Pressenza présente en 12 parties le Dossier ‘La non-violence en débat’, paru dans la revue Recherches internationales, N° 126, Avril-mai-juin 2023.

Dossier La non-violence en débat

1- Raphaël Porteilla, De l’utilité d’un dossier consacré à la non-violence [Présentation]
2- Alain Refalo, Panorama historique de la non-violence
3- Cécile Dubernet, Non-violence et paix : faire surgir l’évidence
4- Étienne Godinot, Raphaël Porteilla, La culture de la paix et de la non-violence, une alternative politique ?
5- Mayeul Kauffmann, Randy Janzen, Morad Bali, Quelles bases de données pour les recherches sur la non-violence ?
6- François Marchand, Guerre en Ukraine et non-violence
7- Jérôme Devillard, Sur l’opposition et les liens entre non-violence et pacifisme
8- Amber French, Combler le fossé entre universitaires et praticiens. Le cas du centre international sur les conflits non-violents
9- Document : Appel aux États-Unis pour la paix en Ukraine
10- Jacques Bendelac, Les Années Netanyahou, Le grand virage d’Israël [Raphaël Porteilla / Notes de lecture]
11- Alain Refalo, Le Paradigme de la non-violence. Itinéraire historique, sémantique et lexicologique [Raphaël Porteilla / Notes de lecture]

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Dixième partie :

10- Jacques Bendelac, Les Années Netanyahou, Le grand virage d’Israël [Raphaël Porteilla / Notes de lecture]

Paru avant la nouvelle prise de pouvoir de Benjamin Netanyahou (« Bibi ») en décembre 2022, cet ouvrage d’un spécialiste d’Israël, fournit une somme d’informations consistante sur le système Netanyahou qui a réussi à irriguer l’ensemble du spectre politique israélien depuis trente ans.

Figure nouvelle du parti de droite le Likoud dans les années 1980, B. Netanyahou est parvenu à gravir tous les échelons de la vie politique pour devenir en 1996, Premier ministre d’Israël. De cette première période date les prémices de ce que l’auteur nomme le « bibisme », situé à droite sur l’échiquier politique et qui aura réussi à structurer le champ politique israélien.

Cet ouvrage invite à l’introspection de cette idéologie spécifique, « le bibisme », articulée autour d’un homme ou plus précisément d’un clan car le soutien familial n’est pas un vain mot en l’espèce, lui assurant une assise politique, matérielle et financière conséquente. Si la trajectoire politique de B. Netanyahou révèle une carrière professionnelle somme toute classique pour Israël (né à Tel Aviv, vie à Jérusalem, études aux États-Unis, service militaire à Tsahal, carrière diplomatique), les fondements idéologiques du « bibisme » se situent au confluent de plusieurs dimensions. L’influence politique emprunte à une forme d’opportunisme qui peut tout à fait rejoindre l’extrême droite, le lien à la religion s’apparente à un messianisme rampant qui a contaminé toutes les sphères de la société, la pensée économique déploie un libéralisme intransigeant. En outre, la question sociale des minorités non-juives, considérées comme indésirables par B. Netanyahou, sera toujours traitée de manière infériorisante. La défense, dont la question de l’État de Palestine forme le cœur, a toujours oscillé entre discours et actes de défiance, au point de laminer la solution à deux États. Enfin, le domaine des relations extérieures a entièrement été structuré autour des menaces existentielles (Iran, Hamas, Hezbollah), appuyées sur le soutien indéfectible des États-Unis.

Pour l’auteur, B. Netanyahou a construit son pouvoir sur cinq piliers majeurs qui lui ont permis une longévité exceptionnelle (Premier ministre pendant 15 ans, sans compter sa nouvelle nomination depuis décembre 2022). Il peut en effet compter sur un allié absolu, les États-Unis mais aussi sur de nombreux autres chefs d’États qu’il semble avoir subjugué. Il s’appuie sur une menace extérieure, l’Iran sans cesse pointé du doigt, pour justifier toute entreprise de répression ou de menace de guerre. Il bénéficie d’une manne énergétique et économique, le gaz, dont il sait pouvoir user, y compris pour faire pression sur d’autres États (Liban, Jordanie). Il cultive un réseau d’amitiés personnelles et familiales sans pareil, notamment parmi les cercles d’affaires dont sa famille n’est jamais éloignée.

Trente années de ce régime idéologique qui s’est insinué dans toutes les sphères de la vie publique – économie, culture, sport, justice, médias, diplomatie, etc. – ont contribué à forger les contours d’un État juif de plus en plus nationaliste et ultra-conservateur comme en témoigne son alliance électorale avec les partis religieux extrémistes fin 2022, mais aussi un État autoritaire consacré néanmoins par les urnes comme dans d’autres configurations (Hongrie, Brésil, USA, Inde, etc.).

J. Bendelac donne ainsi à voir ce que recouvre le « bibisme » au quotidien pour conclure sur un bilan plus que contrasté sur nombre de plans, économie, services publics réduits à peu de chagrin, une protection sociale déliquescente alors que l’illusion de la start-up nation ne parvient pas à convaincre complétement. La crise sanitaire du Covid a également permis à B. Netanyahou de renforcer la dimension populiste de son pouvoir en se plaçant en sauveur de la nation, tout en affaiblissant le pouvoir législatif (là aussi comme constaté dans d’autres contextes), voire les autres contre-pouvoirs de plus en plus limités ; les propositions récentes évoquées début 2023 visant à réduire le pouvoir de la Cour Suprême s’inscrivant dans cette dynamique, pente que l’auteur situe dès l’année 2014.

Cet ouvrage, qui se lit très aisément, souligne aussi que le vieux clivage droite/gauche, hérité des périodes initiales de l’État israélien, a cédé la place depuis la fin des années 1980 à une opposition entre « bibistes et antibibistes », tant son héritage a profondément changé Israël. L’auteur soutient que l’histoire d’Israël se structure en deux périodes, avant et après 1988, date d’entrée à la Knesset de B. Netanyahou ; depuis, il est devenu le point focal de la vie politique. Si l’on souscrit sans difficulté à cette analyse, d’autres éléments peuvent expliquer la situation actuelle de ce pays, notamment l’influence grandissante des partis religieux et des colons ultras qui ont su se rendre incontournables dans le retour de B. Netanyahou au pouvoir ; la géopolitique internationale ainsi que la dimension économique ultra-libérale sont aussi à prendre en compte, ce que rend d’ailleurs très bien ce livre.

Là où l’ouvrage se termine avec l’arrivée au pouvoir de 2021 du centre droit, l’histoire immédiate d’Israël s’est encore écrite avec B. Netanyahou, qui a réussi son pari de redevenir Premier ministre fin 2022, cette fois à la tête d’un gouvernement qui intègre l’extrême droite de manière conséquente, concrétisant sans doute un pragmatisme certain mais mortifère politiquement et socialement.

Cet ouvrage est donc fort utile pour toutes celles et tous ceux qui cherchent à comprendre la longévité de cet homme politique, tout autant qu’en miroir, il permet de mieux appréhender les grandes évolutions d’Israël et de comprendre sa dérive extrémiste droitière et raciste.

L’article original est accessible ici