Le projet de loi sur la biodiversité, actuellement discuté à l’Assemblée Nationale, prévoit d’instituer des « obligations de compensation écologique ». C’est-à-dire la possibilité de remplacer ce qui est détruit à un endroit par un bout de nature supposée équivalent à un autre endroit. Déplacement des espèces protégées, reconstitution de nouvelles zones humides : tout serait-il « compensable » ? Ce projet généralise la création de banques de biodiversité et donne les clés de la protection de la nature à des entreprises privées, dénoncent des associations. Il institue également un « droit à détruire », facilitant le développement de nouveaux grands projets inutiles, comme à Sivens et Notre-Dame-des-Landes.
La compensation écologique est au cœur des projets les plus destructeurs et controversés, tels que le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, de barrage de Sivens ou de Center Parc en forêt des Chambaran (Isère). Ces projets menacent de détruire des habitats naturels exceptionnels et la biodiversité qu’ils abritent. Pour s’acquitter de ses engagements à enrayer la perte de la biodiversité, l’État exige généralement de l’aménageur qu’il « compense » la destruction prévue par la restauration ou la préservation de nature ailleurs.
De nombreux travaux scientifiques soulignent l’échec de la majorité des mesures compensatoires pour lesquelles nous disposons d’un recul suffisant, et l’impossibilité de recréation de milieux constitués au fil des siècles : on ne remplace pas un arbre vieux d’un siècle par dix arbres âgés de dix ans ou une prairie naturelle ancienne par un pré saturé en nitrates ! Creuser des mares, planter quelques arbres, fabriquer des refuges pour espèces protégées, déplacer les espèces menacées font désormais partie de l’appareillage technico-juridique permettant d’afficher un impact limité sur la biodiversité.
Sivens, Notre-Dame-des-Landes et bien d’autres projets ont donné l’occasion à des naturalistes et des experts scientifiques de démontrer la faiblesse intrinsèque des mécanismes de compensation et leur incapacité à conserver la biodiversité. Pourtant, le projet de loi actuel consacre et généralise la compensation – là où la loi de 1976, sur la protection de la nature, ne faisait que la mentionner sans véritables suites. Avec le risque qu’elle serve de dérivatif facile et généralisé aux étapes visant à éviter et réduire les dégradations écologiques.
Si les conditions d’équivalence entre les dégradations écologiques et les mesures de compensation ne sont pas précisées par le projet de loi, les outils disponibles pour mener cette compensation sont, eux, intronisés, malgré de fortes réserves de la communauté scientifique [1].
La nature « mise en banque » ?
Le maître d’ouvrage d’un projet pourra réaliser des actions de compensation écologique de sa propre initiative, sur son terrain ou le terrain d’autrui. Il pourra également recourir à un « opérateur de compensation », et/ou contribuer au financement d’une « réserve d’actifs naturels », lui permettant de se libérer de ses obligations en contribuant financièrement à ces opérations. C’est sous l’intense lobbying mené par la CDC Biodiversité, filiale de la Caisse des dépôts et consignations, que l’article 33 C du projet de loi introduit la notion de « réserves d’actifs naturels » dans le droit français.
Ces banques d’un nouveau genre mènent des projets de restauration de biodiversité qu’elles transforment ensuite en « actifs naturels ». Le plus grand arbitraire préside, bien sûr, comme on l’a vu dans le cas de Notre-Dame-des-Landes, aux calculs qui conduisent à compenser des mares et les amphibiens qui y vivent par des prairies artificielles. Pour justifier leurs projets devant les pouvoirs publics, les aménageurs n’ont plus qu’à faire appel à ces banques d’actifs constituées ex ante et leur acheter quelques « actifs » biodiversité.
Ce projet de loi généralise l’utilisation de banques de biodiversité sur le territoire français et donne les clés de la protection de la nature à des entreprises privées, alors que ce modèle est loin d’avoir prouvé son efficacité écologique depuis deux décennies d’existence aux États-Unis [2].
Un droit à détruire ?
Les banques et multinationales voient la nature qui se raréfie comme un nouvel eldorado à conquérir et à privatiser, et avancent pour cela une double promesse. La promesse, jamais vérifiée, de remplacer ce qui est détruit à un endroit par un bout de nature supposée équivalent à un autre endroit. Et la promesse de pouvoir poursuivre la construction de nouvelles infrastructures, tout en préservant la nature, alors qu’un département de terre agricole et naturelle disparaît tous les sept ans.
Mesdames et Messieurs les députés, ne laissez pas la finance et les bulldozers dénaturer nos paysages et notre biodiversité !
Association signataires
Action Nature et Territoire en Languedoc-Roussillon (AcNaT), Aitec, Attac, Fern, Naturalistes en lutte, NAture et CItoyenneté en Crau Camargue et Alpilles (NACICCA).
Pour aller plus loin
Les organisations Aitec-IPAM, Attac France, Bretagne Vivante SEPNB, FERN et NAture et CItoyenneté en Crau Camargue et Alpilles (NACICCA) demandent aux députés de rejeter les articles 33 A, B et C du projet de loi relatif à la biodiversité, en première lecture à l’Assemblée nationale à partir du 15 mars, qui instituent des « obligations de compensation écologiques » et des banques « d’actifs naturels ». Explications dans ce document de 4 pages.