité hégémonique. L’Europe n’est plus la vassale des États-Unis. Elle a été sous l’emprise des Américains pendant de nombreuses années, et cette nouvelle situation crée des problèmes énormes aux États-Unis.
D’un autre côté, la Chine est en train de devenir la première puissance économique mondiale et commence à prendre le contrôle géopolitique de l’Asie et du Pacifique. Les États-Unis sont donc en train de perdre leur suprématie et en passe de n’être qu’une des trois grandes régions de la planète. Cela les submerge dans d’énormes problèmes économiques, car il leur est impossible d’exporter ces problèmes dans d’autres pays qui, eux, en paieraient le prix.
La Chine fabrique tous les produits qui se vendent dans les supermarchés de l’Occident et des États-Unis. Elle a une balance commerciale très favorable en raison de sa main-d’œuvre bon marché. Elle ne savait pas quoi faire de son argent, alors elle a acheté des bons du Trésor américain. Chaque année, le Trésor américain récupérait des milliards de dollars.
Quand la récession a commencé et que la Chine a compris que cette récession avait été créée par les Américains, c’est-à-dire les institutions financières des États-Unis, le ministre des Finances de la Chine a dit à son homologue américain : « jusqu’à hier, nous voulions vous ressembler, mais à partir d’aujourd’hui nous regardons dans une direction opposée ».
Alors vraiment, dans la situation actuelle, les États-Unis ne récupèrent pas tous les investissements chinois et le dollar américain s’affaiblit. Du point de vue géopolitique, l’Amérique souhaite affaiblir l’Europe. Pour le moment, leur cible principale est l’Europe, mais ils doivent le taire car l’Europe est leur alliée. Ils jouent donc un jeu à double face. Ils ont semé des guerres dans les régions qui ceinturent l’Europe : en Irak, en Syrie, en Libye et en Ukraine. Et cela dans le seul but de mettre un terme à l’énergie gratuite en provenance de la Russie. Une telle situation leur permet d’édifier l’OTAN et de vendre encore plus d’armes à l’Europe, qui s’est engagée à consacrer 2 % de son PIB à la défense. Les États-Unis fournissent du matériel à la défense; ils possèdent les meilleures armes, les meilleurs avions; c’est ce qu’ils disent. Deux pour cent équivaut à des dépenses d’environ 360 milliards par an pour l’Europe, et une grande partie de ce montant est destinée aux États-Unis.
En raison des guerres qui sévissent en Europe, l’immigration et le terrorisme augmentent, et l’Europe est dans un état de panique et de déséquilibre interne. Le terrorisme s’accroît. Les groupes financiers américains qui sont en relation avec les banques allemandes et britanniques veulent maintenant affaiblir les États nations. Ils ne veulent plus d’États nations. Ces derniers existent depuis près de 200 ans et, avant cela, il y avait des royaumes.
Ils veulent mettre fin aux États nations parce que ces états représentent la puissance du peuple, c’est pourquoi ils préconisent des politiques de privatisation de toutes les sources de services de base : électricité, eau, éducation, santé, logement, routes. Tout doit être privatisé.
Au Royaume-Uni, seul le Royal Mail a été privatisé. C’était l’un des meilleurs services postaux du monde. Il a été vendu sur le marché pour 1,5 milliard de livres et, deux mois plus tard, la valeur des actions sur le marché avait grimpé à 3 milliards de livres. Ils ont donc pris l’argent du peuple pour le donner aux sociétés, qui ont fait des profits. Les États-Unis veulent maintenant faire de même avec la Grèce. Ils veulent détruire l’État nation en Grèce en prenant tous les actifs : ports, aéroports, îles, écoles. Ainsi, des actions seront émises et couvertes par tous les biens immobiliers et les propriétés du pays, puis vendues sur le marché international.
La Grèce est traitée comme une entreprise. Les États-Unis retirent les rênes au peuple et les donnent aux marchés. Et c’est là un projet expérimental qu’ils réalisent, d’où le vif intérêt qu’ils manifestent à cet égard. Selon une analyse dans les médias internationaux chinois, même si la Grèce est en défaut pour la troisième fois, l’Allemagne en tirera des profits.
Au Royaume-Uni, le gouvernement essaie également de privatiser le Service national de santé, qui est l’un des plus efficaces au monde. En effet, si vous devez subir une opération, vous ne payez aucun frais et vous recevez un service et un traitement irréprochables.
Les États-Unis ont convaincu les gens que les marchés sont créateurs de richesse et que nous sommes des personnes inutiles qui tirons parti des avantages que les marchés créent pour nous. Rien n’est plus faux. Les gens sont les seuls créateurs de richesse. Les États-Unis changent tout sur le plan idéologique et nous convainquent que les choses vont mal.
Prenons par exemple le cas de la Chine, qui a acquis son indépendance en 1948, après la Longue marche de Mao Zedong qui a unifié la Chine, avec les nationalistes en marche vers Taïwan. Après des années de guerre civile, la Chine était complètement appauvrie. Elle n’avait pas de capital, d’autoroutes ou de barrages. Elle avait besoin de grands barrages pour retenir l’eau des rivières, et l’Occident n’a pas voulu l’aider parce que la Chine était communiste, tandis que la Russie ne pouvait l’aider parce qu’elle n’en avait pas les moyens. Le peuple chinois a donc tout construit de ses propres mains. Les Chinois ont transporté des pierres pour construire des routes. Et 40 ou 50 ans plus tard, ils représentent la plus grande économie du monde.
Au bout du compte, qui a créé la richesse? Les marchés? Qui a reconstruit l’Europe après la Deuxième Guerre mondiale : les marchés ou les gens? Qui sont les grands atouts de la Grèce, de l’Europe, de chaque pays? Ce sont les gens. Nous créons de la richesse quotidiennement, et ils nous en privent, en plus d’appauvrir le peuple. Et nous assistons actuellement à une lutte constante contre l’État nation, c’est une lutte entre les valeurs néolibérales et démocratiques, mais les gens de partout sont très confus parce que l’histoire évolue rapidement. Voilà pourquoi nous, en tant qu’humanistes dans différentes régions du monde, nous réfléchissons, nous étudions et nous assurons notre propre formation afin de consolider les valeurs de non-violence, la foi dans notre propre évolution en tant que personnes, et afin de penser au type de sociétés que nous voulons créer à l’avenir.
Nous ne pensons pas beaucoup au passé, mais plutôt à ce que sera la société dans 50 ans. Comment voulons-nous que soit le monde de demain?
La société évolue énormément en ce moment et la civilisation connaît des progrès considérables. Cependant, le monde est attaqué par beaucoup de forces destructrices parce qu’une puissance impériale décline, ce qui génère de grandes violences dans différentes régions de la planète. Une guerre risque d’éclater en Ukraine et des conflits se déroulent ailleurs dans le monde. Et c’est la raison pour laquelle nous craignons une menace nucléaire et créons une prise de conscience. Le risque d’accident nucléaire est élevé, et nous voulons renforcer notre présence et avoir une vision nette et un centre de gravité en notre for intérieur, car le monde vit beaucoup de changements.
Nous disposons pour cela de nombreux moyens, parce que nous avons le privilège de partager une philosophie que Silo – le fondateur de ce mouvement, qui avait anticipé les processus dont nous parlons – nous a transmis, afin que nous puissions la faire connaître. Selon cette philosophie, vous avez la responsabilité de donner un sens propre à votre vie et de vous épanouir. Personne ne peut le faire à votre place. C’est une responsabilité individuelle dont chacun doit se charger.
Quand une personne commence à réfléchir de la sorte, sa position face au monde se modifie. En effet, vous n’attendez plus que le gouvernement, d’autres personnes ou Dieu résolve vos problèmes. Vous prenez en charge votre responsabilité et vous faites de votre mieux pour aider votre prochain. Cela peut nous rendre assez forts pour faire face à toute cette tourmente.
Le processus historique ne cesse de s’accélérer, le temps s’accélère. Nous savons désormais à l’instant même quelle est la situation en Chine et partout dans le monde. Notre temps mental file à toute allure. Nous pouvons imaginer n’importe quelle région du monde, car si nous voulons savoir où se trouve Anogia, par exemple, nous la cherchons dans Google Maps et nous trouvons une image; notre concept de l’espace est donc également en évolution. Nous pouvons nous déplacer d’un pays à l’autre rapidement; c’est cher, mais nous pouvons le faire.
Certains concepts fondamentaux sur le temps et l’espace changent de façon spectaculaire. Tous les jours, nous recevons des milliers d’éléments de renseignement que nous devons traiter. Nous avons donc besoin d’un solide centre de gravité, et nous devons travailler en étroite collaboration avec d’autres êtres humains qui sont du même avis que nous. Si nous procédons de la sorte, nous n’aurons rien à craindre, parce que nous avons une foule de choses qui sont très précieuses et qui nous poussent à progresser.
Traduit de l’espagnol par : Silvia Benitez