Biographie

Riccarda Montenero est diplômée de l’Académie des Beaux-Arts de Lecce et diplômée en Architecture de l’Université de Turin. Dans les jardins du Palais Royal de la même ville sont placées deux de ses grandes œuvres. En plus d’exposer et de participer à des expositions et des événements culturels en Italie et à l’étranger, dans des revues de films-vidéos-arts, elle réalise une collaboration avec des artistes et des intellectuels qui se traduit par des publications éditoriales et des performances interdisciplinaires. En 2011, elle a participé à la 54e édition internationale de la Biennale de Venise, Pavillon italien (Piémont) sous le commissariat de Vittorio Sgarbi. Elle travaille dans le domaine de la photographie, de la sculpture et de l’art numérique 3D. Ses projets artistiques sont placés dans une approche humaniste, à travers laquelle elle tente de faire ressortir l’invisible et de nous mettre devant la violence à laquelle il est confronté.
Elle collabore depuis quelques années avec mémoire de l’Avenir-Arts et Société à Paris.
Vit et travaille entre Paris et Turin.

L’artiste Riccarda Montenero a présenté sa dernière œuvre photographique, exposée en novembre dernier à Paris, intitulée Habités par la peur.

À travers son œuvre, elle illustre les peurs et nous propose d’immerger notre regard dans les 71 œuvres photographiques qui la compose et affirme dans un passage de son interview que :

« S’attarder sur la surface de nous-mêmes ne permet pas de nous connecter à l’intérieur, ce qui nous empêche d’apprendre à gérer la peur. »

 

PRESSENZA : Comment  est né votre projet photographique ? Que signifie pour vous être “Habités par la Peur” ?

Riccarda Montenero: Le projet photographique Habités par la peur est né à la suite de Rue de l’espérance, où j’ai exagéré les corps en  les dramatisant. Ce sont désormais les yeux et les mains qui sont au centre de la scène, et c’est le regard ainsi que les gestes qui interrogent nos grandes peurs, qui sont ici les protagonistes.

Être habités par la peur signifie que c’est la peur qui connote nos actions. En l’habitant, elle marque un trait distinctif en chaque individu. C’est la peur mystérieuse et profonde qui nous caractérise, qui nous rend singuliers. La peur de la mort, de la perte, du manque et de l’inconnu a toujours habité l’homme.

S’attarder à la surface de nous-même ne permet pas de nous connecter à l’intérieur, ce qui nous empêche d’apprendre à gérer la peur.

 

PRESSENZA :  Votre œuvre a été exposée pour la première fois dans la galerie Mémoire de l’Avenir, à Paris. Elle se compose de 71 photos, réparties en 5 séries : Gestes de la peur ; Panique du corps ; Désir qui se brise ; Mutisme du mot ; Loi du poing. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

Riccarda Montenero : J’ai créé cinq séries très différentes les unes des autres, dans la mise en scène des peurs, certaines sont en noir et blanc et d’autres en couleur. Je recherchais la théâtralité du geste, la suggestion du corps en mouvement, combinées à un sentiment d’ambiguïté. Et enfin, l’idée de soulever des questions.

J’ai voulu représenter des corps brutaux à distance rapprochée. Corps gonflés de tension dans un environnement claustrophobe. Corps intolérants à l’espace partagé. J’ai porté mon attention sur l’expressivité des mains dans Gestes de la peur, et j’ai mis l’accent sur la posture du corps dans la série Panique du corps ; j’ai détourné l’attention sur le poids du regard dans la série Désir qui se brise, dont les yeux du personnage scrutent et provoquent frontalement l’observateur et vers le visage sans corps dans la série Mutisme du mot ; tandis que dans Loi du poing, c’est la force du poing qui occupe le devant de la scène.

PRESSENZA : Revenons à cette idée de soulever des questions que vous avez évoquée précédemment. Pouvez-vous nous donner un exemple ?

Riccarda Montenero : Dans la série Désir qui se brise, par exemple, le regard frontal et provocateur du personnage qui semble scruter le spectateur pose déjà une question ; ou bien c’est le sentiment d’ambiguïté qui est amplifié au travers des séquences du corps dans une autre série ; ou encore, le dialogue théâtral des gestes – entre qui/avec qui ? qui demande à s’interroger sur sa signification, etc.

PRESSENZA : Certaines personnes, en regardant la séquence Panique du corps en couleur, l’ont défini presque joyeuse. Pourquoi selon vous ?

Riccarda Montenero : Oui, en effet, elle suscite des questions de sens et une curiosité pour les procédures et la technique. Dans la série Panique du corps, le mouvement des corps est perçu comme une danse. Donc  la plupart la perçoive comme moins conflictuelle, même si la posture des corps et les gestes expriment en vérité l’exclusion, car ils marquent une frontière. Alors que les corps dans le noir de la série Gestes de la peur semblent plus impétueux, parfois violents.

PRESSENZA : Ce que je trouve intéressant dans votre travail, c’est la vitalité des personnages, ces silhouettes représentées qui restituent un aspect vivant aux images.

Riccarda Montenero : Oui. J’aime représenter les corps en mouvement, même des séquences avec de toutes petites variations du geste. J’aime représenter le corps comme s’il était sur scène. La représentation du temps me fascine : dans le passé, je l’ai représenté en utilisant des peintures tridimensionnelles, des sculptures, des animations 3D, puis maintenant dans des photographies.

PRESSENZA : Comment vivez-vous le processus créatif d’une œuvre ? Quand décidez-vous que le travail est vraiment terminé ?

Riccarda Montenero : Mon processus créatif est assez exaspérant. Parfois de manière maniaque. J’ai besoin d’isolement et de concentration totale. Dans ce processus, je souffre et je me réjouis à la fois. Je jette, je récupère, je jette à nouveau jusqu’à ce que l’idée prenne vie… Je travaille beaucoup en post-production numérique 3D, créant diverses séquences pour de petits mouvements d’image. Quand est-ce que je considère qu’une œuvre est terminée ? Cela dépend de ma capacité à « écouter l’œuvre » à ce moment-là. C’est à l’œuvre elle-même de me dire que c’est assez. Heureusement, car sinon, l’obsession de réessayer, de perfectionner, prendrait le dessus et je finirai par m’épuiser.

Le projet est terminé, mais les émotions dictées par les peurs continueront à traverser mes prochains personnages. Du moins, je le pense.

Dans mes projets précédents, lorsque je tournais mon regard vers Eros, Thanatos prenait soudainement le dessus. J’imagine donc qu’il continuera à le faire.

PRESSENZA : Comme dans votre précédente œuvre, vous avez choisi d’intégrer dans Habités par la peur le court métrage d’une autre artiste, Teresa Scotto di Vettimo, que vous avez invitée. Voulez-vous expliquer le pourquoi de ce choix ?

Riccarda Montenero : Oui. Vous faites référence à la vidéo Habillés par la peur.

Deux  raisons  m’ont incitée à le faire : le caractère humoristique du scénario écrit par l’artiste, que j’ai  publié dans mon livre  Catalogue  sur l’œuvre.

Puis son idée originale de restituer la réaction d’un « visiteur ordinaire » devant une œuvre, thème qu’elle poursuit. Je trouve  que le ton tragicomique qui caractérise son court-métrage, contrebalance avec  une certaine légèreté mon regard sur la peur, que je définis comme plutôt « sombre ». Et sa provocation en affirmant l’hypothèse d’être plutôt habillés que habités par la peur suscite une vraie question.

Puis la réflexion du personnage qui incarne un visiteur ordinaire permet d’avoir du recul sur mon œuvre.

PRESSENZA : L’artiste Teresa Scotto di Vettimo a défini votre travail comme une œuvre matricielle qui génère d’autres œuvres ?

Riccarda Montenero : Oui, cette définition me correspond pleinement. La réflexion générée à travers l’œuvre d’un artiste s’inspirant de mon  œuvre, c’est ce que j’aimerais poursuivre et approfondir davantage dans mes futurs travaux artistiques.

 

Et l’ensemble de l’exposition a été présentée le 18 novembre 2021 dans le cadre de la Journée mondiale de la philosophie – UNESCO.

Lien vers son site : https://riccardamontenero.com/habites-par-la-peur/

ainsi que le court-métrage réalisé par Teresa Scotto di Vettimo Habillés par la peur, à la demande de l’artiste Riccarda Montenero.
https://riccardamontenero.com/habilles-par-la-peur/