Par : Pau Serra
Certains ont cru, à la fin de la Guerre Civile Espagnole puis de la Seconde Guerre Mondiale – qui fut, en réalité, une guerre civile européenne – que les rêves, désirs et aspirations profondes qui avaient nourri des millions d’espagnols, s’étaient éteints à jamais. Vainqueurs et vaincus semblaient coïncider sur cela, bien que ne partageant pas le même climat mental. Les vainqueurs du combat ont cru qu’en éliminant et en disciplinant avec toute la rigueur et la cruauté possible, les désirs de liberté, ils éteindraient pour toujours cet esprit libertaire qui avait incendié et uni des millions d’espagnols.
A ce moment-là, l’Espagne était à contre-courant du processus historique de prédominance allemande, française et anglo-saxonne. Dans cette Espagne républicaine d’alors, la culture fut impulsée pour l’étendre à tous les niveaux, avec l’objectif que le pays sorte de l’analphabétisme et du retard ; dix mille écoles furent créées et les salaires des maîtres furent augmentés. Le budget de l’Education fut augmenté de 50% comme investissement pour le futur et sortir de l’ostracisme. Plusieurs missions pédagogiques furent créées pour apporter la culture dans des zones rurales oubliées. Les espagnols aspiraient à un avenir de démocratie réelle et de modernité, de liberté et de justice, d’éducation et de progrès, d’égalité et de droits universels pour tous ainsi qu’à une réelle décentralisation politique et économique à tous les niveaux.
la Seconde Guerre Mondiale terminée, et l’Europe « libérée » de la menace du nazisme et de ses étroits collaborateurs, les vainqueurs de nouveau, oublièrent de restaurer la République espagnole et de compenser avec cela, l’énorme contribution que les Républicains espagnols avaient généreusement apportée dans la lutte. Le franquisme, malgré son lien avec le nazisme, leur sembla être un meilleur allié, plus prévisible et maniable que cette « étrange république espagnole » dans laquelle un nouveau paradigme se créait, mettant en échec les intérêts de toute la bourgeoisie et des pouvoirs en place en Europe Pour les « gardiens de la liberté » ce n’était pas le stalinisme le plus grand danger … ce que nos voisins craignaient le plus, c’était l’effet démonstratif que le rétablissement de la république espagnole pouvait produire et propager dans le monde.
A ce jour, aucun tribunal pénal international n’a encore juger le franquisme pour ses horribles crimes et cela démontre bien la complicité et la fausseté de tous les gouvernements européens. Naïvement, les européens actuels, nous croyons que les vainqueurs de la Seconde Guerre Mondiale furent les bons ; « l’alliance du bien » qui, par une lutte très dure, avait mis en déroute la barbarie du nazisme et du fascisme. En réalité, pratiquement dans toute l’Europe du nord au sud, l’anti-humanisme comme climat mental en tréfonds, s’imposait. Maintenant, avec une certaine distance historique nous pouvons voir, par exemple, le stalinisme comme faisant partie du même processus historique obscurantiste. Une chose est l’emballage externe idéologique avec lequel ils se présentaient au monde et autre chose le tréfonds psychosocial depuis lequel ils s’exprimaient et agissaient.
Si nous faisons appel à la raison historique, tout comme Ortega et Gasset, nous constatons que ces « gentils survivants» de la guerre européenne fratricide, plus tard, ont fini, eux aussi, par commettre tout type d’atrocités semblables à leurs « méchants » régionaux. Quel type d’actions criminelles déployèrent et déploient encore les anglo-saxons, les français et autres états européens envers d’autres peuples ? la guerre d’Algérie, celles déployées dans plusieurs pays d’Afrique et d’Amérique Latine (Haïti, etc.). Les actions actuelles en Irak, Libye, Afghanistan, Syrie, etc. pour ne citer que quelques-unes réalisées par nos « gentils frères européens » ; ils ne se différencient en rien de ceux jugés et condamnés dans le procès de Nuremberg pour crime contre l’humanité.
Aujourd’hui en Espagne, avec le surgissement du 15M comme l’expression d’un même phénomène concomitant qui surgit dans le monde, de nouveau cet esprit libertaire de la Seconde République ré-apparaît comme une grande assemblée pour rappeler aux usurpateurs actuels que l’on ne peut arrêter l’intentionnalité humaine.
Quelque soient la manipulation et la violence que l’on tente d’imposer aux êtres humains, jamais l’histoire ne pourra être arrêtée. L’histoire humaine c’est l’histoire du surgissement de la conscience humaine, une conscience qui, bien contrairement à ce que l’on croit, n’est pas passive mais bien toujours active, disposée à de nouvelles tentatives pour transformer le monde et se transformer elle-même.
Les puissants devraient apprendre de l’histoire que personne n’a son futur assuré et qu’il n’y a pas moyen d’arrêter l’impulsion toujours croissante de la vie qui cherche à travers l’être humain à se rendre consciente à elle-même.
Mais aussi nous, qui nous sentons humiliés et soumis, nous devrions comprendre de toute urgence, que la violence comme moyen d’action finit toujours par produire des effets secondaires néfastes. Ortega signala aussi que ce n’est pas en luttant contre les abus que se font les révolutions mais en changeant les moyens de les faire.
Souhaitons que dans ces nouvelles tentatives des peuples qui s’éveillent, nous déracinions l’usage de toute forme de violence pour dépasser le vieux mythe de l’éternel recommencement enchaîné à une roue qui tourne sans cesse.
L’histoire humaine est une accumulation de facteurs historiques non résolus qui demandent que l’on s’en occupe aujourd’hui. Mais il ne nous est plus possible d’aller de l’avant dans l’histoire depuis les vieux schémas de libération, étant donné qu’ils reproduisent continuellement les mêmes tréfonds totalitaires impulsés par le ressentiment et la vengeance. Ce ne sont pas de nouveaux idéaux dont nous avons besoin pour soutenir notre vie soumise mais plutôt d’une nouvelle vie pour soutenir de nouveaux idéaux.
Plus que jamais aujourd’hui, nous avons l’opportunité de nous mettre en syntonie avec les meilleures aspirations des bonnes personnes qui nous ont précédés, pour aller au delà de la violence, en aspirant à transformer même nos opposants, au moyen de la non-violence active pour impulser les changements dont nous avons besoin.
Il n’y a pas de révolution plus grande et profonde que de traiter les autres de la façon dont nous aimerions être traités. Par cette humble règle d’or kantienne, basée sur l’éthique de la réciprocité, se trouve le chemin de notre libération et une nouvelle vie consacrée à la construction de la future Nation humaine universelle, comme enceinte permettant de surpasser nos propres contradictions personnelles ainsi que sociales et historiques.
Traduction de l’espagnol : Paquita Ortiz