Courant août de cette année 2022, j’étais du passage à Lerwick, une commune située dans les îles Shetland, à l’ouest de l’Écosse. En passant devant la petite mairie de cette petite ville côtière, j’ai aperçu une femme visiblement un peu pétrifiée par le froid. Elle se tenait debout en silence devant les murailles de l’hôtel de ville en portant une pancarte entre ses bras. Anne Dobbing, la soixantaine, autrefois institutrice et maintenant retraitée de l’Éducation nationale écossaise, brandissait dans ce lieu insolite une pancarte affichant sa revendication écrite à la main pour protester contre une loi anti-réfugiés, laquelle est jugée inhumaine et radicale.
Cette loi a été votée en Angleterre en avril 2022 et publiée le 6 juillet 2022. Il s’agissait du célèbre projet de loi appelé : ‘Nationality and Borders Bill, Bill 14 of 2021 – 22’ (la loi sur la nationalité et les frontières). À l’origine, cette prescription a été proposée par le gouvernement de Boris Johnson, lequel a été limogé plus tard par son propre camp. Johnson a été à l’origine de nombreux changements peu communs, dont le Brexit bien sûr. Cette nouvelle loi actée aujourd’hui, stipule que tout réfugié entré dans le pays de manière irrégulière est considéré comme ayant commis un acte criminel et sera mis en détention provisoire, en attendant son jugement pour être expulsé ensuite vers son pays d’origine. Ce projet de loi dès son apparition est resté très controversé en Écosse jusqu’au nos jours, au point que le Conseil écossais pour les réfugiés (The Scottish Refugee Council) le qualifie : « De plus grande menace envers les droits des réfugiés que le Conseil a jamais vu ces dernières décennies » (The biggest threat to refugee rights we’ve ever seen for decades).
En Angleterre, le Membre du Parlement Alistair Carnichael a de son côté contesté sans équivoque cet Acte de loi au sein du Parlement Westminster. Le peuple anglais lui-même est très partagé vis-à-vis de ce basculement radical dans la politique anglaise de réforme en matière d’immigration, jugé arbitraire pour la majorité des Anglais. Toutefois, la démocratie à l’anglaise, réputée ouverte et tolérante n’est plus la même, et ce, depuis l’arrivée au pouvoir de Johnson au 10 Downing Street, où siège tout Premier ministre après son élection. Certains parlent de réforme de l’immigration, d’autres pointent du doigt la politique économique post-Brexit, fermant la porte aux immigrants qui partent vers l’Angleterre comme une solution de dernier recours, ceci après une fin de non-recevoir dans une zone européenne, ou plus précisément l’espace Schengen. Mais encore, il existe les conséquences multiples de la période pandémique de Covid-19 qui a frappé durement l’Angleterre.
Ainsi, les événements s’enchaînent et les changements radicaux par-dessus le marché mais pas toujours dans le bon sens, au risque de les prendre comme prétexte afin de bafouer les droits fondamentaux envers les plus démunis, notamment ceux qui échappent à la mort, aux conditions de vie insupportables, ou alors aux persécutions dans leurs pays, s’agissant notamment des demandeurs d’asile !
Il peut s’agir aussi de la sélection arbitraire du type de demandeurs d’asile selon leur provenance, au point de favoriser une nationalité ou un peuple sur un autre, à savoir : les Ukrainiens sur les autres demandeurs d’asile, notamment Syriens, Afghans, Somaliens, Soudanais, Sri Lankais, Bengalais, etc. Anne Dobbing a tenu à exprimer son mécontentement à ce sujet en déclarant en toute franchise les paroles suivantes : « While we support refugees from Ukraine, the UK government is pursuing a policy of hostility to people from other countries, such as Afghanistan, Somalia, Sudan, Sri Lanka and Syria, who are also fleeing war, violence, abuse and starvation, in the Nationality and Borders Bill […], despite opposition from many voices in the UK Parliament, the bill became law on the 28th April 2022. This means that refugees arriving in the UK without a visa are now given a criminal record. Of course, a person escaping from a war zone or from a place of origin where there are no economic, social or political structures is unlikely to be able to obtain a visa prior to travelling. This Act of Parliament also removes rights of family reunion from some refugees. It also proposes to transport refugees to offshore processing centers far away from the UK mainland, maybe even as far away as Rwanda in Africa. And this bill could potentially criminalize rescue organizations like the RNLI (Royal National Lifeboat Institution) that rescue shipwrecked refugees », deplore-t-elle.
Les revendications contre la loi anti-immigrants anglaise.
Traduction de sa déclaration : « Alors que nous soutenons les réfugiés d’Ukraine, le gouvernement britannique poursuit une politique d’hostilité à l’égard des personnes originaires d’autres pays, tels que l’Afghanistan, la Somalie, le Soudan, le Sri Lanka et la Syrie, qui fuient également la guerre, la violence, les abus et la famine, dans le cadre du projet de loi sur la nationalité et les frontières […], malgré l’opposition de nombreuses voix au sein du Parlement britannique, le projet de loi est devenu une loi le 28 avril 2022. Cela signifie que les réfugiés qui arrivent au Royaume-Uni sans visa se voient désormais attribuer un casier judiciaire. Bien entendu, une personne s’échappant d’une zone de guerre ou d’un lieu d’origine dépourvu de structures économiques, sociales ou politiques a peu de chances de pouvoir obtenir un visa avant de voyager. Cette loi du Parlement supprime également les droits de regroupement familial de certains réfugiés. Elle propose également de transporter les réfugiés vers des centres de traitement offshore très éloignés du continent britannique, peut-être même aussi loin que le Rwanda en Afrique. Et ce projet de loi pourrait potentiellement criminaliser les organisations de sauvetage telles que la RNLI (Royal National Lifeboat Institution) qui secourent les réfugiés naufragés ».
Une politique d’immigration à deux vitesses et la réalité de la détention
En prime, cette politique d’immigration à deux vitesses transgresse, en matière de droit d’asile, la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut de réfugiés, qui reste effective à nos jours. Elle pose le principe de non-refoulement (art. 33). Plus précisément, il s’agit de l’interdiction pour les États de renvoyer toute personne vers un territoire où elle serait en danger d’être persécutée ou d’être déplacée sur un territoire où elle pourrait être opprimé. Il a été étendu aux demandeurs d’asile et signifié ainsi qu’on ne peut refouler une personne qui sollicite une protection internationale sans que sa demande n’ait été examinée. L’article 33 de la convention et ceux qui suivent ne prévoient point d’incarcérer un réfugié, même celui informel, particulièrement ceux désireux de faire une demande d’asile.
Il faut savoir que des demandeurs d’asile sont criminalisés aujourd’hui et mis en détention pour avoir cherché la liberté ailleurs, ainsi ils se trouvent soudain immobilisés et incarcérés dans un espace peu hospitalier, qui est la prison. Inutile de dire à quel point l’espoir qui habitait l’imaginaire des demandeurs d’asile se tourne en cauchemar, devant cette réalité amère, étant regardés par les pays occidentaux comme des ‘indésirables’. L’incarcération, par nature, n’a pas pour effet de juste détenir et immobiliser provisoirement des personnes dans un centre de détention. Il est avant tout un enclos hétérotopique, dur et cruel qui génère de nombreuses complications au point de vue social, physique, et psychologique. Yvonne Jewkes dans un ouvrage collectif, intitulé ‘‘Carceral Spaces’’ paru en 2016 (Gill, N., 2016), nous décrit dans un chapitre : « On Carceral Space and Agency », (Chap. 9, pp. 127-131) divers constats aigres sur les vécus des réfugiés incarcérés dans des centres de détentions. D’après son enquête et des études sérieuses réalisées sur des centres de détentions d’asilés, elle souligne le caractère destructeur et inhumain de ces espaces de confinement, ajouté à la dureté d’incarcération des émigrés, de leurs vécus avant et après le départ en asile.
En réalité, les centres de détention des demandeurs d’asile ne sont pas à considérer comme un appareil administratif de contrôle des frontières mais aussi d’un mécanisme pénal radical. Les centres de détentions deviennent dans ce processus un lieu de punition, de contrôle, et peut détenir indéfiniment des réfugiés, lesquels sont vus d’un regard ‘suspicieux’ malgré eux. C’est notamment le cas dans des centres d’incarcérations américains qui sont réputés les plus durs et inhumains au monde. Des experts de l’ONU ont exprimé dans un rapport leur préoccupation en dénonçant la détention « systématique » aux États-Unis d’immigrants et de demandeurs d’asile sans casier judiciaire, une pratique jugée contraire aux droits des réfugiés et transgresse foncièrement les conventions de Genève.
Un espace d’effacement de soi : les centres de détentions des immigrés
De manière générale, ces espaces hostiles ont tendance à créer un espace de solitude et d’effacement lent de l’identité, qui font perdre aux détenus un certain sens de soi et d’une liberté disparue. Dans ces circonstances, nombre de détenus font la grève de la faim comme un moyen de résistance contre toutes formes d’oppressions pour contester leurs détentions prolongées et les conditions de leurs incarcérations. Ainsi, les détenus, selon Jewkes, développent à force dans ce milieu inhospitalier des stratégies de résistances afin de trouver un espace à soi, tout en essayant de préserver leurs identités et rêves quels qu’ils soient.
Les paradoxes des espaces géographiques à l’ère de la mondialisation
Depuis l’ère de la mondialisation nous avons connu des frontières flexibles pour les ressortissants de pays riches et développés, mais elles se resserrent pour les natifs des pays à faible croissance. Néanmoins, on témoigne actuellement une version encore plus bouleversante de ce qu’on peut appeler des espaces cloisonnés et fermés dans différentes régions du monde, dont des territoires délimités par des murs frontières pour empêcher des entrées d’un côté de frontière vers un autre. C’est notamment l’exemple des Murs frontières présents dans différentes parties du monde : Espagne-Maroc, Inde-Bangladesh, Israël-Cisjordanie, États-Unis-Mexique, Corée du Sud – Corée du Nord, Malaisie-Brunei, Égypte-Gaza, Afrique du Sud-Mozambique. Et la liste est longue. On dénombre à l’heure actuelle une trentaine de murs qui représentent plus de 21 000 km de murs frontières, sans compter les projets de murs qui restent encore inachevés (cf. www.lesmurs.org).
Il existe ainsi des territoires coupés totalement du monde extérieur. C’est l’exemple notamment d’un petit territoire de presque 2 millions d’habitants renfermés dans un espace territorial de 362 km2. Il s’agit de la bande de Gaza, une région située au Proche-Orient entre l’Égypte, avec 11 km de démarcation qui les séparent, partageant un seul poste-frontière celui de Rafah, et 51 km de frontière avec Israël, avec notamment le poste-frontière d’Erez. Ce territoire autonome est découpé en cinq districts : le Nord, Gaza-City, le Centre, Khan Younis et Rafah. Les 1,9 millions d’habitants se répartissent dans les principaux centres urbains. Gaza compte une densité de 5000 hab./km2 (Le Monde, 2018). Nul besoin d’expliquer qu’une telle politique d’enfermement va à l’encontre de droits internationaux et n’est à justifier sous aucun prétexte. En outre, ce territoire Palestinien est soumis à un blocus total, coupé du monde depuis 2005, et vit une situation sans comparaison avec ce qui peut exister ailleurs.
C’est l’une des conséquences de ce que l’on peut considérer comme un paradoxe insolite des espaces géographiques à l’ère de la mondialisation, laquelle marque un tournant vers une stratégie d’exclusion d’espaces distancés par d’autres. Cependant, on voit apparaître des étendues géographiques fluides et reconfigurés. Nous avons en matière de mobilité, d’un côté, des ressortissants des pays riches pouvant circuler librement sur pratiquement tous les continents, avec une facilité déconcertante, tout en ayant accès aux différentes régions du monde sans l’octroi d’un visa, pour réaliser des voyages de loisirs ou d’affaires. D’un autre côté, nous avons les ressortissants des pays en voie de développement, comme le cas des peuples de l’Afrique et des pays du sous-continent indien (Bangladesh, Sri Lanka, entre autres), du Proche-Orient (Syrie, Liban, Irak), et des parties de l’Asie centrale (Afghanistan, Pakistan, Bangladesh), cherchant à fuir des guerres dans leur région, des conditions de vie insupportables, et des situations économiques désastreuses.
Un des résultats de la mondialisation et de ces phénomènes susdits se traduit par un mouvement migratoire accru du Sud vers le Nord. En effet, une très forte richesse s’est concentrée ces dernières décennies dans la zone de l’U.E. et le continent Nord américain, créant un grand faussé, en termes d’abondance, de conditions de vie, et de prospérité économique entre le Nord et le Sud principalement. De surcroît, cette disparité a engendré un mouvement de peuples partant de pays du Sud, notamment de l’Afrique, lesquels traînent à surmonter des difficultés sur différents plans : insécurité, conflits internes, instabilités politiques, ingérences externes, appauvrissement, exploitations des sociétés multinationales de leur richesse naturelle vers les pays du Nord ! Ce phénomène migratoire du Sud vers le Nord, a été observé dès les années 90, par suite de divers évènements qui ont marqué le vingtième siècle. Il s’agit notamment de la chute du mur de Berlin, la fin de la guerre froide, la chute de l’Union Soviétique, le début de la mondialisation. Également, on ajoute à cet ensemble d’épisodes l’élargissement de sociétés multinationales et leur présence dans différents pays de l’Asie, la création de l’espace Schengen et de la monnaie unique Euro.
Un revirement radical de la politique d’immigration et la mort de l’asile
Devant un nombre croissant d’immigrants informels et formels, certains changements radicaux ont été introduits aux dispositions de l’asile politique et d’immigration au cours des dernières décennies par les pays du Nord, et de nouvelles pratiques de lois dans ce sens. Ainsi, elles sont devenues davantage judiciaires, visant à dissuader et à limiter l’accès à l’asile à l’échelle mondiale devant cette vague migratoire venu du Sud.
En conséquence, la recherche transnationale de l’asile politique a évolué. On observe des personnes parcourant désormais de grandes distances et traversant de multiples frontières internationales pour présenter leurs demandes. Les demandeurs d’asile ont une inclination à connaître des périodes prolongées de stase et de détention en cours de route, alors qu’ils naviguent entre l’externalisation des frontières, la détention externalisée, le traitement des demandes sur des îles (hors territoire principal), des pratiques politiques, géographiques et raciales d’exclusion. Des chercheurs et des activistes ont cartographié ces changements, affirmant qu’ils équivalent à l’effacement et à la mort de l’asile. Alors que les solutions plus « durables » reculent, des arrangements plus informels s’installent dans la restructuration de la protection internationale.
Cependant, on constate que les lois mises en vigueur ont une tendance radicalement protectionniste et judiciaire à l’encontre des chercheurs d’asile informels. Le système mis en place cherche à dissuader fermement les demandeurs d’asile formels et informels de tout bord, notamment ceux venant du Sud. Ce qui représente pour les pays du Nord, dits ‘riches’, un moyen stratégique pour séparer des sphères géographiques et leurs habitants respectifs. Ce qui nous amène à nous interroger sur certains versants historiques et politiques pour dessiner une reconfiguration spatiale restrictive, afin de dissocier des états en quelque sorte des autres.
Comment ces arrangements géographiques particuliers prolongent-ils les histoires coloniales ? Que reste-t-il à la confluence de taux de déplacements historiquement élevés et de l’érosion de l’accès aux frontières territoriales ? C’est l’analyse et les interrogations qu’Alison Mountz porte à notre connaissance sur un ensemble de paradoxes que vit notre époque en matière de politique d’immigration et d’asile dans certains continents, particulièrement européen et nord américain, à l’ère de la mondialisation. Alison Mountz est professeure de géographie à Wilfrid Laurier University au Canada (cf. Alison Mountz, The Death of Asylum, 2020). Elle présente dans son livre une analyse sur le « phénomène » de détention de demandeurs d’asile hors frontière nationale, dans les îles notamment, pratiquée par les États-Unis depuis ces dernières décennies. Il s’agit au départ de la réalisation d’un projet appelé ‘The Island Detention Project’. Ce dernier est le fruit d’une époque marquée par une politisation intense et d’exclusion du monde, des pays en difficultés à séparer des pays du Nord. En conséquence de cette politique, on voit apparaître des centres de détention, comme ceux basés dans les îles caribéennes en pleine mer pour détenir des migrants venant de Cuba et d’Haïti pour enfin encourir des peines arbitraires sans fondement pénal.
Alors au départ, ils viennent chargés d’espérance avec un brin d’optimisme pour joindre l’Amérique, dans une perspective d’une vie meilleure. Cependant, au cours de ce périple, les autorités maritimes américaines viennent les intercepter en pleine mer pour les placer aussitôt dans des centres de détention comme mesure radicale visant à dissuader d’autres migrants. Paradoxalement, les dispositions juridiques pratiquées par les grandes puissances n’empêchent pas l’accroissement du nombre des personnes visant à partir vers les pays riches. En cela, ces mesures de détentions deviennent un phénomène, tout en sachant qu’elles produisent, sans le vouloir, le contre-effet de ce qu’elles visent.
Il reste bien évidement beaucoup à dire sur ces phénomènes susdits, qui peuvent générer d’autres phénomènes inattendus. Nous vivons une époque de bouleversement géopolitique, de reconfiguration d’espaces, et de mouvements de peuples en constante recherche d’une vie meilleure. Les évolutions rapides des pays du Nord ne concernent qu’une partie du monde, marquant une scission avec les autres sociétés des différents horizons, notamment celles du Sud, ceci sans partage ni collaboration commune en matière de développement. Chaque continent évolue à son rythme et se sépare davantage des autres continents et de ses habitants. Il n’est donc pas étonnant que pendant que certains peuples jouissent de leurs conditions et de leurs droits fondamentaux, d’autres ne connaissent point ces derniers, mais se trouvent à défaut privés par les premiers de leurs propres libertés. Dans cette situation de domination et de radicalisation, le faussé entre Nord et Sud grandira davantage et deviendra en conséquence ingérable et chaotique.
Par Abdullah Alqalawi
Sources :
- Gill, N. (2016). Carceral spaces: Mobility and agency in imprisonment and migrant detention. Routledge.
- Mountz, A. (2020). The death of asylum: Hidden geographies of the enforcement archipelago. U of Minnesota Press.