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Face à l’expansion dévastatrice des projets miniers en Afrique, les communautés locales se mobilisent et, souvent, les femmes y jouent un rôle de premier plan. L’alliance écoféministe panafricaine WoMin se donne pour mission de soutenir la résistance de ces femmes.
“Nous ne sommes pas une ONG qui défend les droits des femmes. Avec WoMin, nous leur donnons la parole pour qu’elles puissent les défendre elles-mêmes !”, explique Georgine Kengne Djeutane, économiste camerounaise et coordonnatrice de projet à l’alliance écoféministe panafricaine WoMin. Quand des multinationales s’installent en Afrique et s’emparent des terres sur lesquelles des populations vivent depuis des générations, ce sont les femmes qui sont les premières impactées. WoMin s’engage donc auprès d’elles pour les aider à protéger leurs terres et leurs communautés contre les abus des compagnies minières.
L’expansion du charbon
Poussés par l’ambition de développer l’économie de leur pays et d’élargir l’accès de leurs populations à l’énergie, de nombreux gouvernements africains se tournent vers l’extraction du charbon. Selon WoMin, la multiplication de ces projets ne fait pas l’unanimité et les populations préfèreraient voir fermer les mines et centrales à charbon déjà existantes, plutôt que d’en construire de nouvelles (1).
C’est pour cela que, depuis 2013, WoMin s’engage auprès des communautés et les soutient dans leurs luttes. Présente dans treize pays africains, avec des partenaires en Amérique latine et en Asie, cette organisation régionale écoféministe rassemble des activistes, penseu·ses et chercheu·ses qui réfléchissent à des stratégies dans les domaines de la justice énergétique et climatique, du consentement collectif des communautés, des violences faites aux femmes dans le secteur minier ainsi que des alternatives de développement.
“J’intègre Womin car je veux que les choses changent. Les femmes souffrent énormément à cause des mines. Il faut qu’on attire l’attention des pouvoirs publics et des compagnies minières sur ces dégâts”, témoigne Georgine Kengne Djeutane. Selon elle, l’un des objectifs de l’alliance est de mettre en exergue tout ce que subissent les femmes du fait des activités extractives destructrices : de la perte de leurs terres à la perte de leurs moyens de subsistance, en passant par la dégradation de leur santé.
Entre femmes et terres
“Quand nous protégeons les femmes, nous protégeons la terre. Car ce sont elles qui la cultivent.” Georgine en est convaincue, la mobilisation des femmes est indispensable pour défendre les droits des communautés ainsi que pour protéger l’environnement. « Les hommes sont constamment consultés par les compagnies minières. Mais ils ne comprennent pas à juste titre, comme les femmes, la valeur de la terre et peuvent donc la vendre plus facilement. Dans les communautés où les mines s’installent, ce sont les femmes qui cultivent la terre et qui vont en forêt chercher les plantes médicinales pour soigner la communauté. Elles comprennent l’importance de la terre car elles la connaissent. » Ainsi, selon Georgine, le lien distendu entre les hommes et la terre les rend plus susceptibles d’accepter des compensations financières en échange. Mais l’argent ne remplace pas la terre et régulièrement, il est impossible de racheter des parcelles avec les dédommagements financiers reçus.
De plus, dans la majorité des cas, les plans de compensation ne sont pas adéquats. Ils ne tiennent pas compte des modes d’habitation des communautés. « En Afrique, dans les zones rurales, les femmes et les hommes ont leur propre case séparée l’une de l’autre, avec, à côté, un jardin destiné à l’élevage. La terre est un moyen de subsistance. Mais dans les plans de compensation, on leur construit simplement une case sans jardin familial« , explique Georgine. Si les compagnies minières compensent la perte de la terre en tant qu’habitation, les populations sont rarement indemnisées pour la perte de la terre en tant que source de revenu.
Les populations locales, et notamment les femmes, connaissent leur environnement et peuvent le protéger mieux que quiconque. Elles possèdent des savoirs autochtones, transmis de génération en génération, sur les semences, la sélection, la conservation et la plantation de cultures diversifiées, qui améliorent la résilience climatique et font d’elles de véritables gardiennes des écosystèmes (2). “Le savoir n’est pas seulement ce qu’on apprend à l’école« , note Georgine, les femmes ont des connaissances qu’elles pourraient valoriser davantage.
“Le droit de dire non” !
Ces dernières années, WoMin a lancé une grande campagne intitulée « Le droit de dire non ». La notion de consentement est à la base même de la résistance soutenue par WoMin. Mais pour consentir et être en mesure de “dire non”, il faut avoir été informé·e au préalable. Ce qui arrive rarement malgré l’existence du consentement libre, préalable et éclairé (Clip) (3).
Selon ce principe, une entreprise doit obtenir l’accord de la communauté avant d’acquérir la terre qu’elle convoite. Mais cette norme internationale a beau être reconnue par les gouvernements, les organisations régionales et être déclinée dans les lois et constitutions des pays concernés, la pratique est toute autre. “Aujourd’hui, les entreprises minières viennent discuter avec le chef mais elles prennent des décisions sans l’avis des communautés”, explique Georgine Kengne Djeutane, coordinatrice de la campagne « Le droit de dire non ». Les populations ne sont ni consultées, ni intégrées aux négociations, statuant sur les conditions d’installations ou de dédommagements.
Et lorsque l’information est bel et bien transmise aux communautés concernées, reste la barrière linguistique. Pour appréhender les réelles conséquences des projets sur leurs terres, “les communautés ont besoin de recevoir les informations dans leur langue maternelle. Mais cet effort n’est jamais fait”, déplore l’économiste. C’est ici que WoMin entre en action. L’alliance accompagne les femmes et leur apporte des outils, comme des fiches didactiques, pour les informer sur leurs droits, les stratégies de luttes efficaces et les risques qu’elles encourent. Elle organise aussi des actions de lobbying/plaidoyer au niveau national et mène des recherches avec les communautés sur les principales sociétés minières et bailleurs de fonds.
Des résistances victorieuses
Au Burkina Faso, lorsque le plus grand gisement d’or du pays a été découvert, la société canadienne Orezone s’est installée et certaines communautés ont été déplacées. “Quand on est arrivés (4), les femmes nous ont dit : ‘nous sommes désespérées’, se souvient Georgine Kengne Djeutane. Alors nous avons lu les textes avec elles, nous leur avons fait comprendre qu’elles pouvaient défendre leurs droits. Résultat, elles ont écrit une lettre au directeur de Orezone au Canada et sont allées rencontrer les responsables du ministère des Mines du Burkina Faso.” Elles ont posé leur conditions : que la compensation soit en terres en non en argent, qu’elles aient des points d’eau sur les nouveaux sites d’habitation et qu’elles puissent continuer leur activité d’orpaillage (exploitation artisanale de l’or). Ces démarches ont porté leur fruit puisque les responsables au niveau national ainsi que ceux de la société minière Orezone, surpris par ces demandes inhabituelles, ont déclaré qu’il était important de prendre en compte leurs besoins.
Au Sénégal, lorsque WoMin est intervenu (5), le projet minier existait déjà. Installée à Bargny, une centrale à charbon avait spolié les communautés de leurs terres. Cette population, vivant de la pêche et de la transformation des produits halieutiques, n’avait plus la possibilité d’exercer son activité ni d’en tirer des revenus pour en vivre. Tandis que les hommes, poussés par les eaux polluées rejetées par la centrale, devaient aller toujours plus loin en mer pour trouver du poisson, les femmes n’avaient plus d’espace pour le sécher et le transformer. Cette fois, c’est au président de la République du Sénégal, Macky Sall, que les femmes ont écrit, et leur mobilisation a payé. Leur problème a été porté à l’Assemblée Nationale et les femmes ont reçu la visite d’une parlementaire. Si, à ce jour, elles n’ont pas encore été indemnisées de manière adéquate pour la perte de leurs terres et de leurs revenus, leur mobilisation a mené à l’interruption, à plusieurs reprises, des activités de cette centrale à charbon en juillet 2019 et amorcé une discussion sur leur nécessité au Sénégal.
Les obstacles
WoMin fait face à plusieurs obstacles. On peut notamment évoquer le problème de la désinformation. Lorsque les compagnies minières s’installent, elles paient des individus pour les soutenir. “Après notre passage, des personnes pro-mines passent pour dire à la communauté que nous mentons”, raconte Georgine Kengne Djeutane. Mais ces campagnes de communication mensongère s’accompagnent également de menaces, de violences et de sabotages.
En Afrique du Sud et en Ouganda, des femmes ont même été assassinées pour avoir osé prendre la parole. L’alliance écoféministe panafricaine a donc mis en place des tactiques pour garantir la sécurité des femmes et leur permettre de continuer à assister aux réunions. “Nous leur avons acheté des téléphones portables. Comme ça, quand les responsables des mines donnent les informations au village, elles les filment. Pour leur sécurité, nous organisons également des réunions hors de leur village pour qu’elles ne soient pas attaquées” , résume Georgine Kengne Djeutane.
Finalement, à travers ses actions, WoMin dénonce un système reposant sur un modèle de pensée patriarcal et capitaliste. Ses membres se placent en contre-pouvoir face aux grandes puissances économiques, tout autant qu’en porte-parole d’une vision alternative du développement. Au lieu de continuer à promouvoir une croissance destructrice, reposant sur l’extraction de minerais (6), l’alliance écoféministe panafricaine propose d’autres futurs plus désirables. “Ce n’est pas seulement à travers les mines que les pays peuvent se développer, ils ont des alternatives, comme l’agriculture ! Nous pensons que certains minerais doivent rester sous le sol. Voilà le message d’espoir que nous avons. »
Notes :
(1) Les communautés dénoncent les effets dévastateurs de cette activité extrêmement polluante, nuisible pour la santé et source majeure d’émissions de gaz à effet de serre.
(2) “Pourquoi le monde a besoin d’un avenir écoféministe africain”, Fatima Kelleher, Equal Times, 28/03/2019, www.equaltimes.org.
(3) Le Clip est un principe selon lequel « une communauté a le droit de donner ou de refuser de donner son consentement à des projets proposés susceptibles d’avoir une incidence sur les terres qu’elle possède, occupe ou utilise traditionnellement« . Voir la note d’information du Forest Peoples Programme, “Le Consentement libre, préalable et éclairé : un droit fondamental des communautés”, www.forestpeoples.org/fr.
(4) WoMin était accompagnée de son partenaire national ORCADE (Organisation pour le renforcement des capacités de Développement).
(5) WoMin est intervenue avec son partenaire national LSD (Lumière Synergie pour le Développement).
(6) Comme le charbon, l’or, le diamant, le titanium, etc.
WoMin, Office 902, Floor 9, Southpoint Corner, 87 De Korte Street, Johannesburg 2001, Afrique du Sud ; info@womin.org.za, https://womin.africa Tél. : +27 11 339 1024.