Un nouveau pas des puissants vers la financiarisation de la vie et l’éclatement de l’Etat de biens communs publics et des droits universels.

Quand Black Rock achète Global Infrastructures Partners (GIP), le géant des infrastructures.

Le 14 janvier dernier le géant n°1 mondial des fonds d’investissements privés Black Rock, a annoncé l’achat d’un autre géant dans le domaine des infrastructures, le Global Infrastructures Partners (GIP). En cash et en titres selon un accord boursier évaluant l’entreprise GIP à 12,5 milliards de dollars. L’entreprise est le gestionnaire le plus important au monde concernant les infrastructures indépendantes avec des actifs dépassant les 100 milliards de dollars dans les secteurs énergétique, infrastructures digitales, eau et déchets. Je rappelle que 100 milliards est le chiffre que les pays riches du monde ont accepté à la COP21 de Paris d’allouer chaque année à partir de 2020 sous forme d’aide (prêts !) aux pays en voie de développement (PVD) pour leurs actions contre le changement climatique. Évidemment, les PVD n’ont encore vu arriver même par un milliard. Il semblerait que la concrétisation de cet engagement devrait commencer en 2024.

Parmi les investissements marquants de GIP figurent des plateformes renouvelables telles que Cleanway Energy, Vena, Atlas et Eolian, les aéroports de Gatwick, Edinburgh et Sidney, le développeur de centres de donnée Cyrius One et le géant mondial de la fourniture de services hydriques et de traitement des déchets municipaux Suez (dont elle gère 40% du capital). C’est dire, nous parlons de très grosses et puissantes entreprises mondiales, qui ont de plus en plus une influence directe sur les devenir des populations. Ainsi par l’achat de GIP, Black Rock met une main lourde sur le capital de Suez et donc sur ses choix stratégiques.

D’après le patron de Black Rock, qui dirige un fonds d’investissement disposant de 9 425 milliards de dollars d’encours en juin 2023 (9, 4 trillions !) à gérer – ce qui fait de Black Rock la troisième puissance financière mondiale après les États-Unis et la Chine -, le secteur des grandes infrastructures offre des énormes possibilités d’investissement profitables. Son taux de croissance est parmi les plus élevés et est destiné à devenir un business de proportions gigantesques à l’échelle planétaire. Pensez aux infrastructures portuaires à développer pour traiter le déchargement d’un bateau avec plus de 20.000 containers. Les bateaux sont devenus si énormes qu’il n’y a plus de place où mettre les containers ni les grues pour les déplacer. Ils attendent parfois plus de six jours avant d’amarrer au port ! Le gigantisme fait partie des vices de naissance (pas tellement saine) de l’économie capitaliste de marché, comme on l’a vu dans la course à la construction des très grands barrages à travers le monde. Selon la Banque Mondiale plus de 19.000 grands barrages de vieille construction posent aujourd’hui des très gros problèmes de sécurité et de coûts énormes, même pour leur éventuelle destruction ou rénovation.

L’appropriation de GIP par Black Rock confirme la réponse donnée par les technocrates et les financiers aux processus en cours vers une reconfiguration à l’échelle planétaire des infrastructures et des services qui, selon eux, sont nécessaire pour avancer vers l’organisation efficace et rentable d’une économie mondiale intégrée par les marchés et les investissements. Leur réponse est axée sur « les grands systèmes », dont personne ne sait encore dire ce que seront les caractéristiques principales et les modalités dominantes de fonctionnement.

Une chose, cependant, est certaine. La reconfiguration à l’aune du gigantisme, signifie surtout le renforcement des phénomènes de concentration du pouvoir dont les 50 dernières années ont confirmé la perversité, les dérives et, finalement, l’inefficacité. La concentration, surtout financière, est en train de se faire selon les principes, les objectifs et les intérêts des sujets financiers et technocratiques les plus riches (y compris les franges sociales riches de la Chine et de l’Inde). Les droits fondamentaux à la vie et le bien-être des peuples d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie sont laissés de plus en plus de côté.

Jadis, les routes, les ponts, les aqueducs, les ports, les aéroports, les chemins de fer, les hôpitaux, les écoles, les transports collectifs locaux, les réseaux électriques, les PTT, la distribution du gaz, voire même dans la majorité des pays, la production et la distribution du pétrole, étaient des fonctions/responsabilités d’intérêt général revenant à la collectivité et, donc, aux institutions de l’Etat, des provinces, des collectivités locales et des organisations publiques. Le « génie civil » était par définition un « génie public », et les infrastructures et les services liés étaient la res publica, des biens communs essentiels pour la vie pour tous. Aujourd’hui, elles sont toutes privatisées, marchandisées, monétisées. La nouvelle période qui s’annonce de concentration des pouvoirs à l’échelle de la planète signifie, pour les uns le renforcement institutionnel de l’accaparement de la puissance et de la violence et, pour les multitudes, l’aggravation de l’exclusion, des rejets, des inégalités.

Comme on le sait, la décision de Black Rock du 14 janvier dernier fait suite à celle du 7 décembre 2020, prise sous l’impulsion aussi de Black Rock, par le groupe CEM (Chicago Exchange Mercantile), la plus importante bourse au monde dans le domaine des matières premières. La bourse de Chicago a ouvert le marché des dérivés, les plus spéculatifs, aux transactions financières sur les contrats à terme sur l’eau, faisant devenir l’eau, elle aussi, un avoir financier. Puis, est intervenue la NYSE, la bourse de New York, mieux connue comme « Wall Street ». Fin septembre 2021, elle a fait faire un pas de géant dans la mauvaise direction, à savoir en faveur de la financiarisation totale de la nature. Elle a créé une nouvelle classe d’avoirs financiers, les capitaux naturels (tout élément du monde naturel est traité comme un avoir) et a donné naissance à une nouvelle catégorie d’entreprises, les Natural Capitals Corporations, cotées en bourse, auxquelles confier la gestion des capitaux naturels. A cette fin, sous la coupole de la Natural Capitals Coalition, Wall Street a proposé que 30% du capital naturel mondial, dont 30% parmi le plus dévasté, soit pris en charge par les NAC pour soin et restauration d’ici 2030. Cette proposition est devenue une résolution approuvée à la quasi-unanimité des Etats participants à la COP15-Biodiversité qui s’est tenue à Montréal en décembre 2022. La COP15 a consacré la totale financiarisation de la nature selon les principes et les modalités de l’économie capitaliste globale. Bien entendu, le monde du business et de la finance s’est énormément félicité du résultat. Ce qui étonne c’est que même un grand nombre des ONG présentes à Montréal ait accueilli favorablement la résolution.

La période du 7 décembre 2020 au 14 janvier 2024 constitue l’une des pages noires de l’histoire récente de l’humanité soumise à la double domination de la technologie conquérante et de la finance prédatrice. En 3 ans et 38 jours les dominants ont sonné le glas de l’Etat des citoyens, de l’Etat des droits universels et des biens communs publics mondiaux (ou de ce qui en restait). Ils ont mis de côté l’Etat de la justice, de la solidarité ; ils ont, en revanche, renforcé le rôle de l’Etat puissance, l’Etat de la violence, l’Etat de la répression (L’Etat-armée, l’Etat policier, l’Etat chasseur…) Pour ces rôles, les finances « publiques » peuvent couler sans limites et être utilisées à la discrétion des puissants et, même, mises hors budget. Quel « sens » de l’Etat pervers !

Le fait le plus critique et, à maints égards, dramatique de l’histoire déjà en action ces 50 dernières années, c’est l‘abdication, l’auto-dépossession des tâches, des responsabilités et des pouvoirs dont les pouvoirs publics étaient, en général, légitimes titulaires en tant que représentants élus des citoyens, des peuples. Il y a déjà trente ans on parlait de l’Etats aux orties. Aujourd’hui, l’Etat en Occident n’est plus l’Etat symbole du constitutionnalisme démocratique, libéral et social de la révolution américaine, de la révolution française et de la révolution scandinave du welfare.

Si cela vous intéresse, jetez un coup d’œil sur les titres ci-dessous :

  • Global X lance un ETF sur l’eau propre,
  • Tortoise Index lance un ETF sur l’infrastructure et la gestion de l’eau,
  • L’ETF Smart beta sur l’eau est lancé à la Bourse de New York,
  • Water ETFs | Opportunités d’investissement dans le secteur de l’eau,
  • Investir dans l’eau : comment les investisseurs peuvent se mobiliser pour lutter contre la pénurie d’eau,
  • Les arguments en faveur de l’investissement dans l’eau,
  • Global X lance des ETF UCITS sur les énergies renouvelables, l’eau propre, les centres de données et les batteries au lithium.

Vous verrez un monde financier privé (ainsi que public, mais à la roue du premier) en ébullition autour de l’eau, et d’autres ressources essentielles pour la vie, en train non seulement de s’accaparer du pouvoir souverain sur de la valeur de l’eau et de la vie , mais également de construire une économie planétaire au service d’une société totalitaire sous la domination d’un petit nombre de nouveaux « seigneurs de la vie » car « maîtres » (propriétaires) de la science, de la technologie et de la finance planétaires.

PS. En tant que citoyen Européen, fédéraliste convaincu depuis ma jeunesse, je me demande si les forces progressistes de gauche européennes (chrétiennes, socialistes, communistes, écologistes, démocratiques…), ne pouvaient ensemble profiter des prochaines élections du nouveau Parlement européen pour sensibiliser l’opinion publique à l’inadmissible transformation de la société mondiale en des grandes chaines de la valeur financière. Ces chaînes sont en train de façonner à leur guise la formation de marchés « mondiaux » à la carte, détachés des droits et des aspirations du plus grand nombre de la population mondiale et, dont, les ressources, les biens et les services seront uniquement accessibles aux habitants (eux) des « archipels de la planète» les plus riches et les plus puissants sur le plan militaire (armées privées, entre autres).