Depuis plusieurs jours, plusieurs présidents et ministres de l’UE déclarent qu’il faut se préparer à une éventuelle invasion russe, que la Russie est une menace pour l’Europe, qu’il faut s’armer et se préparer à la guerre. La rhétorique des tambours de guerre est très présente au sein de l’Union européenne. On insiste sur la nécessité de mettre l’économie européenne sur le pied de guerre, d’acheter plus d’armes et de pousser l’industrie militaire à augmenter sa production.
Par Tica Font (*)
On nous dit que la Russie pourrait envahir un autre pays de l’UE, peut-être que quelqu’un y croit, mais cela ne semble pas crédible. La guerre en Ukraine ne sera probablement pas gagnée par l’Ukraine, mais elle ne sera pas non plus gagnée par la Russie. Au mieux, nous nous dirigeons vers des scénarios à long terme de combats avec des intensités irrégulières. Il est donc difficile d’envisager un scénario dans lequel la Russie voudrait déclencher une guerre contre l’UE, cela serait suicidaire pour tout le monde. En résumé, tout semble indiquer que l’objectif est de générer la peur d’une invasion russe, ce qui permet de mener certaines politiques de défense avec une opinion publique qui ne s’y oppose pas.
La doctrine de la dissuasion consiste à montrer à l’adversaire que l’on a de plus grandes capacités de destruction, que notre puissance est supérieure et que l’adversaire doit renoncer à nous attaquer. Pour que les menaces soient crédibles, il faut faire preuve d’une force et d’une capacité de destruction supérieures à celles de l’adversaire. C’est ce qu’on appelle une course aux armements.
L’UE semble entrer dans cette course. En mars 2024, la Commission européenne a publié la première stratégie industrielle de défense européenne, qui fixe des objectifs et des indicateurs. Cette stratégie vise à :
– Promouvoir la production d’équipements militaires. L’industrie doit produire davantage, et pour cela elle demande deux choses : des crédits pour agrandir les installations et la signature de contrats sur plusieurs années, c’est-à-dire assurer la production. Dans ce but, l’UE a décidé d’ouvrir des lignes de crédit, comme les euro-obligations, ou de modifier les statuts de la Banque européenne d’investissement, tout ceci afin de fournir des liquidités pour l’expansion industrielle.
– Promouvoir les achats conjoints et les achats auprès de l’industrie de l’UE. L’UE commence à préparer une organisation et une structure pour coordonner les achats d’équipements militaires produits dans l’UE au nom des 27 pays. Elle commence par l’achat de munitions pour l’Ukraine, mais prépare la structure pour aller de l’avant. A ce stade, la Commission a fixé quelques objectifs : d’ici 2030, elle souhaite que 40% des achats militaires soient conjoints et que 35% du marché de l’UE soit consacré à la défense (le poids qu’elle souhaite donner à l’industrie militaire par rapport aux autres secteurs est considérable) ; d’ici 2030, elle souhaite que 50% des dépenses de défense des États membres soient fournies par l’industrie de l’UE et, d’ici 2050, que ce chiffre atteigne 60%. En résumé, l’augmentation des dépenses militaires approuvée par les 27 ne devrait pas aller aux États-Unis, mais doit aller, à la hauteur de 50-60%, à l’industrie européenne.
– Pour encourager ou aider les États à dépenser en armement, des mesures seront mises en place pour leur permettre de s’endetter pour l’achat d’armes, via des euro-obligations ou des prêts de la BEI Banque européenne d’investissements ; des subventions aux États seront mises en place si les achats sont faits en commun. Il y aura aussi des mesures pour que la dette contractée pour l’achat d’armes ne soit pas comptabilisée dans le déficit public (c’est ce qu’on appelle la créativité comptable) ou, encore, il se peut que la suppression de la TVA sur les armes soit reconsidérée. Les femmes paieront la TVA sur les serviettes hygiéniques ou le lait pour bébé, mais pas sur les armes.
Comme l’a déjà annoncé Von der Leyen, nous aurons probablement un commissaire à la défense dans la prochaine Commission après les élections.
Les gouvernements de l’UE se préparent à la guerre, à disposer d’armées plus puissantes, dotées de capacités accrues et d’un déploiement de force plus important. Nous n’avons toujours pas abandonné le concept de dissuasion, le « et moi plus », nous continuons le jeu psychologique (comme au poker), en faisant croire à l’adversaire que notre main est supérieure à la sienne ; les enjeux sont de plus en plus élevés et le danger de commettre des erreurs dans un jeu psychologique est de plus en plus grand. Les citoyens ne veulent pas être les victimes de ces jeux, et face à la dissuasion, la meilleure politique est celle de la détente, de l’arrêt de la course aux armements, de l’arrêt de la rhétorique menaçante, de l’ouverture au dialogue et à la confiance mutuelle.
(*) Tica Font est chercheuse au Centre Delàs d’Estudis per la Pau (Centres des Études pour la Paix, Barcelone)
Traduction, Evelyn Tischer