Non, ce n’est pas le dernier film catastrophe en vogue, c’est la triste réalité de la centrale de Civaux (Nouvelle Aquitaine), en France. Et comme toujours, on nous rassure, tout va bien, la contamination n’est que légère.
Un chantier mal préparé, des alarmes ignorées : 46 personnes contaminées
À plusieurs reprises entre le 7 et le 10 janvier 2023, des balises ont signalé une montée de radioactivité dans le bâtiment du réacteur 2 de la centrale nucléaire de Civaux (Nouvelle Aquitaine), mais personne n’a réagi. Au total, 46 personnes ont inhalé ou avalé des poussières radioactives. Cette contamination interne les expose directement à des rayonnements gamma, les plus pénétrants de tous.
Il s’agissait d’un chantier pour contrôler des générateurs de vapeur (GV), ces gros échangeurs de chaleur qui transforment en vapeur la chaleur du circuit primaire (qui capte cette chaleur en refroidissant le combustible contenu dans la cuve). Un chantier d’ampleur et à haut risque de dispersion de contamination, car les GV sont fortement irradiés et contaminés par la radioactivité du circuit primaire. Comme toute intervention en zone nucléaire, ce chantier a été préparé, et une analyse des risques induits a normalement été faite afin de mettre en place toutes les parades nécessaires pour réduire ces risques autant que possible.
Le réacteur 2 de la Civaux est arrêté depuis le 19 novembre 2021, après que des fissures aient été découvertes sur le réacteur 1. Des découvertes faites à l’occasion de la visite décennale, ce grand programme de vérifications en profondeur des équipements, de remise en conformité et de modifications des systèmes de l’installation qui a lieu tous les 10 ans.
C’est dans le cadre de la visite décennale du réacteur 2 que le chantier a été déployé sur les générateurs de vapeur. Le but était de contrôler l’intérieur de ces échangeurs de chaleur. Mais le confinement du chantier a été mal mis en place. À plusieurs reprises, entre le 7 et le 10 janvier 2023, les balises qui surveillent la radioactivité ambiante dans le bâtiment du réacteur ont signalé une contamination. Mais ces alarmes n’ont pas été prises en compte par les équipes d’EDF. Pourquoi ? Le communiqué de l’exploitant ne le dit pas. Pas plus qu’il n’explique pourquoi le défaut de confinement du chantier sur les GV n’a pas été identifié lors de sa mise en place.
Ce n’est que le 11 janvier que la contamination du bâtiment réacteur a été formellement identifiée par EDF. Il aura fallu plusieurs alarmes signalant une contamination interne des personnes qui sortaient de la zone nucléaire pour que l’exploitant lance des investigations. Tout le personnel étant passé par le bâtiment réacteur sur la période du chantier a été rappelé pour passer un examen particulier, visant à détecter et mesurer la radioactivité gamma à l’intérieur du corps humain (3). Bilan : pas moins de 46 personnes ont été contaminées en interne par des particules radioactives émettant des rayons gamma, c’est à dire qu’elles les ont respiré ou ingéré. Ces travailleur.ses vont être suivi.es médicalement pour s’assurer que leur corps élimine progressivement ces radioéléments. En attendant, tant que ces particules restent en eux, elles les irradient directement depuis l’intérieur de leur corps. Mais pour l’exploitant nucléaire, pas de problème : ce ne sont que des traces de contamination, légères. En d’autres termes : la quantité de poussières radioactives dans leur corps est faible. Il n’empêche que tout rayonnement a un effet sur les cellules vivantes, et que cet effet perdurera tant que ces particules seront en eux.
EDF a déclaré les faits comme significatifs pour la (non)radioprotection aux autorités le 17 janvier 2023. Mais le communiqué de l’exploitant de la centrale de Civaux ne pointe pas le problème de fond : outre la contamination interne de près d’une cinquantaine de travailleur.ses, le fait qu’un chantier à haut risque de dispersion de radioactivité ait été mal préparé, que le risque ait été mal (voire pas) géré, et que personne ne s’en soit rendu compte, est révélateur d’un réel défaut de culture de radioprotection. Si le personnel n’est pas informé et formé aux risques auxquels ils sont exposés dans leur activité, comment imaginer qu’il puissent s’en protéger et réagir de manière adaptée ? Si EDF lui-même ne détecte pas une dispersion de radioactivité dans le bâtiment du réacteur, quelle maîtrise a vraiment l’industriel sur ce risque majeur dans ses installations nucléaires ? Si EDF est incapable de gérer ses chantiers et de protéger ses propres travailleur.ses, comment peut-il prétendre protéger les populations et l’environnement de la radioactivité ?
Les faits posent aussi la question de la préparation des interventions dans les zones à risques des installations nucléaires. Comment se fait-il que le confinement du chantier n’ait pas été efficace ? Et pourquoi la perte d’étanchéité n’a pas été mise à jour par un contrôle ? Rappelons que fin novembre 2022, une importante fuite radioactive s’est produite lors du test de résistance du circuit primaire du réacteur 1 de cette même centrale nucléaire. Une fuite causée par un manque de préparation de l’intervention qui est pourtant une des principales épreuves des visites décennales. Là aussi, l’industriel aurait dû tout faire pour préparer au mieux le test qui, s’il n’est pas validé, interdit tout redémarrage du réacteur. EDF a aussi commencé à recharger la cuve de combustible sans avoir détecté que les données fournies par un nouvel équipement fraîchement installé lors de cet arrêt étaient faussées. Des données qui servent pourtant à garder la maîtrise de la réaction nucléaire.
Manque de préparation des interventions malgré leurs enjeux, manque de surveillance et de contrôle efficace des équipements et des chantiers, alarmes ignorées… Les erreurs de l’exploitant nucléaire conduisent à une perte de maîtrise de son installation et à la prise de risques inconsidérés. Et à la clé, ce sont les travailleur.ses qui sont les premier.es exposé.es. Mais après tout, il ne s’agit que de « légères traces d’exposition interne des intervenants »…
Un générateur de vapeur (GV) est un échangeur thermique entre l’eau du circuit primaire, portée à haute température (320 °C) et à pression élevée (155 bars) dans le cœur du réacteur, et l’eau du circuit secondaire qui se transforme en vapeur et alimente la turbine. Chaque générateur de vapeur comporte plusieurs milliers de tubes en forme de U, qui permettent les échanges de chaleur entre l’eau du circuit primaire et l’eau des circuits secondaires pour la production de la vapeur alimentant la turbine https://www.asn.fr/Lexique/G/Generateur-de-vapeur
Le circuit primaire est un circuit fermé, contenant de l’eau sous pression. Cette eau s’échauffe dans la cuve du réacteur au contact des éléments combustibles. Dans les générateurs de vapeur, elle cède la chaleur acquise à l’eau du circuit secondaire pour produire la vapeur destinée à entraîner le groupe turboalternateur. Le circuit primaire permet de refroidir le combustible contenu dans la cuve du réacteur en cédant sa chaleur par l’intermédiaire des générateurs de vapeur lorsqu’il produit de l’électricité ou par l’intermédiaire du circuit de refroidissement à l’arrêt lorsqu’il est en cours de redémarrage après rechargement en combustible. La température du circuit primaire principal est encadrée par des limites afin de garantir le maintien dans un état sûr des installations en cas d’accident. https://www.asn.fr/Lexique/C/Circuit-primaire
Il existe différents types de rayonnements. Le rayonnement gamma est composé de photons de haute énergie. Ce rayonnement va pénétrer davantage dans l’organisme que les rayonnements alpha et bêta, mais il modifie moins les particules qu’il rencontre. En savoir plus : https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Sante/rayonnements-ionisants-effets-radioprotection-sante/effets-rayonnements-ionisants/Pages/2-differents-rayonnements-ionisants.aspx#.Y9EVKUiZOUk examen de détection, d’identification et de mesure de la radioactivité gamma, naturelle ou artificielle, présente dans le corps humain
Ce que dit EDF :
Légères traces d’exposition interne sur des intervenants
Publié le 17/01/2023
Événement radioprotection
Dans le cadre des travaux de maintenance de la visite décennale de l’unité n°2 de Civaux, une contamination volumique a été observée mercredi 11 janvier 2023 aux abords d’un chantier de contrôle périodique des tubes de deux générateurs de vapeur, dans le bâtiment réacteur.
Selon les premières analyses, cette contamination volumique, enregistrée ponctuellement à trois reprises entre le samedi 7 janvier et le mardi 10 janvier, a pour origine l’absence d’efficacité du système de confinement mis en place dans le cadre du chantier, associée à la non-prise en compte par les intervenants des indications de présence de contamination rapportées par les balises de surveillance.
Les contrôles systématiques en sortie de zone nucléaire ayant identifié plusieurs intervenants présentant des traces d’exposition interne, toutes les personnes ayant accédé sur la période au bâtiment réacteur ont été conviées par précaution à réaliser un examen de contrôle complémentaire par anthropogammatrie
Quarante-six intervenants présentent à ce jour de légères ou très légères traces d’exposition interne, sans incidence sanitaire. Ils ont repris leur activité. Un suivi médical a été programmé afin de s’assurer de l’élimination naturelle complète des traces d’exposition.
L’Autorité de sûreté nucléaire a été informée de la situation. Un événement significatif radioprotection de niveau 0 sur l’échelle INES (qui en compte 7) a été déclaré par la direction de la centrale nucléaire de Civaux auprès de l’ASN le 17 janvier 2023.
L’analyse complète des causes de cet événement se poursuit.