Par Alex Lantier
A l’issue du conseil des ministres de mercredi matin à l’Elysée, le premier ministre Manuel Valls a dévoilé une nouvelle loi antiterroriste draconienne.
Valls a annoncé ces nouvelles mesures suite à une discussion intense dans les médias au sujet d’un « Patriot Act » à la française et après le sommet de deux jours à Bruxelles des ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne sur le contre-terrorisme. Ces propositions font partie d’efforts faits par les gouvernements européens pour exploiter les attaques terroristes de Paris et imposer le type de mesures de régime policier entrées en vigueur après les attentats du 11 Septembre.
Le premier ministre a annoncé la création de 2.680 nouveaux emplois dans l’armée et les services de renseignement afin de surveiller la population et prévoit de surveiller directement quelque 3.000 personnes. Le programme reviendrait à 425 millions d’euros (492 millions de dollars US) sur trois ans et à 735 millions d’euros si l’on inclut les frais de personnel.
« Aujourd’hui, il faut surveiller près de 1.300 personnes, Français ou étrangers résidents en France, pour leur implication dans les filières terroristes en Syrie et en Irak. C’est une augmentation de 130 pour cent en un an, » a dit Valls. « A cela s’ajoutent 400 à 500 personnes concernées par les filières plus anciennes ou concernant d’autres pays, ainsi que les principaux animateurs actifs dans la sphère cyber-djihadiste francophone. En tout ce sont près de 3.000 personnes à surveiller. »
Pendant que Valls s’exprimait, des milliers de policiers et de soldats patrouillaient les rues en France. Les descentes policières se sont étendues de la France à la Belgique, à l’Allemagne et à la Grèce.
Valls a dit que 122.000 policiers, militaires et gendarmes seraient mobilisés à travers le pays. Il a appelé la création des nouveaux emplois dans l’armée et le renseignement un « effort massif, mais nécessaire pour assurer la sécurité. »
Valls a dit clairement que l’un des principaux objectifs de la loi était de renforcer la surveillance de masse de l’Internet et des réseaux sociaux. « Les terroristes utilisent fréquemment les mêmes réseaux sociaux que le grand public. Notre plate-forme de signalement de contenus illicites a reçu 30.000 signalements depuis le 7 janvier, soit six fois plus que d’habitude, » a précisé Valls. Il a ajouté que 60 millions d’euros seraient consacrés à « la prévention de la radicalisation. »
Les services de renseignement français seront aussi autorisés à recourir à la géolocalisation par trackers des véhicules de suspects et à des appareils électroniques et à installer des microphones à leur domicile. « La loi permettra aux services d’être en mesure de vérifier les conversations et les documents de personnes que nous suivons, » a dit Jean-Jacques Urvoas, un député PS (Parti socialiste) au Wall Street Journal « … nous voulons avoir accès aux ordinateurs, parce que les interceptions de sécurité… sont en général assez stériles. »
Les responsables français veulent également ouvrir d’ici septembre 2015 une banque de données des passagers aériens et discuter au parlement européen de la manière de partager les données personnelles de passagers avec les autres pays de l’Union européenne.
Valls a dit que de cette manière « la France disposer[ait]…enfin d’un cadre légal pour l’action de ses services de renseignement. »
Cette déclaration est une admission indirecte du fait que ce qui a vu le jour dans la dernière décennie en France, comme dans une bonne partie de l’Europe, est un régime où les services secrets se sont arrogés d’énormes pouvoirs sans aucun fondement légal.
Si les nouvelles mesures visent initialement la population musulmane d’Europe, ces formes de gouvernement, qui sont celles de l’Etat policier, seront utilisées contre toute opposition à la politique de la classe dirigeante française sur le plan intérieur comme extérieur.
L’agressivité de la réponse de l’élite dirigeante à l’attentat contre Charlie Hebdo traduit une panique croissante devant les tensions sociales provoquées par des années d’austérité et de guerre. La décision du gouvernement français d’abandonner son opposition à l’invasion américaine de l’Irak en 2003 et de s’aligner sur la campagne de guerre des Etats-Unis au Moyen-Orient a conduit la France au bord de la guerre civile. Les jeunes musulmans ne sont pas seulement de plus en plus aliénés par le chômage de masse, l’encouragement officiel au racisme anti-musulman et les affrontements avec la police, mais aussi par les guerres de l’OTAN dans les anciennes colonies musulmanes de la France, comme la Syrie, et soutenues par l’ensemble de l’establishment politique.
En même temps qu’elle met en oeuvre des mesures de régime policier et prépare une escalade militaire à l’étranger, la classe dirigeante fait la promotion du racisme anti-musulman et cherche à légitimer le Front national, le parti néofasciste de Marine Le Pen. Au début du mois, le président François Hollande a reçu Le Pen au palais de l’Elysée.
Dans un discours prononcé mardi pour annoncer le lancement des mesures anti-terroristes le lendemain, Valls a mis en garde contre des émeutes de masse dans les banlieues à population immigrée, comme en 2005 et en 2007. « Les émeutes de 2005, qui aujourd’hui s’en rappelle et pourtant… Les stigmates sont toujours présents, » a-t-il dit. Il a fait remarquer que 10.000 véhicules avaient brûlés et que des centaines de policiers avaient été blessés durant les affrontements.
Craignant de plus en plus des émeutes dans un climat aujourd’hui bien plus lourd sur le plan économique, politique et militaire, la classe dirigeante et l’armée ont élaboré des plans pour une action militaire à grande échelle en France. C’est ce qui ressortait notamment d’un Livre blanc de 2008 sur la défense et la sécurité nationale, selon des recherches publiées dans le livre du journaliste Hacène Belmessous, Opérations banlieues – Comment l’Etat prépare la guerre urbaine dans les cités françaises.
Belmessous y cite le lieutenant-colonel Didier Wioland, qui a dit que des plans avaient été établis pour le déploiement de 10.000 soldats dans des opérations militaires dans l’hexagone : « … les armées doivent pouvoir, à la demande de l’autorité politique, lorsque des situations graves frappent le territoire national, mettre à disposition cet effectif, essentiellement des forces terrestres… Ce contingent de 10 000 hommes est actuellement à même d’être formé sur le territoire national, prêt à intervenir en cas de crise de grande ampleur. »
Le nombre de soldats déployés dans les rues en France suite à l’attentat contre Charlie Hebdo, était, qu’il s’agisse ou non d’une coïncidence, de 10.000.
C’est la classe ouvrière qui constitue la base sociale des droits démocratiques. Les secteurs les plus privilégiés de la classe moyenne, liés au Parti socialiste et à la pseudo-gauche, applaudissent les mesures de Valls.
Dans un article farouchement réactionnaire du magazine L’Obs, lié au Parti socialiste, Jean Daniel décrit l’islam comme une question d’« ordre public » et déclare : « Oui, nous sommes en guerre, et qui plus est en guerre de religion ». Il ajoute, « Nous avons été les colonisateurs d’une grande partie des pays islamiques. Nous leur avons montré leur infériorité sur presque tous les plans, sauf peut-être celui de la prière. Lorsque nous les avons adoptés, mais avant, en même temps, humiliés, et qu’ils se sont sentis obligés de venir chez nous, c’était en se courbant. Les temps ont changé. »
De tels commentaires, qui fournissent la justification pour une guerre ethnique et un régime militaire, expriment la faillite de l’élite capitaliste en Europe.
Alex Lantier
Article original, WSWS, paru le 22 janvier 2015