« Ce qui commence ici change le monde. Cela commence avec vous et ce que vous faites chaque jour ». C’est ce qu’indique un panneau encourageant accueillant les étudiants de l’université du Texas à Austin. Mais les actions entreprises par l’Université racontent une autre histoire. Une photo circulant sur les réseaux sociaux cette semaine montre une ligne de policiers de l’État en tenue anti-émeute juste derrière le panneau. Les officiers – certains armés de fusils semi-automatiques et d’autres montés à cheval – avaient été envoyés sur le campus pour disperser les étudiants qui protestaient contre l’offensive israélienne à Gaza et ont procédé à l’arrestation violente d’au moins 50 personnes, dont un journaliste.
La manifestation à l’Université du Texas à Austin fait partie d’un soulèvement étudiant qui s’est étendu dans les campus partout aux États-Unis et qui a été inspiré par le camp de solidarité avec la Palestine à l’université de Columbia à New York. La réponse inadéquate de la présidente de l’Université de Columbia, Minouche Shafik, au camp de protestation pacifique a été le catalyseur de la croissance du mouvement étudiant.
Le campement de l’Université de Columbia est apparu comme le renforcement des protestations après des mois de manifestations anti-guerre suite aux attaques du Hamas du 7 octobre 2024 et aux attaques aériennes et terrestres israéliennes incessantes et persistantes dans la bande de Gaza. La commission de l’Education et du Travail du Congrès, contrôlée par les républicains, a accusé l’Université de Columbia de tolérer la propagation de l’antisémitisme sur le campus. La semaine dernière, alors que la présidente se présentait devant la commission pour s’expliquer, des dizaines d’étudiants, dont de nombreux juifs, ont installé des tentes et une bannière portant l’inscription « Gaza Solidarity Camp » sur la pelouse du campus.
Plus tard dans la nuit, la présidente a déclaré que les manifestants représentaient un « danger clair et présent » et a demandé l’intervention de la police de New York. Au cours de la procédure, la police a arrêté plus de 100 étudiants. Cependant, le chef de la division des patrouilles de la police de New York, John Chell, a déclaré que les manifestants avaient agi de manière pacifique et coopérative. Après le démantèlement du premier campement par la police, les étudiants en ont rapidement installé un nouveau, qui est toujours en place à l’heure où nous écrivons ces lignes.
Suite à la violente répression à l’Université de Columbia, des camps de solidarité avec la Palestine ont été mis en place dans des universités à travers les États-Unis. Il s’agit notamment de l’Université Harvard, de l’Université Tufts et de l’Emerson College dans le Grand Boston, de l’Université Emory à Atlanta, de l’Université de Princeton et de l’Université Cornell, ainsi que de l’Université de Californie à Berkeley. En outre, des camps ont été organisés à la California Polytechnic State University, au nord de la Californie, et au Fashion Institute of Technology, au cœur du quartier de Manhattan, à New York.
À l’Université Brown, située à Providence (Rhode Island), les étudiants ont planté leurs tentes au son du chant « De Columbia à Brown, nous n’abandonnerons pas Gaza ! En novembre 2023, quelqu’un a tiré sur un étudiant palestinien-américain de Brown, Hisham Awartani, alors qu’il marchait avec deux amis dans la ville de Burlington, dans le Vermont. Le jeune homme, qui est resté paralysé, allait rendre visite à sa grand-mère pour Thanksgiving, la fête de l’action de grâces.
Il n’est pas surprenant que l’Université de Columbia ait été l’épicentre du mouvement de solidarité avec les Palestiniens. En avril 1968, des centaines d’étudiants ont occupé les bâtiments du campus pour manifester contre la guerre du Viêt Nam et les projets de construction d’un centre fitness à Harlem, un quartier voisin de l’université et dont la population est majoritairement noire. Les étudiants ont qualifié le projet de centre fitness de « Gym Crow », en référence aux lois de ségrégation raciale connues sous le nom de « lois Jim Crow ». À cette occasion, les autorités de Columbia ont également fait appel à la police de New York et plus de 700 personnes ont été arrêtées.
Juan Gonzalez, coanimateur de Democracy Now !, a participé aux manifestations de 1968 à l’Université de Columbia. Lors d’une conversation avec Democracy Now ! cette semaine, 56 ans plus tard, Gonzalez s’est souvenu de ces événements :
« La grève de Columbia a duré plusieurs semaines. La première semaine a consisté en une occupation, mais la brutalité de la répression policière, qui a entraîné l’hospitalisation de plus de 150 personnes dans la nuit du 30 avril 1968 a déclenché une grève généralisée dans toute l’université. Plus de 10 000 étudiants ont bloqué l’accès à l’université pour le reste du semestre ».
Juan a comparé la réaction des autorités universitaires de l’époque à celle d’aujourd’hui :
« En 1968, nous avons occupé les bâtiments et empêché la tenue des cours. Lors de la manifestation actuelle, les cours se déroulent normalement. Les étudiants campaient pacifiquement sur les pelouses. La nature disproportionnée de la réponse de l’université, la rapidité avec laquelle elle a réagi, sans même consulter ou écouter la faculté, est donc vraiment étonnante ».
La répression des étudiants de l’Université de Columbia en 1968 a eu lieu trois mois seulement avant la convention nationale du parti démocrate à Chicago. Cette année, la convention nationale du parti démocrate se tiendra à nouveau à Chicago… dans un peu plus de trois mois.
Sarah King, une étudiante diplômée de Columbia, a été arrêtée lors du premier campement et a depuis été suspendue et bannie du campus.
Elle a déclaré à Democracy Now : « Le camp lui-même est vraiment bien. C’est un véritable lieu de célébration et de solidarité interconfessionnelle, en soutien à la population de Gaza, qui subit actuellement un génocide de plus de 200 jours ». King, qui est juive, a répondu aux accusations selon lesquelles les manifestations sont antisémites :
« La pire persécution à laquelle sont confrontés les étudiants juifs sur un campus est celle de l’Université de Columbia. Cette institution nous a punis de manière disproportionnée parce que nombre d’entre nous font partie du Camp de solidarité avec Gaza et tentent d’empêcher qu’un génocide soit commis en notre nom ».
Le président étasunien Joe Biden a approuvé mercredi 24 avril 2024 un programme d’aide militaire de 95 milliards de dollars en faveur de l’Ukraine, d’Israël et de Taïwan, dont 26 milliards ont été alloués à Israël.
Lors de l’entretien avec Democracy Now, Juan González a ajouté : « Les universités des États-Unis doivent se rendre compte que les jeunes de ce pays ne soutiennent pas les guerres incessantes, qui sont des guerres impériales auxquelles notre gouvernement participe ou qu’il finance, et que quelque chose doit changer ».
« Ce qui commence ici change le monde ». Ce simple slogan de l’université du Texas à Austin est rapidement devenu un appel à l’action pour des milliers d’étudiants à travers les États-Unis qui réclament la paix à Gaza.
Traduction de l’anglais, Evelyn Tischer