Pour enrayer au plus vite la crise climatique, on ne peut continuer sur la même lancée et faire comme avant : produire des véhicules à la chaîne alors que nous sommes déjà noyés sous un flot incessant de circulation que la mobilité individuelle et le transport incessant de marchandises alimentent : dans les villages alpins bavarois, qui étouffent sous l’avalanche de tôle qui débarque en permanence chez eux tous les week-ends, la révolte gronde. Il faut donc repenser notre société de fond en comble et amorcer un changement profond pour que la situation puisse évoluer vers un avenir plus réjouissant pour toutes et tous. L’ONG BUND Naturschutz l’exprime ainsi : « Le secteur des transports est le frein majeur dans la protection du climat. » Produire moins de camelote et de biens inutiles, réduire les importations, serait déjà participer à la réduction du trafic routier.
Les solutions sont en partie à portée de main : il faut les vouloir
L’amélioration et la renaissance des transports publics — surtout dans le milieu rural, totalement dépendant de la voiture — accessibles et à bas prix, est la pierre d’achoppement de ce tournant à amorcer. C’est à l’antipode de ce que le Salon international de l’automobile veut nous faire croire en nous présentant une mobilité individuelle de demain dont l’électricité serait la panacée. Mais comment faire évoluer un secteur économique qui est un fleuron de l’exportation vers une solution acceptée par tout le monde ?
Le manque flagrant de personnel dans les transports publics est l’un des obstacles majeurs : des lignes de bus sont supprimées ou circulent de manière réduite ; d’ici à 2030, on devra faire face à une pénurie massive de conducteurs (presque 90 000), car depuis la pandémie, ils ont été nombreux à quitter le secteur, s’ajoute à cela que la formation est trop onéreuse. Les conditions de travail sont peu attirantes : pression et responsabilité sont importantes, les usagers pas toujours faciles. Sauf que les investissements sont prioritairement pour le secteur automobile, les transports publics faisant figure de parent pauvre, surtout à la DB (Deutsche Bahn) depuis sa privatisation en 1994 : il est plus important de verser des dividendes aux actionnaires que de renforcer l’infrastructure et de renouveler le matériel ; le prix des billets est moins alléchant que celui du trafic aérien ; le transport des marchandises qui pourrait s’effectueur rapidement et à bas coût par le rail à travers la République fédérale tout en présentant l’avantage de supprimer des poids lourds sur les routes et donc de protéger l’environnement, doit se contenter d’un réseau en piteux état. Et n’allez surtout pas croire que les voitures électriques marqueront la fin des problèmes : outre leur empreinte extractiviste qui nous fait maintenir des structures néo-coloniales dans le Sud global, elles seront l’occasion de remplacer nos anciens véhicules thermiques qui iront continuer à polluer sous d’autres latitudes, dans les pays émergeants. Avez-vous une autre solution pour nous en débarrasser ?!
Transports publics gratuits pour toutes et tous !
Le « Ticket climat » à 49 € en Allemagne, depuis le mois de mai successeur de celui à 9 € – qui avait fait une entrée fracassante l’année dernière -, est déjà dans le collimateur du ministre fédéral des Transports et du Numérique, Volker Wissing (FDP, parti libéral-démocrate), qui annonçait fin août de cette année que davantage de subventions pour ce ticket étaient hors de question : pourquoi financer des alternatives qui ne rapportent rien, quand on a une industrie automobile qui fait la fierté, entre autres, d’un Land comme la Bavière et que des milliards s’en vont en fumée pour équiper l’armée ? C’est rageant, mais c’est l’air du temps, même si la consommation en énergie reste énorme. Les chiffres parlent pour eux : Porsche a vendu en 2021 8 % de véhicules en plus, et en 2022, le nombre de véhicules par habitant a battu un record : il est passé à 583 pour mille habitants, du jamais vu (les immatriculations de nouveaux véhicules électriques ont augmenté de 16 % à l’échelle mondiale !). Quant au ministre-président Söder, il affiche un cynisme éclatant lorsque, au dos de ses affiches électorales (les élections du Landtag auront lieu le mois prochain ici), il se vante d’être pour la protection du climat, mais contre ceux et celles qui se collent sur les routes (allusion au mouvement Letzte Generation, dernière génération).
Small is beautiful : l’industrie automobile est atteinte d’éléphantiasis
Les Smart, considérées à l’époque comme la solution en ville, ne font plus partie du paysage, si ce n’est occasionnellement. Comme si nous regrettions d’avoir fait un kilomètre en avant, nous en faisons 100 en arrière avec les monstrueuses SUV, totalement inadaptées aux structures urbaines. Pourquoi faut-il céder à la monstruosité qui a de surcroit un côté très agressif : que vaut la vie d’un enfant devant ces pneus d’une largeur démesurée, ces capots protubérants abritant trop de chevaux ?
La situation n’est pas réjouissante, mais… un merle tient tête !
Wolfsburg, cette ville artificielle située en Basse-Saxe et construite autour de Volkswagen, est l’antre du loup dans laquelle se sont aventurés les militants de l’ONG Amsel44 (1). Invité par attac, l’un d’entre eux, Tobi Rosswog, un irrésistible et sympathique auteur qui s’est engagé à donner deux ans de sa vie à Amsel44 pour enclencher chez Volkswagen une nouvelle orientation de la production, nous a fait rire aux larmes lors de sa présentation durant le camp alternatif. En amorçant une vision pour l’avenir de VW (inutile de préciser qu’elle est totalement à l’opposé de celle dont parle l’IAA) et en décrivant les actions pleines d’humour que le groupe a menées sans faiblir, conduisant même les journalistes dévoués à VW à se poser des questions sur le climat et à remettre en question la production actuelle, Tobi Rosswog a su faire passer un courant vivifiant et contagieux d’enthousiasme et d’espoir dans l’auditoire.
Ne nous leurrons pas : il y a des frictions, des voix qui s’élèvent sévèrement contre les activistes, leur reprochant d’entraîner les jeunes et les enfants vers une radicalisation extrémiste (!). Une perquisition, divers recours en justice, mais rien n’accroche sur le plumage lisse du merle et les activistes poursuivent sans férir leurs actions. Revenant sur l’origine nazie de l’entreprise, Tobi nous a rappelé tout d’abord que Porsche est majoritaire chez Volkswagen (le directeur décédé en 2019 était Ferdinand Piëch, un descendant de la lignée), que le Qatar y a aussi des actions (!), que le groupe est en pleine déconfiture après la débâcle due au scandale des logiciels trafiqués qui lui a coûté des milliards de dollars, que les ouvriers dont les emplois sont menacés sont inquiets : on parle de suppressions s’élevant jusqu’à 15 000, non parce que les ouvriers seront congédiés, mais parce que ceux qui s’en vont à la retraite et en retraite partielle ne seront pas remplacés, et que le travail pèsera sur moins d’épaules. Ils sont également conscients que toute l’économie autour de Wolfsburg est concentrée sur les usines et en dépend : des petits commerces aux artisans. Ce sont donc des conditions de travail déplorables et un avenir peu reluisant qui se profilent et effraient les équipes.
Les militants ont donc vu là le moment opportun pour sauter dans la brèche. Ils ont déjà à leur actif des réussites qui en disent long : empêcher la construction d’une nouvelle usine inutile (Trinity), se rapprocher des ouvriers et des syndicats pour concevoir exclusivement des solutions de mobilité respectueuses du climat comme des wagons de train, de tram ou des vélos. Un autre projet en cours est de stopper la construction d’une nouvelle autoroute entre Lunebourg et Wolfsburg. Puis de transformer collectivement l’entreprise pour l’orienter vers des besoins réels de la population au lieu des profits des propriétaires : c’est assurer un avenir que les crises ne démonteront pas. Le logo de VW a été détourné pour devenir VerkehrsWende (abandon progressif des énergies fossiles dans les transports). Les mots-clés : reconversion, collectivisation, VW pour toutes et tous ! Une perspective nettement moins anxiogène que la crise climatique.
(1) : Amsel44 — merle 44 ?!, un nom bizarre dont le rapport avec VW n’est pas évident, mais qui s’explique tout simplement : la maison qui est le « nid » de l’ONG se situe au 44 de la Amselstraße à Wolfsburg.