Véritable révolution en soi, le numérique était la promesse d’un monde plus vert : moins de papier imprimé et réduction des déplacements. Cependant, il y a des conséquences à cette dématérialisation et les impacts environnementaux semblent encore aujourd’hui méconnus ou ignorés du grand public. À l’heure où l’obsolescence programmée accentue la production d’appareils électroniques et où le volume de données numériques générées par l’humanité explose, comment faire de la pollution numérique un enjeu visible, mais surtout, comment réduire l’empreinte du numérique face à la crise climatique?
Du point de vue de son cycle de vie, la fabrication d’un objet électronique nécessite la production de composants complexes qui exigent de l’énergie, des traitements chimiques, de l’eau, mais surtout une quantité importante de métaux précieux. Cette industrie contribue à 76 % de l’épuisement des ressources non renouvelables dans le monde[1], sans parler de pratiques d’extractions discutables et des conditions de travail souvent déplorables. Évidemment, le bilan ne s’améliore pas en fin de cycle alors que le recyclage de nos appareils reste complexe en raison des matériaux qui les constituent. On évalue d’ailleurs que 75 % des déchets électroniques sont jetés de façon illégale, notamment par de l’exportation en Chine, en Inde et en Afrique où ils terminent leur vie dans des décharges à ciel ouvert[2]. Selon un rapport de l’ONU de 2019, 53,6 millions de tonnes métriques de déchets électroniques ont été produites, soit l’équivalent de 350 navires de croisière. De ce chiffre, seulement 17,4 % auraient été recyclés. Le reste, représentant près de 57 M$ d’or, d’argent, de cuivre, de platine et d’autres matériaux de grande valeur, a été déversé ou brûlé[3].
Du point de vue de l’utilisation, les impacts sont tout aussi importants. Une donnée numérique (courriel, téléchargement, vidéo, requête Web) parcourt 15 000 km en moyenne[4]. Qui dit données numériques dit aussi stockage de données. Ce qu’on appelle un centre de données (data center) est en réalité une infrastructure composée d’un réseau d’ordinateurs et d’espaces de stockage. Pour fonctionner, ces espaces doivent avoir des systèmes de distribution d’énergie et de réserve, des générateurs de sauvegarde, des systèmes de ventilation et de refroidissement et des kilomètres de câbles[5]. Bien que la chaleur produite puisse être récupérée et exploitée, les centres de données sont toutefois responsables de 4 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, ce qui dépasse maintenant l’impact du trafic aérien. Nul doute que ces infrastructures occupent de vastes territoires et génèrent une grande consommation d’énergie dont l’impact varie selon la façon dont est produite l’électricité, là où le Québec pourrait tirer son épingle du jeu.
À la lumière de ce portrait, on constate que la notion de limite est incompatible avec l’univers du numérique. Bien que le Québec risque d’être un territoire stratégique dans l’ère du numérique en raison de son hydroélectricité considérée comme une énergie verte, de son climat nordique qui faciliterait le refroidissement des serveurs et de la présence de minéraux précieux et stratégiques tels que le lithium, la question se pose : à quels coûts souhaitons-nous y participer? Sans contredit, nos habitudes numériques devront être revues si nous souhaitons réduire notre empreinte écologique. Ainsi, la sobriété numérique fait partie des solutions en nous invitant notamment à réduire notre consommation de données numériques et à prolonger la durée de vie de nos appareils. Les gouvernements auront aussi un rôle à jouer afin d’encadrer cette pollution, soit par des politiques de sobriété numérique et des sanctions sur l’obsolescence programmée (p. ex. : imposer des limites de mises à jour aux fabricants ou encore les obliger à munir leurs appareils électroniques d’un chargeur universel). Si vous souhaitez aller plus loin et mesurer votre empreinte écologique, une entreprise québécoise a récemment développé une application (Ecoist Club) qui vous permet de le faire. Comme quoi les outils et la littératie, ironiquement numérique, sont à notre disposition pour nous aider dans la sobriété numérique!
Josée-Ann Bettey
[1] L’impact de la pollution numérique, grizzlead.com (24 juin 2022).
[2] La pollution numérique, qu’est-ce que c’est? Greepeace Fr.
[3] Record de 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques en 2019, selon l’ONU, Radio-Canada (2 juillet 2020).
[4] La face cachée du numérique : réduire les impacts du numérique sur l’environnement (guide, 2019).
[5] Définition Data Center : qu’est-ce qu’un centre de données?, lebigdata.fr (3 juillet 2022).