Il y a exactement un mois, même la grande presse n’a pas pu s’empêcher d’enregistrer (à la consternation générale) l’incertitude non négligeable du gouvernement français quant à sa volonté de poursuivre le grand chantier annoncé selon le calendrier convenu, notamment avec l’Europe, qui devrait garantir la couverture financière d’une partie substantielle des travaux. À vrai dire, cette consternation est plus rituelle qu’autre chose, car la réticence du gouvernement français à prendre position sur un front qui n’est pas prioritaire est connue depuis longtemps, en tout cas depuis l’année dernière. Mais qu’importe, « grande est la confusion sous le ciel », résumait il y a quelques jours Alberto Poggio (membre de la Commission technique du Mouvement NoTav) et c’est précisément dans cette conjoncture délicate mais très intéressante que se situe l’énième Initiative/Appel que le Mouvement NoTav (en la personne de Paolo Prieri, de PresidioEuropa) a adressé ces derniers jours au Parlement européen.
Un appel que nous reproduisons ici dans son intégralité pour la complétude des arguments et qui a été envoyé à l’attention de la Présidente Roberta Metsola et d’une vingtaine de députés particulièrement sensibles aux raisons du NON à la Tav. Une initiative qui intervient à quelques jours de la manifestation prévue les 17 et 18 juin en Maurienne, promue par une galaxie de groupes écologistes français (les Soulèvements de la Terre, la Confédération Paysanne, et bien d’autres, en plus du VAM-Vivre et Agir en Maurienne) avec le Mouvement NoTav de Val di Susa et de nombreux bus qui les rejoindront de différentes régions d’Italie.
Une situation très intéressante et, espérons-le, décisive, que Pressenza ne manquera pas de suivre.
Voici le texte intégral de l’appel envoyé au Parlement européen :
Lyon-Turin, un Crime contre l’Environnement
Vivre et Agir en Maurienne – Movimento No TAV
De quel Projet Parlons-nous ?
Le Lyon-Turin est le projet d’une nouvelle ligne ferroviaire qui comprend le plus long tunnel bitube d’Europe sous les Alpes, d’une longueur de 57,5 km et d’une distance totale, y compris les lignes nationales d’accès au tunnel entre Lyon et Turin, de 270 km. Son coût est estimé à plus de 30 milliards d’euros.
L’Union européenne est prête à financer la construction de ce Grand Projet, qu’elle définit comme conforme au Green Deal européen.
Mais depuis plus de 30 ans, des citoyens italiens, français et européens s’opposent à ce projet, qu’ils qualifient de crime contre l’environnement.
Opposition au Projet et Droit des Citoyens de Savoir
Entre Lyon et Turin, il existe déjà une ligne en exploitation qui est sous-utilisée à environ 25 % de sa capacité et quelles que soient les performances d’un nouveau projet, lorsqu’on n’utilise pas ce que l’on a, on détruit l’environnement.
Il s’agit d’un projet qui a été imposé aux territoires sans véritable processus démocratique comme l’exige la Convention d’Århus à laquelle l’Union européenne, l’Italie et la France ont adhéré.
Les sites de construction déjà installés par TELT pour effectuer des prospections géologiques et des travaux préliminaires relatifs au tunnel de base sont depuis des années protégés militairement comme des forteresses.
Les citoyens, pour des raisons d’ordre public et de sécurité, et les députés européens eux-mêmes, se voient refuser le droit d’accéder pleinement aux documents relatifs aux financements et à l’état d’avancement des travaux du projet Lyon-Turin. L’intérêt public supérieur à la diffusion d’informations pour leur contrôle par les citoyens est donc également bafoué.
Depuis des décennies, l’opposition populaire est violemment réprimée par l’armée et la police, en accord avec les Ministères publics, tandis que les Tribunaux ont déjà prononcé des dizaines de peines de prison.
Incohérences du Projet avec la Législation Européenne
S’adressant au Conseil européen et au Parlement sur le Green Deal européen, la Commission a souligné la nécessité d’évaluer systématiquement la cohérence entre la législation existante et les nouvelles priorités. Afin de s’assurer que toutes les initiatives relatives au Green Deal atteignent leurs objectifs, la Commission exige que toutes les propositions législatives et les actes délégués comprennent un mémorandum contenant une section spécifique expliquant comment chaque initiative est conforme au principe “ne pas causer de préjudice”.
La réalisation de ce projet ne respecte pas les deux Principes européens de Précaution et de Ne pas Causer de Préjudice Important à l’Environnement – DNSH.
Des Emissions Importantes de CO2
Alors que la législation européenne pour lutter contre le changement climatique a établi une obligation légale de réduire les émissions de CO2 dans l’UE d’au moins 55% d’ici 2030, les travaux en cours du projet Lyon-Turin émettent déjà d’énormes quantités de CO2. En l’état actuel des choses, si le projet se réalisait, l’inauguration n’aurait pas lieu en 2033 comme annoncé, mais plusieurs années après.
Les économies d’émissions de CO2 liées au transfert du fret de la route vers le rail imaginées par les promoteurs du projet pourraient donc commencer bien après la date imposée par l’UE.
Mais si les émissions de CO2 résultant de sa construction, et les dommages climatiques associés, sont certaines et s’élèvent, selon les propres estimations des promoteurs, à un total de 10 millions de tonnes de CO2 non certifiées par une autorité indépendante, les économies d’émissions de carbone seraient très incertaines et définitivement tardive, compte tenu de l’objectif de zéro émission nette à l’horizon 2050.
En tout état de cause, si le trafic augmentait autant que le prétendent les promoteurs, les émissions continueraient à croître, mais un peu moins vite.
Des Pertes d’Eau Massives
Le changement climatique entraîne une sécheresse qui ravage l’Europe, et le creusement du tunnel de base sous les Alpes y contribue déjà. Le rapport COWI 2006 indiquait que « le tunnel drainerait entre 60 et 125 Million m3 /an, ce qui peut être comparable à l’alimentation en eau nécessaire à une ville d’environ 1 Million d ́habitants. »
D’importantes pertes d’eau et des tarissements ont déjà été constatées, toutes causées par le creusement des quatre galeries de reconnaissance.
Responsabilité du Parlement Européen et Ecoute des Citoyens
Face à cette réalité, le Parlement européen, qui a approuvé et soutenu le projet, ne doit pas tolérer en silence la perpétuation du “Crime Environnemental” mais, d’abord et d’urgence, s’ouvrir à l’écoute des citoyens qui démontrent depuis des années qu’il existe des alternatives à ce crime environnemental, à commencer par l’utilisation de la ligne existante.
Nous sollicitons le Parlement européen pour qu’il assume un acte de démocratie en organisant des auditions au sein des commissions TRAN, ENVI et LIBE pour évaluer la cohérence de cet investissement européen avec la réalité du changement climatique en cours, les politiques environnementales de l’UE et la participation effective des citoyens aux décisions de l’UE, auxquelles devraient être conviés des scientifiques, des experts, des juristes, des associations environnementales, des mouvements populaires, la Commission européenne, la Cour des comptes et toutes les autres parties intéressées.