Les deux auteurs du Manifeste pour la non-violence, Pauline Boyer et Johann Naessens, sont des activistes bien connus du mouvement climat. Leur réflexion, exposée avec clarté et pédagogie, s’enracine dans l’expérience des luttes écologistes de ces dernières années, au sein d’ANV COP 21, d’Alternatiba et des multiples organisations qui forment le mouvement climat d’aujourd’hui. A ce titre, leur Manifeste est le manifeste de toute une génération qui a pris conscience que la seule réponse à la crise climatique systémique que nous vivons était dans l’action non-violente constructive.
La radicalité revendiquée n’est en rien un « extrémisme », mais la volonté d’agir à la racine des problèmes. « Etre radical.e, pour un.e activiste, explique les auteurs, cela signifie juste élaborer des stratégies qui permettent de traiter le problème à la source, se pencher et agir sur ses causes profondes ». Le Manifeste reprend à son compte le principe du « logiciel radicalo-pragmatique » initié par le mouvement basque Bizi ! ou Alternatiba. Celui-ci échafaude des stratégies qui se veulent radicales tout en étant conscientes des réalités et des rapports de force à construire. Car au final, l’efficacité de l’action sera fonction de la force du nombre.
Le Manifeste n’élude donc pas la question de la contrainte. Il s’agit bien de construire des actions de masse qui permettront d’actionner des leviers puissants susceptibles d’ébranler significativement le système économico-politique dominant. A l’heure où le dérèglement climatique s’accélère, le temps des actions symboliques, aussi pédagogiques soient-elles, n’est plus de mise, Nous sommes désormais contraints de mettre en œuvre des actions « dures » ayant pour objectif d’arracher au pouvoir des victoires partielles qui créeront des dynamiques aujourd’hui insoupçonnées.
Le radicalo-pragmatisme revendiqué par le Manifeste n’interdit pas de souligner que l’action non-violente est aussi une force de transformation personnelle au sein du collectif. Car qui dit préparation de l’action non-violente, dit coopération dans l’organisation des multiples tâches nécessaires au bon déroulement de l’action. Cette phase de préparation, indispensable, conditionne bien souvent la réussite de l’action. La démocratie s’invente au cœur de ces temps de préparation où chacun.e prend conscience de son rôle, de sa place, de son potentiel, de sa capacité d’imagination. C’est l’un des mérites du Manifeste, au-delà de l’exposition des éléments théoriques validés par l’expérience, que de montrer le pouvoir créatif de l’action non-violente.
« Là où la lutte violente forme des combattantes au maniement des armes, avec une logique court-termiste d’élimination des problèmes, la lutte non-violente fait émerger des citoyen.nes en mesure de s’opposer à des adversaires, tout en préfigurant la société qu’ils et elles veulent faire émerger pour être prêt.es lorsque l’occasion du changement radical se présente. »
Au cœur de la radicalité non-violente, se trouve la désobéissance civile. Le Manifeste recense de nombreux exemples de luttes qui ont actionné cette arme lourde de la non-violence. Les auteurs rappellent opportunément que « les tribunaux sont de plus en plus nombreux à placer la légitimité d’une action au-dessus de son illégalité ». C’est précisément la force de la désobéissance civile, lorsqu’elle est maniée à bon escient, que de faire bouger les lignes. Si le pouvoir cherche toujours à la criminaliser, il n’en reste pas moins que son caractère pédagogique, notamment à travers les procès, permet d’éveiller les consciences et de rallier l’opinion publique à la cause défendue. Ainsi, « lorsqu’une action de désobéissance civile devient légitime aux yeux de la justice, c’est le curseur de la normalité qui se déplace et ouvre la voie à une évolution sociétale ».
La force de ce Manifeste est qu’il conjugue théorie et pratique, pratique et théorie, sans pour autant figer la réflexion. L’action non-violente, si elle repose sur des principes solides, demeure toujours à réinventer en fonction des objectifs, des moyens à disposition, et surtout des participant.es. Ce Manifeste, et ce n’est pas le moindre de ses mérites, est qu’il donne envie de prendre sa part à la lutte existentielle pour le climat et la sauvegarde de la planète. Il répond à de nombreuses questions que chacun.e est en droit de se poser quant à la pertinence du choix de la non-violence. Il ouvre l’imaginaire à la mise en place d’alternatives radicales et constructives. Il montre que, finalement, la non-violence est profondément révolutionnaire, tant dans ses moyens que dans ses finalités. Mais qu’elle est aussi source d’humanité et de joie, malgré les immenses défis qu’elle s’efforce de relever.
A ceux qui considèrent encore que radicalité rime avec violence, la lecture du Manifeste pour la non-violence devrait les convaincre que la véritable radicalité n’existe que dans le choix de la lutte non-violente. A l’heure où les effets du réchauffement climatique se font sentir un peu plus chaque jour dans notre quotidien, cet ouvrage est parfaitement bienvenu pour revitaliser les indispensables luttes citoyennes, toujours plus nécessaires face à l’inaction climatique des forces prédatrices dominantes.
Voir aussi l’entretien avec Pauline Boyer ici.